L'édito du lundi : La chance bleue
Évitons d’emblée le diktat de l’émotion au terme de cet Irlande-France qui tint toutes ses promesses. Un match à l’intensité folle, par instants sublime, tout juste entaché par un essai irlandais litigieux et l’arbitrage de Wayne Barnes qui, cette fois, ne nous a pas été totalement favorable. Mais les raisons de la première défaite tricolore depuis un an et demi sont ailleurs.
Balayons aussitôt l’évidence : la génération "Dupont" regorge de talents immenses et de joyaux à la beauté si rare qu’elle semble dotée de pouvoirs magiques. Et c’est clairement sur l’air du french flair et de "l’impossible n’est pas français", au gré d’un mouvement digne de l’essai du siècle marqué par Philippe Saint-André à Twickenham (1991), que Damian Penaud nous a fait croire au possible succès, malgré la nette domination collective des hommes de Farrell. Et donc, encore, à l’immortalité de cette équipe de France. Vaste chimère.
L’affaire n’a duré qu’un temps. À la fin, ce ne sont pas les Français qui l’ont emporté mais réellement ces Irlandais à l’épatante efficacité collective. Les Verts restent n°1 mondiaux, désormais favoris pour le Grand Chelem et débarrassés de leur dernière bête noire (la France). Les Bleus, eux, doivent entamer une opération "reconquête" à sept mois du Mondial. En quête d’équilibre stratégique et d’efficacité collective. En quête de sens et de cohérence entre les talents.
Nous y verrons une forme d’aubaine pour le XV de France. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce revers doit en effet sonner comme un réveil malin pour une sélection qui n’était plus aussi dominante ces derniers temps, comme engoncée dans un costume taillé à la mesure de son record de victoires (14).
Là où ils ont trouvé de quoi se forger un palmarès et une légende d’invincibilité, les partenaires d’Antoine Dupont ont également touché leurs limites actuelles. Celles de joueurs qui ont beaucoup donné ces derniers mois et qui semblent aujourd’hui marquer le pas physiquement. Celles, enfin, d’une équipe qui tangue entre ses jeux (de possession, de dépossession ou de repossession, si l’on veut suivre la mode), entre le "trop" et le "pas assez", entre l’initiative et l’occupation.
Rien de nouveau, nous direz-vous. C’est toute l’histoire du XV de France qui se retrouve ici résumée en quelques matchs ; celle d’une sélection déchirée d’avoir à choisir entre ses héros, son génial instinct créatif, la force d’un dessein collectif et, plus encore, sa récitation parfaite.
Allez, fermons le ban ! Face à l’Irlande, au bout d’une première mi-temps orgiaque, les Français ont directement pu mesurer ce qui leur manquait toujours pour devenir les n° 1 mondiaux. S’il n’est jamais trop tard pour mieux faire, il y a du confort à s’en apercevoir avant que ne débute la Coupe du monde. L’histoire, toujours elle, témoigne à intervalles réguliers de ces XV de France prêts trop tôt, qui n’avaient pas su se réinventer pour aborder ce moment d’une vie.
Et puis, puisqu’il faut sourire malgré tout, apprécions donc l’ultime chance d’avoir pu délaisser l’habit du grandissime favori qui nous collait à la peau. Celui que tout le monde a tant envie de dégommer…
On vous le jure alors, c’est à présent que les choses sérieuses commencent vraiment.
Je suis déjà abonné(e)
Se connecter pour commenter
Je me connecteVous souhaitez suivre ce fil de discussion ?
Suivre ce filSouhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?