Abonnés

200 ans de légendes (5/52) : 1914 : Perpignan-Tarbes la finale des sacrifiés

Par Jérôme Prévot
  • 200 ans de Rugby (5/52) : 1914 : Perpignan-Tarbes la finale des sacrifiés
    200 ans de Rugby (5/52) : 1914 : Perpignan-Tarbes la finale des sacrifiés Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
Partager :

La finale du championnat 1914 gagnée par Perpignan face à Tarbes reste à nos yeux la plus émouvante de l’Histoire, par son scénario, son contexte et sa conclusion tragique.
 

Une récente introspection nous a mis devant cette évidence. La finale la plus indélébile, la plus émouvante et la plus tragique, ce fut bien celle qui s’est jouée le 3 mai 1914 à Toulouse entre l’AS Perpignanaise et le Stadoceste Tarbais. Le dernier titre décerné avant la guerre de 14-18, dont beaucoup de protagonistes allaient épouser le destin tragique de leur nation.

Ce fut d’abord une partie de feu gagnée d’un point (8 à 7) par les Catalans devant 10 000 spectateurs grâce à une ultime transformation en coin d’un demi d’ouverture de 18 ans et demi, Aimé Giral. Malgré le contexte incandescent, il avait pu se concentrer dans un silence de cathédrale. Face à la solennité du moment, les passions s’étaient tues au moins pendant une minute, comme une paix des braves au milieu d’un après-midi bouillant. Au coup de sifflet final, les Bigourdans n’étaient plus que treize, car leur talonneur Félix Fauré avait été expulsé dès la septième minute pour ce qu’on avait appelé un « geste d’énervement » sur le numéro 8 adverse, Jean Roques, accusé illico par les Tarbais d’avoir simulé une blessure. Puis, à la 30eme, nouveau coup dur, le capitaine du Stado René Duffour s’était relevé en chancelant, côte fracturée. Il resta sur la pelouse, mais dans la peau d’un comparse, sans pouvoir prendre part aux actions. Et pourtant, Tarbes menait encore 7 à 0 à la 65e, après l’essai du pilier Jean-Marcellin Lastegaray et le drop du centre Amédée Gardeix. Le match bascula donc dans la dernière demi-heure à mesure que les Catalans prirent la mesure d’une défense fatiguée pour se lancer dans de folles offensives, le deuxième ligne François Nauté et le capitaine et centre Félix Barbe réussirent à pointer dans l’en-but pour fournir à Aimé Giral la chance de passer le coup de pied de sa vie. Cette partie ne fut pas un lit de roses, surtout après coup de sifflet final.

Les Tarbais étaient dans une colère noire, pleins de ressentiment au sujet de Charles Gondouin, l’arbitre, qui fut, paraît-il, menacé de mort par des supporteurs ulcérés. Il fut tellement choqué qu’il arrêta sa carrière sur-le-champ. Les Perpignanais n’en revenaient pas de ce premier titre, car leur parcours pour en arriver là avait été homérique. La formule ne prévoyait pas de demi-finales. Il fallait émerger d’une poule de quatre et Perpignan avait terminé sur une égalité à trois avec Bayonne et Toulouse. L’ASP fut obligée de jouer un match d’appui contre Bayonne, qu’il fallut rejouer à deux reprises, la première fois car l’arbitre avait été trop médiocre (!!!), la seconde pour cause de match nul (6-6) à l’issue d’une partie magnifique, tellement exigeante que l’arbitre avait fait une syncope. Le troisième match tourna enfin en faveur de Perpignan (3-0) qui dut se fader un … quatrième match supplémentaire face à Toulouse.

Huit morts d’un côté, trois de l’autre

Mais la dramaturgie de cette phase finale ne fut qu’une paille à côté de ce qui se passa dans les mois qui suivirent sur les champs de bataille du Nord et de l’Est. Le bachelier Aimé Giral n’entreprendra jamais les études d’architecture dont il rêvait. Un peu plus d’un plus tard, en Champagne, un éclat d’obus vint trancher sa jeune vie en perforant son poumon. En souvenir de sa transformation et de son sacrifice, on baptisa le stade de sa ville à son nom. Mais semblable honneur aurait pu revenir à six de ses coéquipiers (Lida, Couffé, Lacarra, Nauté, Schuller, Fournier), tous morts durant le conflit, ainsi que Jean Laffon, vice-président du club. Aucune autre équipe ne vécut semblable saignée. Le tribut des Tarbais fut moindre, même s’’il compta trois martyrs : Lastagaray, Fauré et Pourteau.

Pourquoi une telle saignée à l’USAP ? L’historien Renaud Martinez en a donné les raisons objectives à l’Académie Jean-Michel Canet (Cercle des historiens du rugby catalan)/ L’équipe de 1914 cumulait tous les facteurs de risques statistiques : la tranche d’âge la plus exposée, la forte proportion de sous-officiers qui chargeaient en avant de leurs troupes et la fatalité de la régionalisation des unités jusqu’en 1916. Les hasards des engagements et des batailles pouvaient faucher d’un seul coup des villages ou des cantons entiers. Hélène Legrais, qui a écrit un roman sur Aimé Giral*, nous avait précisé en 2014 : « Le Maréchal Joffre, général en chef, était de Rivesaltes. Il aimait à envoyer des Catalans en première ligne car, disait-il très fier, ils ne reculaient jamais. C’était un général offensif et sa tactique a prévalu au début de la guerre, jusqu’à son remplacement en 1916. Tous les joueurs de l’USAP sont morts en 14 et 15. » Sur le terrain des passions nationalistes, l’offensive à outrance fut bien moins gratifiante que sur les pelouses…

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?