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200 ans d'histoire (7/52) : 1892, la Currie Cup, pionnière d’élite

  • La Currie Cup
    La Currie Cup PA Images / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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L’Afrique du Sud a imaginé le premier championnat d’Élite de l’Histoire. La Currie Cup a porté le rugby de ce pays pendant plus d’un siècle. Malgré les outrages du temps, elle continue à séduire.

C’est le championnat domestique le plus ancien du monde. C’est ce que disent les Sud-Africains en jouant un peu sur les mots. Le trophée a pris ce nom particulier en 1892, la même année que le Bouclier de Brennus, mais c’est vrai, on peut dater la naissance de la compétition en 1889, quand la toute nouvelle fédération décida de créer un tournoi interprovincial. Il se déroula à Kimberley entre quatre protagonistes (victoire de la Western Province devant le Griqualand West, le Transvaal et l’Eastern Province). La naissance de cette épreuve est fondamentale au regard de l’histoire, d’abord parce qu’elle consacre le mariage d’amour du rugby et d’une nouvelle terre australe, l’Afrique du Sud. Mais surtout, la Currie Cup fut pendant très longtemps le seul championnat d’élite de la planète ovale… avec le championnat français. Mais elle présentait l’avantage de concerner des sélections provinciales et non des clubs, gage d’un niveau supérieur (les provinces néo-zélandaises s’affrontaient d’une façon différente, via le défi du Ranfurly Shield).

Cette émulation entre rivaux sud-africains fut l’un des atouts qui déboucha sur la qualité des fameux Springboks, la sélection suprême, terreur dès les années 1900-1910.

Au fait, pourquoi la Currie Cup ? Elle porte le nom de Donald Currie, patron de la compagnie maritime qui transporta les Lions en tournée en 1891. Il avait offert un objet destiné à être remis à la formation sud-africaine la plus méritante, les Lions gagnèrent 19 matchs sur 19, mais offrirent le cadeau au Griqualand West, l’adversaire le plus opiniâtre (il n’avait perdu que 3 à 0). Cette province remit tout de suite le trophée à la Fédération qui en fit sa récompense nationale.

Une vie brouillonne

La Currie Cup a connu une vie agitée, brouillonne même. Elle a vécu pas mal de variations en termes de nombre de participants (jusqu’à 22 dans les années 70), de formule, et même de périodicité (certaines éditions se sont déroulées sur deux ou trois ans). Elle a aussi traversé deux guerres civiles (les guerres des Boers), plus les deux guerres mondiales, avant de vivre, évidemment, la période du boycott. Elle n’est devenue annuelle qu’à partir de 1968. La même année, elle décida définitivement de choisir son vainqueur via une finale. En 1975, elle a créé une deuxième division. Elle a aussi accueilli des formations étrangères, venues de Rhodésie, de Namibie et même d’Argentine (avec les Jaguares maintenus en deuxième division). Elle a dû ensuite encaisser le passage au professionnalisme et son corollaire, la création du fameux Super Rugby. Sa popularité et son niveau ont forcément souffert de ce nouveau contexte, d’autant plus que la Currie Cup avait connu une sorte d’âge d’or dans les années 70 et 80, conséquence paradoxale du boycott des Springboks. L’Afrique du Sud devint un pays à part sur la planète ovale, un monde parallèle et fascinant, pas seulement à cause des pelouses d’herbe sèche "kikuyu" qui rendait l’impact des chutes aussi douloureux que ceux des plaquages. Les images qui nous parvenaient tant bien que mal (souvent via des cassettes vidéo) montraient des duels devant des foules de 40 000 à 70 000 spectateurs. Les prises de vue témoignaient d’un engagement féroce de gladiateurs, le rugby sud-africain privé de contacts internationaux semblait envoyer un message au reste du monde : "Regardez ce qu’on sait faire ! Seriez-vous prêts à rivaliser ?" La Currie Cup faisait figure de Tournoi des 5 Nations ou même de Coupe du monde de rechange. Pour les Sud-Africains, elle était le seul rendez-vous avec le rugby de haut niveau, d’où leur attachement nostalgique à ce trophée. Le pays disposait en plus de grandes enceintes et de sponsors puissants et l ‘accueil par l’Afrique du Sud de sélections mondiales "pirates" et rémunérées (1986 et 1989) finit de compléter ce climat. La Currie Cup, c’était alors la planète Mars sur fond de guerre des mondes. Depuis, les Springboks sont revenus sur la scène mondiale, le rugby est devenu professionnel, le Super Rugby et le tournoi de l’hémisphère sud ont réquisitionné les joueurs d’élite. Mais en 2019 (avant les restrictions du Covid-19, donc), pour la finale entre les Free State Cheetahs et les Lions, il y avait encore 40 000 spectateurs dans les tribunes de Bloemfontein alors qu’aucun des futurs champions du monde n’était sur la pelouse. La vieille compétition faisait encore de l’effet, c’est encore une fierté nationale.

