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6 Nations 2023 - La foire du trône : entre Français et Irlandais, deux rois pour un monde

Par Marc Duzan
  • Damian Penaud face à Bundee Aki, c’était en 2022 pour une victoire française.
    Damian Penaud face à Bundee Aki, c’était en 2022 pour une victoire française. Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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6 NATIONS 2023 - On attend ce match depuis des semaines, peut-être même des mois. Entre l’Irlande, première nation mondiale, et son dauphin latin, l’empoignade s’annonce sauvage, fiévreuse et acharnée : l’heure de vérité a sonné !

C’était sympa, l’Irlande. On y débarquait la gueule enfarinée, l’œil scélérat et transportés malgré nous par le puissant élan de nostalgie nous promettant d’apercevoir, même furtivement, le tortillard qui traversait le vieux Lansdowne de part en part et dont nous avaient tant parlé Salviac et Bala, sur Antenne 2. On était alors à Dublin le cœur léger et l’âme bouffie de certitudes : celle de trouver, sous les poutres gluantes du Brazen Head (« la tête insolente », le plus vieux pub de Dublin), le meilleur tord-boyaux du pays ; celle de manger vite et gras, entre une gigue ardente, une rasade de houblon noir et quelques refrains des Pogues ; celle, enfin, de jurer au dernier jour du voyage à la statue de James Joyce, posée en bord de Liffey, que l’on reviendrait très bientôt et pourquoi pas dès demain. À Dublin, le match n’était alors qu’un prétexte et on avait, pour l’ailier Simon Geoghegan, mèche blonde et biceps épais comme des baguettes, Eric Elwood, joues pouponnes et short surmonté d’une belle cage à poulets, ou Nick Popplewell, chaussettes aux chevilles et nez pété, l’affection non-feinte que l’on porte à ceux que l’on ne craint guère. Mais alors, à quel moment a-t-on commencé à frémir à l’idée d’affronter l’équipe nationale irlandaise ? Aux prémices de l’épopée du Munster en Coupe d’Europe, au milieu des années 2000 ? Ou un poil plus tard, au jour où Joe Schmidt fit du Leinster puis du Trèfle des entités tout aussi victorieuses que super chiantes ? Dans ces eaux-là, probablement. Et il y a donc une grosse quinzaine d’années que l’on n’envisage plus du tout le déplacement dans la « dirty old town » * comme une occasion parmi d’autres de prendre du bon temps à moindres frais...

Franchement ? Comme on en a pris, des claques, avant que la bande à Dupont ne saccage l’Aviva Stadium il y a deux ans. Comme on a chargé, en Irlande, avant que le XV de France de Galthié, tombeur de records et chasseur de fantômes, se décide enfin à briser dix ans de galères. Mais la malédiction dublinoise qui s’étala de 2011 à 2021 étant aujourd’hui brisée, on serait donc enclin à penser que le combat des chefs de samedi après-midi a de bonnes chances d’être remporté par nos chelemards. Sauf que… L’Irlande, bourrelle des Blacks ou des Boks en novembre et première nation mondiale, n’a plus grand-chose à voir avec l’équipe qu’avait affrontée les Bleus en 2021 et qu’à ce titre, le sélectionneur Andy Farrell a non seulement laissé intact l’héritage laissé par Schmidt, mais qu’il l’a aussi largement sublimé. à deux cents jours du Mondial, ces Diables Verts qui n’ont jamais dépassé le stade des quarts de finale du tournoi planétaire, combattent comme ils l’ont toujours fait mais à ceci, ils ont aujourd’hui greffé une vitesse époustouflante à des lancements de jeu déroutants.Ils les jettent à la face de leurs adversaires comme un peintre bombarde d’idées diverses une toile blanche. C’est beau, c’est bon et ça complète, finalement, l’explication que nous avait fournie le Munsterman Simon Zebo, au jour où on lui demanda comment un bled de 4 millions d’habitants pouvait produire autant de bons rugbymen, quand bien même l’ailier au catogan James Lowe ou son alter ego Mack Hansen aient tous deux fait leur école de rugby sous d’autres latitudes : « Le rugby est le seul sport professionnel du pays, disait donc Zebo. Tôt ou tard, les plus beaux athlètes irlandais, qu’ils soient issus de l’athlétisme, du football gaélique ou du hurling, se retrouvent donc en équipe d’Irlande. »

