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200 ans de légendes (8/52) : Quillan, quand le rugby français travaillait du chapeau

Par Jérôme PREVOT
  • Dans ces années 20, le rugby français travaillait vraiment du chapeau.
    Dans ces années 20, le rugby français travaillait vraiment du chapeau.
Publié le Mis à jour
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À la charnière des années 20 et 30, Quillan mit le rugby français sens dessus dessous. Son mécène, industriel du chapeau estimait qu’un club ambitieux valait mieux que mille affichettes.

Dans ces années 20, le rugby français travaillait vraiment du chapeau. Un club de la haute vallée de l’Aude, Quillan le mit sens dessus dessous suscitant des passions et des jalousies incandescentes. Son président s’appelait Jean Bourrel, il dirigeait une fabrique de chapeaux qui se vendaient dans le monde entier. Difficile d’imaginer Bourrel autrement que mégalomane. Il fut vite élu maire et conseiller général et possédait même une écurie de course. Colossal dans des costumes impeccables, le crâne coiffé d’un de ses couvre-chefs en laine de mérinos, il expliqua sans détour : "Je suis certain d’avoir plus de publicité commerciale en montant une équipe pour le titre de champion de France, qu’en placardant mille affichettes dans la région." 

Il installa donc tout simplement à Quillan la première équipe professionnelle de l’Histoire avec quatre entraînements par semaine, plus le concours d’un masseur-préparateur-physique, des conditions sidérantes pour l’époque… Elles allaient déclencher une tempête sans précédent. Parce que, pour avoir une formation tout de suite compétitive, il lui fallut recruter. Il lança donc une OPA sur l’élite. Le gros vivier des rugbymen des années 1920 se trouvait en Pays catalan. En plus, une crise secouait l’AS Perpignan (trois finales dont un sacre, en 1924, 1925 et 1926). Il en profita pour débaucher huit joueurs d’un coup : Ribère, Galia, Baillette, Soler, Cutzach, Montassié, Delort, Rière, plus l’entraîneur Gilbert Brutus.

Ce n’était plus une saignée, mais une transfusion. Il fit aussi venir le Tarbais Dastarac et les frères Raynaud de Carcassonne. Cette prédation fit scandale. Le regretté Christian Maugard, historien du club nous confia en 2019 : "Le championnat de France était divisé en poules régionales pour limiter les frais. Le secteur du Languedoc était très fort, il qualifiait cinq équipes, presque toujours Perpignan, Narbonne, Carcassonne, Béziers plus un outsider qui changeait. Mais la montée en puissance de Lézignan et de Quillan changea la donne. Une année, Perpignan ne se qualifia pas…"

Un patron sans limite

Quillan amorça son ascension dans un climat de jalousie irrespirable. En 1927, un Perpignan-Quillan, tourna très mal, il vira même à l’expédition punitive. Après une mêlée écroulée, le talonneur audois Gaston Rivière ne se releva pas. Fracture de la sixième vertèbre cervicale. Il mourut deux jours plus tard. Le quotidien L’Auto écrivit : "Journée d’inimaginable fièvre, d’orage et de bataille, qu’un terrible accident a fait tourner au drame. Sombre fatalité, car il n’y a rien de plus lamentable et d’aussi cruel que ces luttes fratricides…"

L’histoire de l’US Quillan charrie donc beaucoup de souvenirs dramatiques, mais on ne peut nier que cette équipe pratiquait le jeu le plus séduisant du moment, la classe naturelle de ses joueurs, leur condition physique et leurs automatismes tranchaient avec le rugby âpre de ses voisins. La finale de 1929 cristallisa tous les remous. Elle fut sportivement magnifique mais moralement lamentable. Lézignan mena 8 à 0 avant de fléchir, et Quillan arracha la victoire sur un ultime exploit de Marcel Baillette : 11 à 8.

Le spectacle fut terni par des bagarres, aussi bien sur la pelouse que dans les tribunes. Mais le prodigue chapelier avait gagné son pari. Son club était enfin champion. L’année suivante, il franchit un nouveau pas en organisant à Quillan, le premier "squad system", quarante ans avant les Gallois. Il organisa un entraînement "sauvage" du XV de France, une entorse manifeste aux règles de l’International Board. Bourrel voulait un rugby de qualité, mais il n’avait pas de limite, il le paya très cher. En 1929- 1930, les clubs languedociens réclamèrent la mise hors championnat de ce club de nantis. La colère était telle que la FFR créa le comité du Roussillon, spécialement pour calmer Perpignan, désormais sûr de se qualifier. L’affaire remonta jusqu’au Comité des 5 Nations, et en 1931, la France fut carrément exclue du Tournoi. Quillan n’y était pas pour rien.

Quillan et Bourrel furent ensuite obligés d’en rabattre car "l’entreprise commençait à piquer du nez, les chapeaux se vendent moins, question de mode. Ils souffrent aussi de la généralisation des voitures. Les gens les enlevaient et ne les remettaient plus", nous narra Christian Maugard. L’US Quillan rentra dans le rang, Bourrel leader des patrons audois souffrit du Front Populaire. Il mourra en 1949, alors que son club et son entreprise ne valent plus grand-chose…

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