Trois Français l’ont gagné

C’est une fierté que de se souvenir que trois Français ont gagné ce trophée, si attaché à la culture sud-africaine. En 1995, Olivier Roumat et Thierry Lacroix se sont imposés avec le Natal aux dépens de la Western Province où jouait… Laurent Cabannes. Les trois joueurs étaient restés en Afrique du Sud après la Coupe du monde. Leur aventure était la preuve de l’attrait de la Currie Cup sur les imaginaires européens. Treize ans après, Frédéric Michalak avait quitté Toulouse pour le Super Rugby mais une blessure l’avait empêché de vivre la fin de la compétition. Il avait demandé à rester à Durban. Il put donc gagner la Currie Cup 14 à 9 face aux Bulls. Trois ans plus tard, Michalak vécut un deuxième séjour à Durban, et une deuxième finale, perdue cette fois face aux Golden Lions 42-11.

Et si l’alignement sur Europe l’achevait ?

La finale de la Currie Cup 2022 a été très commentée, mais pas toujours pour de bonnes raisons. Elle a opposé les Griquas (qui jouent à Kimberley) aux Mpumulanga Pumas (qui jouent à Nelspruit, ex South-Eastern Transvaal). Les deux provinces ne faisaient pas partie, a priori, des favorites, c’était même la première fois qu’elles accédaient à la finale et ce sont les Pumas qui ont gagné 25 à 19. On aurait été bien en peine de trouver des noms connus dans ces deux équipes. Ceci signifie que les grandes écuries du rugby sud-africain, Stormers, Golden Lions, Sharks, Bulls, Free State Cheetahs ont été éliminées avant la finale, mais avec une circonstance atténuante. Ces équipes jouent désormais des compétitions européennes, la Champions Cup et la Ligue Celte. Elles n’envoient en Currie Cup que des équipes dites de développement, sauf peut-être les Bulls. Cette situation a été renforcée par le fait que depuis l’an passé, l’Afrique du Sud a choisi de s’aligner sur la saison nordiste, justement pour que tous les joueurs professionnels soit logés à la même enseigne. La tendance amorcée en 1996 s’est accentuée. En théorie, les joueurs des « grandes provinces » sont susceptibles d’envoyer des joueurs en Currie Cup, mais dans les faits c’est devenu très rare, du moins pour les joueurs de premier plan. Avant 2022, la Saru avait toujours tenté de préserver le modèle qui commençait soit au printemps, soit en été (si phase de qualification ou pas) pour finir en octobre, ce qui permettait à beaucoup de joueurs qui avaient participé au Super Rugby de faire la jonction avec la Currie Cup. Même les joueurs des Springboks mobilisés par le Tournoi des « quatre nations du sud», pouvaient jouer au moins les derniers matchs de leur province. Le nouveau contexte a donc permis au palmarès de s’ouvrir, quel conte de fées pour les Pumas et les Griquas, mais il a un peu plus dévalué la compétition. On s’attend donc à un nouveau changement de formule.

 

Une antichambre du XV de France

Signe des temps, la Currie Cup a permis à des joueurs d’être propulsés en équipe de France. Cas le plus célèbre : le demi de mêlée Rory Kockott, onze capes en 2014-2015. Auparavant, il avait gagné deux fois le trophée, en 2008 et 2010 avec les Sharks. Cas unique. Jamais sélectionné par les Springboks, il émigra vers Castres. D’autres internationaux français ont d’abord goûté à la Currie Cup : Dries Van Heerden (Tarbes, deux sélections en 1992, Western Province). Paul Willemse a joué la Currie Cup avec les Blue Bulls et les Golden Lions (22 apparitions) avant de mettre le cap sur Grenoble, puis Montpellier. L’arrière Scott Spedding (24 sélections entre 2014 et 2017) avait joué un match de Currie Cup avant de venir à Brive, Bayonne, Clermont puis Castres. Ce genre de situation inimaginable auparavant, dit quelque chose de l’attractivité du championnat de France.

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