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Portrait - Gregor Townsend, le plus Français des Écossais

Par Nicolas Zanardi
  • Gregor Townsend le "Français"
    Gregor Townsend le "Français"
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Gregor Townsend (sélectionneur de l’écosse et ancien joueur de Brive) - Castres ou Montpellier, son nom figure au sommet de la "short-list" qui circule pour remplacer Laurent Labit à la tête de l’attaque française, après la prochaine Coupe du monde. Tout sauf un hasard tant le parcours de l’homme de galashiels demeure étroitement lié à ses rencontres avec le XV de France…

C’est peu dire que le parcours de Greg Townsend est intimement lié à la France, et pas seulement parce que le CV de l’actuel sélectionneur de l’Écosse a été examiné du côté de Marcoussis pour prendre en main l’attaque des Bleus après le départ de Laurent Labit. Mais bien parce que, depuis près d’une trentaine d’années, l’homme de Galashiels s’est avéré l’un des principaux tourmenteurs du rugby français.

La preuve ? Alors qu’il était aux commandes de la sélection écossaise lors de son succès au Stade de France en 2021 (23-27), c’était déjà lui qui évoluait à l’ouverture du XV du Chardon sur cette même pelouse lors de son précédent succès, 22 ans plus tôt (22-36). Tout comme il était déjà le chef d’orchestre de l’équipe d’Écosse victorieuse pour la dernière fois à Paris en 1995 (21-23), livrant au passage un geste qui est resté dans les mémoires de toute une génération : sa légendaire chistera (prélude de ce qu’on appelle pompeusement aujourd’hui les "offloads") qui avait ouvert dans les arrêts de jeu une voie royale à Gavin Hastings pour l’essai de la victoire des Highlanders… "Avec le recul, on peut voir cette action comme un sacré clin d’œil du destin, souriait le sélectionneur écossais lorsque nous l’avions interrogé à l’époque. En effet, c’est le fils de Gavin (Adam Hastings, N.D.L.R.) qui a réussi la dernière passe sur l’essai de la victoire marqué par Duhan Van der Merwe au Stade de France… Comme s’il s’agissait d’un témoin que nous nous sommes transmis entre génération. C’est vrai que, contre la France, j’ai eu la chance de jouer des matchs qui m’ont marqué. 1999, c’est peut-être le meilleur match collectif que j’ai joué avec l’Écosse. Tout nous avait réussi au Stade de France et, en plus, le pays de Galles avait battu l’Angleterre, nous permettant de remporter le Tournoi. Quelle fête nous avions fait ce soir-là ! Mais 1995, c’est encore différent. Nous ne jouions pas pour le titre, mais ça reste peut-être mon meilleur souvenir à titre personnel. J’ai marqué ce jour-là mon premier essai pour mon pays, et nous avions gagné à Paris pour la première fois depuis 26 ans, à la toute dernière minute. Difficile de faire mieux…"

"Il était plus français qu’écossais"

Faut-il penser que ces coups d’éclat réussis à quatre ans d’intervalle ont suffi à Greg Townsend pour se faire un nom dans l’Hexagone ? Cela relève en réalité de l’évidence… La preuve étant que plusieurs clubs tricolores précurseurs en matière de professionnalisme (Brive entre 1998 et 2000, puis Castres entre 2000 et 2002, avant un dernier crochet par Montpellier en 2004-2005) n’ont pas hésité à s’attacher les services de ce pur cinq-huitième, trois-quarts centre exceptionnel qui commit probablement l’erreur de vouloir se fixer à l’ouverture où il s’avérait pourtant beaucoup plus quelconque. "Il était plus Français qu’Écossais dans sa manière d’aborder le jeu, nous confia un jour Laurent Seigne. Ce qu’on attendait de lui au départ, c’était son côté anglo-saxon, une capacité à tenir une stratégie. Mais il était en réalité un joueur d’instinct, pas vraiment capable de gérer un match au poste d’ouvreur, alors qu’il excellait au centre. Cela a parfois pu générer des incompréhensions, et contribue au fait qu’il demeure un sentiment d’inachevé sur ses quatre ou cinq saisons en France."

Reste que ces années ont permis à Townsend de cultiver une réelle maîtrise dans la langue de Molière, et surtout une connaissance profonde du rugby français et des hommes qui le composent. "J’ai été le coéquipier de Raphaël Ibanez à Castres, j’ai aussi été le dernier partenaire de chambre de Fabien Galthié, lorsqu’il a disputé son ultime match avec les Barbarians français contre l’Australie en 2004, se souvenait l’Écossais. Au-delà d’être un sacré joueur, c’était surtout un formidable compétiteur. J’ai encore le souvenir d’un quart de finale gagné avec Castres contre Colomiers en 2001 (37-26), où il avait été fantastique. Il a façonné l’équipe de France à son image : terriblement compétitrice, qui ne s’avoue jamais vaincue. Ce qui est drôle, c’est que j’ai aussi travaillé pendant une saison avec Thibault Giroud, à Glasgow. Autant dire que je connais plutôt bien votre staff, même si des gars comme Pieter De Villiers ou Finn Russell connaissent aujourd’hui bien mieux le contexte français que moi."

