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200 ans de légendes (4/52) - Une foule vengeresse déferle sur l'arbitre

Par Jerome Prévôt
  • 200 ans de légendes (4/52) - Une foule vengeresse déferle sur l'arbitre
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Le France-écosse de 1913 s’est terminé dans la confusion. Les spectateurs sont à deux doigts de lyncher l’arbitre anglais M. Baxter. Il sera sauvé de justesse et le rugby français s’en sortira à bon compte.

Le rugby et son ambiance si magnifique pleine de respect et de gestes chevaleresques. On s’est parfois tellement gavé de ces images édifiantes qu’on en oublie que, très tôt, notre jeu fut soumis à de graves débordements. Ce 1er janvier 1913, la France reçoit l’Ecosse en ouverture du Tournoi.
Deux ans auparavant, les Tricolores ont gagné face à cet adversaire, le premier match de leur histoire. 25 000 spectateurs se pressent au Parc des Princes, une foule énorme pour l’époque. La presse estime que la rencontre bat le record du monde de l’affluence et de la recette : 41 402 francs et cinquante centimes.
Les Ecossais du capitaine F.H. Turner ont repris du poil de la bête depuis deux ans. Ils surclassent vite les Français du centre Gaston Lane. Le score ne fera pas débat 21 à 3. Cinq essais à un, les lignes arrières du XV du Chardon donnent une leçon. Mais la partie passe de la démonstration à l’émeute. Au coup de sifflet final une foule surexcitée envahit le terrain, forcément vexée par la cuisante défaite, elle rabat sa frustration sur M. Baxter l’arbitre anglais. Les témoignages évoquent tous la même férocité de la populace parisienne, montrant les poings, les cannes, les parapluies. Les chroniqueurs évoquent un homme seul coiffé d’un chapeau melon qui se dresse face à la foule. Il s’agit probablement de Cyril Rutherford, Ecossais de Paris, l’un des premiers grands dirigeants du rugby français. Il est bien sûr submergé par la horde vengeresse (jamais jusqu’à sa mort, il ne se vantera de son acte de courage).
La police prend position pour entourer le directeur de jeu, des joueurs des deux équipes tentent aussi de faire rempart de leur corps, les officiels français font aussi leur devoir ; quitte à prendre des coups rageurs à la place du bouc émissaire. On voit même des agents à cheval fouler la pelouse pour disperser cette vague humaine qui écume.
Les trois-quarts des spectateurs méconnaissent le règlement, c’est incontestable mais on évoque aussi un arbitre qui perd sa contenance, qui provoque la foule en furie par des gestes et des mimiques ironiques, voire arrogantes. Les connaisseurs ne critiquent pas ses décisions, mais leur lenteur. Il siffle trop tard et le public se cabre à chaque fois un peu plus.

L’arbitre s’éclipse dans la voiture d’un joueur français

L’Auto décrit ainsi la situation : « Sifflé, hué par la foule, M. Baxter eut encore le tort de se retourner plusieurs fois vers les spectateurs des populaires en riant. Il riait évidemment de leur incompétence à comprendre qu’il avait, lui, arbitre, le règlement de son côté. Et Dieu sait si M. Baxter l’appliquait implacablement, ce règlement, tout en suivant souvent de trop loin les phases du jeu. Ce fut encore une des causes de l’exaspération d’une partie des spectateurs. »
M. Baxter finit par rentrer au vestiaire. Mille personnes stationnent devant la porte, comme pour le lyncher. Mais il s’éclipse par une porte dérobée et monte dans la voiture du célèbre trois-quarts aile Pierre Failliot qui ne jouait pas ce jour-là.
Si on en croit l’Auto, la rage de la foule ne diminue pas pour autant : « Déçus de ne plus pouvoir molester M. Baxter, les manifestants rentrèrent dans Paris par la porte Molitor, puis par la rue Mozart, l’Étoile, les Champs Élysées et les grands boulevards, toujours en manifestant contre l’arbitre, vinrent devant l’Auto, si bien qu’il faut un service d’ordre pour rétablir la circulation dans le faubourg Montmartre. Une délégation des manifestants vint même nous exposer les griefs soulevés, nous dit-on, par la scandaleuse partialité de l’arbitre. »
Les Britanniques sont bien sûr suffoqués devant tant de violence. Le secrétaire de la Scottish Rugby Union laisse tomber un verdict lapidaire resté célèbre : « Si la partie ne peut être jouée que sous la protection de la police ou des militaires, elle ne vaut pas la peine d’être jouée. » Les dirigeants français sont dans leurs petits souliers, le rugby français risque gros. En 1914, l’Écosse refusera de recevoir le XV de France à Murrayfield, les Bleus joueront quand même les trois autres matchs mais la menace d’une exclusion du Tournoi plane. Ce qui est terrible à dire c’est que la guerre de 14-18 fera tout oublier. Après l’armistice, on se réconciliera au nom de la fraternité d’armes. Les deux capitaines n’étaient pas revenus des tranchées de 14-18.

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