L’Irlande ne s’évite pas, elle se fracasse

Tout chelemards qu’ils sont, les Tricolores ont donc de quoi envisager ce déplacement à l’Aviva, où les Verts sont invaincus depuis douze matchs, comme un aller simple en enfer. Au-delà du contexte sportif que l’on vient de poser, s’ajoute, côté vert, un vécu collectif que le football avait connu à l’époque où le Barça du milieu des années 2000 fournissait 90 % de l’équipe nationale espagnole. Cela n’avait jusqu’ici jamais existé, au rugby : « Les internationaux irlandais ne se quittent finalement jamais, nous contait récemment Gaël Fickou. Quand on a affronté le Leinster en décembre (avec le Racing, N.D.L.R.), leurs seize internationaux sortaient de la tournée de novembre et enchaînaient sur la Champions Cup. Cette expérience collective est pour eux une richesse inestimable. » Le XV de France, déconstruit fin novembre et reconstruit cet hiver sur deux maigres semaines de préparation physique, peut-il frapper au cœur son plus grand rival en vue du titre mondial ? Ces Tricolores, brouillons, médiocres, illisibles et foutrement indisciplinés à Rome ont-ils vraiment les moyens de diviser par deux le total de leurs fautes et multiplier par dix la férocité de leur défense ou la vitesse de leurs offensives ? Et surtout, les pères peinards du stadio olympico de Rome ont-ils dans les jambes le pouvoir de tenir le rythme d’un match auquel les Irlandais mettront la fièvre ? La question reste entière tant samedi dernier, Antoine Dupont et ses coéquipiers ont semblé courir après un second souffle qui ne vint finalement jamais…

Le saint augure d’Alan Quinlan

Si l’on en croit le sélectionneur national, les quinze jours d’entraînement ayant précédé l’ouverture du Tournoi en Italie avaient été délibérément féroces, afin d’obtenir « sur le rebond du match à Rome » (Fabien Galthié), un pic de forme pour le sommet que l’on sait, en Irlande. Jusqu’ici ? Tout va bien, en attestent les cinq points arrachés dimanche aux légions romaines. Jusqu’ici, tout se déroule plutôt conformément aux prédictions du staff tricolore. Un plan de vol qui voudrait, in fine, que l’Irlande ne s’esquive pas mais se fracasse. Qu’elle se démolit à grands coups de masse ou sous les torgnoles répétées d’un pack d’une tonne. « J’impute à la sélection irlandaise un seul défaut, disait d’ailleurs à ce sujet Alan Quinlan, ancien flanker du Munster et international à 27 reprises. Elle est athlétique mais manque de densité, en comparaison aux Springboks ou aux Français, ses deux plus grands rivaux en vue du titre mondial. J’ai donc peur, samedi, que nous souffrions dans les duels ou au niveau des impacts. »

Et puisque les rhinocéros du Stade rochelais, lors de la récente finale de Champions Cup, avaient frappé le Leinster jusqu’à lui faire éclater l’armure en mille fragments, on demande solennellement aux balèzes à la cocotte d’embrasser dès demain une attitude similaire. On demande à Uini Atonio de cesser les passes en pivot qui ont marqué sa prestation romaine pour secouer du « ginger »**. On demande à Paul Willemse de redevenir le titan furieux que l’on connaissait jusqu’ici, pas celui qui s’effondrait lourdement à chaque fois qu’un défenseur italien se dressait en travers de sa route. On demande enfin à Gregory Alldritt d’emmener dans son sillage Cyril Baille, Julien Marchand et le grand Tao pour bousculer l’Irlande, réduire l’Aviva au silence et reprendre aux Celtes le sceptre d’Ottokar qu’ils détiennent depuis l’été dernier. Sera-t-on entendu ?

* Vieille et sale ville
** roux

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