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6 Nations 2023 - « Dupont entre dans la tête de tout le monde » : Brian O’Driscoll donne les clés d’Irlande-France

Par Léo Faure
  • "L’Irlande sera favorite"
    "L’Irlande sera favorite"
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En 141 sélections, la légende irlandaise a affronté 15 fois la France. "Et la balance des victoires ne doit pas pencher en ma faveur !" se marre aujourd’hui celui qui, depuis Dublin, a accepté de livrer pour nous les clés d’un match explosif entre les deux meilleures nations du monde.

Allons tout de suite au sujet : c’est qui le plus fort ?

Comme ça, direct ? Mais il y a tellement peu d’écart entre ces deux équipes !

Il faudra pourtant bien les départager…

Mon constat : depuis leur dernier affrontement, remporté par la France à Paris d’un rien (30-24), l’Irlande a progressé. Plus que la France, je crois. Cette défaite a été cruciale sur le chemin de notre équipe d’Irlande. Elle les a fait grandir. On dit toujours qu’on apprend dans la défaite : bon, ça, c’est la théorie. Encore faut-il le mettre en pratique et effectivement apprendre, comprendre pour s’améliorer. Les Irlandais l’ont fait. Par la suite, ils gagnent leur tournée de juillet en Nouvelle-Zélande, ils ont aussi battu l’Australie et l’Afrique du Sud en novembre. Tout est parti de là, de cette défaite en France. Les Irlandais sont plus forts qu’il y a un an. Je les trouve mieux armés dans le défi physique, frontal. Leur talent pour faire les bons choix proche de la ligne de défense est toujours aussi impressionnant. Aussi, ils maîtrisent mieux les scénarios d’un match. Pour moi, l’Irlande sera favorite ce samedi.

Ce match va-t-il désigner l’unique favori pour la prochaine Coupe du monde ?

Je ne crois pas. Même si nous sommes en année de Coupe du monde, le chemin est encore très long… Ce sera peut-être l’équipe à battre, mais pas un favori exclusif. Les deux équipes garderont toutes leurs chances. La Nouvelle-Zélande sera aussi au rendez-vous, je ne m’inquiète pas pour eux. Comme l’Afrique du Sud. Je n’imagine pas qu’il puisse y avoir un seul grandissime favori à ce Mondial. Et tant mieux, c’est tout le charme de cette compétition qui arrive !

Alors, cet Irlande-France serait un match comme les autres ?

Un match de plus, en tout cas. Sa spécificité, c’est l’impact qu’il aura sur le gagnant en termes de confiance. Si les Français réussissent à l’emporter à Dublin, ce sera un coup de tonnerre. Et ils feront encore grandir ce sentiment de force collective qui les habite déjà. Si l’Irlande gagne, ce sera peut-être moins retentissant mais l’équipe en tirera un bénéfice tout aussi grand. La France, c’est l’équipe que nous n’arrivons pas à battre, depuis la dernière Coupe du monde. La dernière qui a gagné chez nous, à Dublin. Si on y parvient samedi, on en tirera une confiance immense.

Antoine Dupont ne fait rien dans la précipitation parce qu’il a toujours un temps d’avance

Les premiers matchs de ce Tournoi des 6 nations 2023 ont livré ce verdict : l’Irlande est au niveau attendu, impressionnante ; la France a, elle, été plutôt décevante en Italie…

C’est aussi pour cela que je pense l’Irlande favorite. Attention à ne pas verser dans l’excès : cette équipe de France est structurellement trop forte pour aligner deux mauvaises performances. Pour autant, ce qu’ont montré les Irlandais au pays de Galles en dit long sur leurs dispositions du moment. Samedi, ils joueront à domicile. Racontez ce que vous voulez : c’est un avantage et un élément important. Et j’y reviens, ils ont appris de leur dernier match contre la France. Ce jour-là, ils ont perdu mais ils ont en fait gagné beaucoup de choses, beaucoup de compréhension sur les petits détails qui leur faisaient défaut. Le match de samedi s’annonce immense mais je suis persuadé que les Irlandais poseront encore plus de difficultés à la défense française. (il marque une pause) Je m’engage, là, quand même. J’espère que je ne vais pas me tromper, sinon je vais avoir l’air de rien y comprendre ! (il éclate de rire)

Dans notre journal, ce lundi, Ronan O’Gara donnait la France plus puissante, l’Irlande plus forte sur le rythme. La clé du match sera-t-elle là, sur la capacité à imposer à l’autre son point fort ?