La motivation de 2021 trouvée dans les journaux

Un atout majeur pour la sélection écossaise ? Eh oui, quand même. On se souvient ainsi qu’en 2021, les Écossais avaient fondé une bonne part de leur motivation dans les déclarations... d’avant-match des Bleus, qui avaient clamé haut et fort leur volonté d’infliger au XV du Chardon une victoire avec bonus offensif et un différentiel de points supérieur à vingt pour remporter le Tournoi. "C’est sûr qu’en voyant des gros titres des journaux français qui disaient "On veut gagner le Tournoi", on l’a évidemment utilisé comme motivation, avouait Townsend après coup. Imaginez : les Bleus disaient ouvertement qu’ils comptaient nous battre de vingt points, alors que nous restions sur trois dernières confrontations très serrées et qu’il n’y a pas grand-chose qui sépare nos deux équipes. Que je sache, nous n’avons pas dit avant le match que nous comptions venir battre les Français de huit points pour avoir la deuxième place. Les Bleus l’auraient légitimement utilisé comme motivation, c’était logique que nous fassions de même."

Avec succès, puisque les ambitions tricolores s’étaient finalement retournées contre eux, à l’image de l’erreur finale de Brice Dulin qui permit à l’Écosse de l’emporter et a mis – pour l’instant – sa carrière internationale sur pause. Pas de quoi pour autant soutirer la moindre compassion chez Townsend, sûr de lui et de son équipe, à l’image de tous les grands sélectionneurs. "D’un point de vue écossais, je me dis que Brice Dulin a bien voulu dégager en touche mais qu’il en a été empêché par la montée de Mike Harris, qui n’a rien lâché alors que tout le monde croyait le match perdu, précisait Townsend. Les Bleus pensaient sécuriser le ballon dans un ruck mais le travail de Hamish Watson les a poussés à commettre une faute. Ensuite, il fallait tout de même être capable de tenir le ballon pendant vingt temps de jeu, sous la pluie. Franchement, je ne crois pas que nous ayons volé grand-chose sur ce match… Au contraire : une fois rentrés à l’hôtel, on a pris le temps de réaliser la portée de ce que nous avions fait et c’était extraordinaire. Tout le monde dans l’équipe savait que l’Écosse n’avait plus gagné à Paris depuis 1999. Mais dans l’euphorie, nous avons fait quelques recherches et nous nous sommes aperçus que la dernière fois que l’Écosse avait gagné en France et en Angleterre dans le même Tournoi remontait à 1926 ! Il y a 95 ans… Cela replace bien la portée de ce que nous avions fait cette année-là." Alors certes, d’un point de vue historique, voir l’Écosse réussir le même exploit seulement deux ans après s’avérerait moins marquant. Mais autrement révélateur de la progression fulgurante du XV du Chardon, sous la houlette de ce sélectionneur déjà un brin "Frenchie" et plus si affinités dans quelques mois…

La "parenté" entre Gregor Townsend et Finn Russell semble de prime abord évidente : même appétence pour un rugby créatif fait de prises d’initiatives ballon en main, même parcours professionnel qui a vu les deux ouvreurs évoluer dans le championnat français. Et pourtant, alors que tout semblait devoir les rassembler, les relations entre les deux hommes ne se sont pas toujours avérées idylliques… "Finn et moi, nous travaillons ensemble depuis dix ans. Nous sommes un peu comme un vieux couple et si les joueurs ne sont pas toujours parfaits, les entraîneurs ne le sont pas toujours non plus… Disons qu’après la Coupe du monde 2019, nous étions très déçus de nos performances et un joueur comme Finn avait besoin de prendre un bon soufflon et il a été écarté du groupe, pendant un moment." Pour être clair, Finn Russell n’avait en effet pas disputé les quatre premiers matchs du Tournoi 2020 parce qu’il avait enfreint le protocole de l’équipe en restant un peu trop longtemps au bar…

"Après cela, le confinement nous a paradoxalement permis de nous rapprocher de nouveau, souriait Townsend. On a pu énormément échanger pendant cette période, de façon beaucoup plus posée. Depuis, il est naturellement redevenu un de nos leaders." La preuve ? Finn Russell est actuellement dans la forme de sa vie, ainsi qu’en témoigne son début de Tournoi. Ménagé par le Racing la semaine dernière contre Brive (après avoir été libéré par son club voilà deux ans, alors que celui-ci aurait pu le conserver pour disputer un doublon), Russell sera évidemment un des atouts majeurs de Townsend ce dimanche. 

Digest

Né le : 26 avril 1973 à Galashiels (Ecosse)

Poste : demi d’ouverture, centre

Clubs successifs : comme joueur : Northampton (1995-1998), Brive (1998-2000), Castres (2000-2002), Borders (2002-2004), Sharks (2004), Montpellier (2004-2005). Comme entraîneur : Border Reivers (2005-2007), Ecosse (adjoint, 2008-2012), Glasgow (2012-2017), Écosse (sélectionneur, depuis 2017).

Sélections nationales : 84, en équipe d’Écosse (82) et avec les Lions (2) entre 1993 et 2003.

Points en sélection : 164

Palmarès : vainqueur du Tournoi des 5 Nations en 1999 avec l’Écosse, vainqueur du Pro 12 en 2015 avec Glasgow.

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