L'édito du vendredi : Jelonch, le déclencheur

Par Léo FAURE
  • Anthony Jelonch devrait se faire opérer en début de semaine prochaine.
    Anthony Jelonch devrait se faire opérer en début de semaine prochaine. Sportsfile / Icon Sport
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Il paraîtrait que le meilleur moyen de se blesser, c’est de penser à la blessure. Et inversement. C’est ce que répètent en boucle tous les joueurs, qui jurent donc ne pas y penser. C’est une sorte de mantra facile à dégainer dès que se profile une période charnière, décisive, capitale. Comme c’est désormais le cas avec, dans quatre mois, le début de la préparation à la Coupe du monde. Dans six mois, la Coupe du monde proprement dite. Sur le front des blessures, les Bleus entrent en zone rouge.

Alors, à mi-chemin entre la méthode Coué et l’incantation vaudou, les joueurs qui ambitionnent un siège à la table mondiale, en septembre, répètent en chœur cette assertion invérifiable. Aussi celle-ci : "ne pas jouer à fond, c’est le meilleur moyen de se blesser". Une autoconviction presque hiératique et qui appelle à des fruits libérateurs, comme pour se soulager du poids de la peur. Mais qui ne donne rien, dans les faits.

La chute d’Anthony Jelonch, alors au sommet de son vol dimanche au stade de France, est venue le rappeler à tous. Et les larmes de ses coéquipiers, dans le vestiaire après le match, en disaient autant sur la place affective et sportive que tient le Gersois dans le groupe France, que sur les craintes qui les habitent eux-mêmes. Difficile pourtant de dire que le troisième ligne toulousain jouait avec le frein à main : en dix-huit minutes passées sur la pelouse, Jelonch avait déjà impacté six plaquages, chahuté cinq rucks et mis à mal les poids lourds écossais. Féroce, il était l’homme de ce début de match.

Plus pragmatiquement, deux facteurs seront à considérer pour les mois qui viennent et cette foutue peur de la blessure au pire moment. La malchance, tout d’abord, contre laquelle on ne peut rien. La blessure ne frappe pas toujours la bonne personne au bon endroit. Elle s’abat telle une foudre, hasardeuse, sans qu’on puisse toujours y trouver une logique profonde. Ainsi va la vie du sportif, parfois injuste. Un aléa qu’il faut aussi accepter.

L’autre facteur est nettement plus rationnel, et c’est ici qu’il faudrait porter ses efforts. La blessure de Jelonch est aussi consécutive à plusieurs discours, entendus ces dernières semaines dans son entourage : le Toulousain était mâché. Usé de 1 300 minutes de temps de jeu, déjà, l’équivalent d’une saison complète dans l’hémisphère sud. Le système français connaît ce problème de la surutilisation des joueurs de longue date. Il a déjà nettement progressé à ce sujet, au fil des "je t’aime, moi non plus" entre la Ligue et la Fédération. Mais en cette année de Coupe du monde, le rugby français n’a pas su aboutir à une limitation stricte des temps de jeu. Ce qui ne restera pas sans conséquence.

Jelonch est aussi consumé par un rugby qu’il pratique à sa manière, immensément généreuse, ce qui force l’admiration et lui assure une première place dans tous les effectifs, y compris dans le prestigieux concert international. Mais un rugby traumatogène et, donc, accidentogène.

L’accident est donc survenu. Rupture d’un ligament croisé. Ce qui, techniquement, ne l’élimine pas encore complètement de la course à la Coupe du monde. Les temps de passage pour un retour à la compétition en septembre seront serrés, pas intenables. Mais, désormais, dans l’esprit de tous, la menace est clairement identifiée : chaque grave blessure verra ses conséquences décuplées. Tout le monde y pense. Les joueurs, surtout.

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