Je suis d’accord avec ça. Mais je tempère : l’Irlande a beaucoup progressé sur le secteur de la puissance. Par le passé, nous avons cédé face à des équipes très denses comme l’Angleterre, l’Afrique du Sud ou la France, qui possèdent des joueurs à la dimension physique extraordinaire. Ils nous surpassaient mais je nous pense désormais mieux armés. Andrew Porter (pilier gauche) ou Dan Sheehan (talonneur) sont des joueurs vraiment impressionnants, capables de rivaliser physiquement avec n’importe qui sur la planète rugby. Je nous pense moins vulnérables. C’est un autre point d’amélioration. Et notre qualité balle en mains est toujours intacte, que ce soit dans la vitesse d’exécution ou la qualité des choix de passe, proche de la défense. Sur ce point, je crois que l’Irlande n’a pas d’équivalent sur la planète.

L’an dernier, avant la demi-finale de Champions Cup Leinster-Toulouse, vous nous parliez de Gibson-Park et de la façon dont il a contribué à transformer le jeu irlandais. Il sera absent samedi. Une perte cruciale ?

Une perte importante, mais Conor Murray a été excellent au pays de Galles. Ce match était charnière pour lui. Cette année, il a parfois été mis sur le banc avec sa province du Munster. Son début de saison est difficile. Pourtant, l’Irlande lui a maintenu sa confiance et l’a fait débuter. Il a saisi cette opportunité. Il a été très bon dans son jeu au pied, comme souvent. Mais aussi dans l’animation.

Son profil est très différent de celui de Gibson-Park, moins tactique, plus joueur…

Le jeu de l’Irlande a évolué, moins pré-programmé, plus ouvert aux décisions des joueurs sur le terrain. C’était à Conor de s’adapter, de rentrer dans le profil qu’on recherche désormais à la mêlée. La clé du rugby moderne, c’est la vitesse des libérations de balle et le rythme. Quand le ballon est disponible, il faut le jouer sans attendre. Il n’y a pas à tergiverser. Il faut accélérer sans cesse le jeu offensif pour ouvrir des espaces dans une défense. Conor a intégré cela. Il a su évoluer à son tour.

L’an dernier, toujours dans nos colonnes, vous vous demandiez si Antoine Dupont est finalement humain. Vous surprend-il toujours ?

Il y a peut-être moins de surprise, on s’habitue même aux choses merveilleuses. Et pourtant, je le trouve encore plus fort.

C’est-à-dire ?

Des choses moins spectaculaires. Il reste quelques moments d’émerveillement mais Dupont a surtout développé un contrôle sur le jeu incroyable. D’abord, il est d’un calme qui me fascine. Dans un rugby où tout va très vite, il donne l’impression d’avoir toujours plus de temps que les autres. Il ne fait rien dans la précipitation parce qu’il a toujours un temps d’avance. C’est très rare et c’est la marque des très grands joueurs. Je me souviens de Jonny Wilkinson, qui avait ça aussi…

Brian O'Driscoll sous le maillot irlandais
Brian O'Driscoll sous le maillot irlandais Dave Winter / Icon Sport

Une question de sang-froid ?

Pas seulement. Sa force physique lui permet de ne pas craindre l’urgence. Il gagne donc du temps de cerveau pour anticiper ses choix. Des choix qui sont très souvent les bons. Surtout, il entre dans la tête de tout le monde sur le terrain : ses adversaires et ses coéquipiers. Il lit en eux et lit le jeu plus vite que les autres. En clair : il comprend tout ce qui va se passer avant les autres. Lui sait déjà ce qu’il va se passer, donc il prend un temps d’avance. Quelques dixièmes de seconde, cela suffit à faire de grosses différences. Sur un repli défensif, un soutien offensif, en couverture d‘un jeu au pied, il est toujours en avance. Ce sont ces joueurs qui vous font gagner les grands matchs, ceux qui ont ce truc en plus. Avec ce temps d’avance, ils vous sauvent d’une situation chaude ou vous créent des opportunités dans une défense qui semble hermétique.

Fickou c'est un centre de classe mondiale

En 2012, pour ses débuts en Coupe d’Europe, vous avez tweeté : "Qui est ce mec, Fickou ??!!". Il avait alors 18 ans et venait de traverser le terrain avec Toulouse. Alors, 11 ans plus tard, qui est-il ?

C’était il y a bientôt onze ans, vous imaginez ? Et Fickou n’a toujours que 28 ans ! C’est dingue, ce qu’il fait… Avec l’âge et l’expérience, il est devenu un joueur incroyable. Il est l’élément central de la ligne d’attaque française, encore plus depuis que Vakatawa a pris sa retraite. Fickou, c’est le lien entre Ntamack et le triangle arrière. C’est aussi lui qui dirige la défense. Il est aussi très puissant, beaucoup plus que ce qu’il laisse apparaître. Il dégage cette image un peu dilettante mais c’est tout l’inverse : physiquement, il fait très mal et permet souvent aux Français de se remettre dans l’avancée, quand ils sont dans un temps faible. C’est exactement ce que vous attendez d’un centre et Fickou, c’est un centre de classe mondiale.

En face, il y aura Garry Ringrose. Actuellement le meilleur centre au monde ?

En tout cas, c’est légitime qu’il soit cité dans ce débat. Avec Fickou et le Sud-africain Lukhanyo Am, que j’ai trouvé exceptionnel l’année dernière. Ringrose est dans la plus belle forme de sa carrière. C’est, je pense, le plus complet de tous. Il a tout, je ne lui vois pas de déchet ou de point faible. Son grand point fort : la qualité et la vitesse de ses choix, en attaque comme en défense.

Jonathan Sexton ? Je ne l'ai jamais trouvé aussi fort

L’Irlande est confrontée à des problèmes récurrents avec les commotions cérébrales de Johnny Sexton…

(il coupe) Il faut arrêter avec ça !

Pourquoi ?

Ce sont surtout beaucoup de rumeurs. Du bruit pour rien. Une bonne fois pour toutes, il faut le dire. Johnny est mon ami, je le connais très bien. La semaine dernière, il n’y a pas eu de commotion. Avant, c’était une blessure au niveau du cou, rien à voir avec une commotion. Johnny est un grand professionnel, qui considère son corps avec une grande attention. Il est très suivi médicalement et s’ils le laissent jouer, c’est qu’il est parfaitement apte. Les gens qui le suivent, je les connais et ils ne le laisseraient jamais jouer s’il y avait un doute ou un risque. D’ailleurs, Johnny se retirerait de lui-même. Il a trois enfants, vous savez… La seule vérité le concernant : il a 37 ans et pourtant, il n’a jamais été aussi fort. Cela positionne le standing d’un joueur et son professionnalisme.

Vraiment, il est plus fort que jamais ?

Son influence sur l’équipe est immense. Il voit tout et contrôle beaucoup de choses. Vraiment, je ne l’ai jamais trouvé aussi fort. Johnny, c’est un entraîneur supplémentaire mais qui a la chance d’être sur le terrain, donc d’influer directement sur le jeu. Vous imaginez l’avantage, pour l’Irlande, d’avoir un tel leader…

Le meilleur Brian O’Driscoll, au sommet de sa carrière, serait-il encore le meilleur centre du monde ou l’écart entre le rugby des années 2000 et celui des années 2020 est trop grand ?

Deux choses. Premièrement, ce n’est absolument pas à moi de répondre à cette question. Ce que les gens pensent de moi, je m’en fous. Deuxièmement, je n’ai jamais compris ces comparaisons. Un joueur des années 70 avec moi, moi avec Ringrose… O’Gara et Sexton… Ça n’a aucun sens. Vous ne pouvez pas décontextualiser un joueur de son époque. Nous avons tous joué à des sports différents. Vraiment. Entre les années 2000 et aujourd’hui, ce n’est pas le même rugby, pas le même sport. Vous ne pouvez donc pas nous comparer, d’une époque à l’autre. Ça n’a aucun sens. C’est aussi simple que cela.

Vous pouvez construire le centre parfait : quelle aptitude prenez-vous à quel joueur, dans l’histoire ?

Mince, je n’ai jamais réfléchi à ça… Déjà, l’explosivité de Philippe Sella. Quel phénomène ! Ensuite… (il marque une pause) La puissance de Jacques Fourie et le secteur défensif de Conrad Smith, autant ses attitudes au plaquage que sa capacité à lire l’adversaire pour faire le bon geste défensif, au bon moment. Enfin, les mains de Matt Giteau, sa qualité de passe. Quelle technique parfaite ! Et allez, pour compléter le tableau, les offloads de Sonny Bill Williams. ça aurait de la gueule, non ?

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Les commentaires (2)
fojema48 Il y a 1 année Le 10/02/2023 à 17:35

Très bonne interview, super !

Dominiquedu62 Il y a 1 année Le 10/02/2023 à 13:14

Le centre parfait selon Brian O'Driscoll.... "ça aurait de la gueule, non ?"
Oh que oui !