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1955, Jean Prat gagne le plus beau des surnoms

Par Jérôme PRÉVÔT
  • Jean Prat dans toute sa détermination. Il fut le joueur le plus impressionnant des années 50, un troisième ligne qui savait tout faire. Le match Angleterre-France de 1955 fut peut-être son chef d’œuvre sous le maillot bleu. Il réussit deux drops décisifs, fit preuve d’une activité implacable et se comporta en meneur charismatique. Mais hélas, la France manqua le grand chelem au match suivant. Photo Archives Midi Olympique Jean Prat dans toute sa détermination. Il fut le joueur le plus impressionnant des années 50, un troisième ligne qui savait tout faire. Le match Angleterre-France de 1955 fut peut-être son chef d’œuvre sous le maillot bleu. Il réussit deux drops décisifs, fit preuve d’une activité implacable et se comporta en meneur charismatique. Mais hélas, la France manqua le grand chelem au match suivant. Photo Archives Midi Olympique
    Jean Prat dans toute sa détermination. Il fut le joueur le plus impressionnant des années 50, un troisième ligne qui savait tout faire. Le match Angleterre-France de 1955 fut peut-être son chef d’œuvre sous le maillot bleu. Il réussit deux drops décisifs, fit preuve d’une activité implacable et se comporta en meneur charismatique. Mais hélas, la France manqua le grand chelem au match suivant. Photo Archives Midi Olympique
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En 1955, Jean Prat réussit le plus grand match de sa arrière lors de la victoire des Français à Twickenham. La presse britannique sidérée le couvre de louanges et trouve un sobriquet qui restera : "MONSIEUR RUGBY".

Le rugby français n’est pas toujours conscient de ce qu’il doit à Pat Marshall, vieux renard de Fleet Street. Ce journaliste britannique, mort en 1975 est l’inventeur de l’expression "French Flair" et surtout, c’est lui qui baptisa Jean Prat du plus beau des surnoms : "Monsieur Rugby". Ça s’est passé en 1955 après la deuxième victoire du XV de France à Twickenham, 16 à 9. Entre les rafales de bises glaciales, le capitaine français avait sidéré l’imposante foule transie où avait pris place pour la première fois un contingent significatif de supporteurs tricolores. Jean Prat avait notamment claqué deux drop-goals, deux coups de fouet cinglants pour faire basculer une âpre bataille du côté des Tricolores. Le second drop mérite la citation car Jean Prat ne s’était pas mis en profondeur pour téléguider son demi de mêlée, il le tente à 13-9 sous une extrême pression après un ballon récupéré. C’est Jacky Bouquet lui même bousculé qui lui fait une passe à la va-comme-je-te-pousse, la rotation du corps est parfaite : "Jean Prat avec un calme de matador ajuste un drop inexorable : 16-9, à jamais, il restera pour les experts britanniques "Monsieur Rugby" ", relate Herni Garcia dans sa "Fabuleuse Histoire du Rugby".

Le don de l’omniprésence et la grande gueule

Il subsiste assez peu d’images des performances de Jean Prat et de son visage anguleux, de son corps noueux. On croit comprendre que dans ce rugby des années 50, il faisait la différence par l’endurance, l’adresse, l’opportunisme. Jean Prat s’astreignait à un footing quotidien jusqu’au sommet du Pic du Jer. C’était la base physique de sa suprématie. Il la complétait avec une faculté innée pour le commandement et une noble ambition pour son sport qui devait se pratiquer via le jeu le plus complet possible, sans se cantonner dans la fange d’un obscur combat d’avants. Depuis sa retraite basque, Henri Garcia se remémore ses sensations : "Jean Prat donnait une impression d’omniprésence très impressionnante. Il était partout, et il savait tout faire." Le Midi Olympique écrivait : "Jamais il ne fut aussi maître de son art, aussi précieux pour son équipe. Les journaux britanniques lui consacrent la plus large par dans leurs commentaires et usent à son endroit des qualificatifs les plus élogieux… Le Lourdais fut non seulement le patron que l’on connaît mais aussi un acteur extrêmement efficace. Ses montées défensives sur J.E. Williams le meilleur britannique génèrent considérablement, ce demi de mêlée vif comme la poudre et robuste."

Ancien rédacteur en chef de Midi Olympique Henri Gatineau est aussi l’un des derniers à l’avoir vu jouer. "Il était bon en tout, c’était un surdoué. Il portait le ballon, il plaquait. Il savait aussi jouer avec les règlements, il était toujours à la limite du hors-jeu. Il parlait aux arbitres, il parlait à ses coéquipiers, à l’adversaire, à tout le monde en fait. Pour donner une idée aux plus jeunes, je dirais que c’était le McCaw de l’époque."

1955, Jean Prat gagne  le plus beau des surnoms
1955, Jean Prat gagne le plus beau des surnoms

On estime que Richie McCaw était quand même plus diplomate car Jean Prat était aussi connu pour la rudesse de son langage. Sur le terrain, il ne mâchait pas ses mots pour recadrer ou motiver ses coéquipiers. Lors d’une algarade célèbre, il avait traité Lucien Mias de "grande gueule", mais il était aussi grande gueule que lui.

En ce 26 février, il avait dû exercer à plein ses talents d’orateur car le XV d’Angleterre est conquérant et même dominateur. Dans le compte rendu d’Henri Garcia on peut lire : "Le pack tricolore est bousculé, pétrifié, les lignes arrières sont affolées par les percées des deux centres Davies et Butterfield… Young et Yarranton sont maîtres à la touche et Maurice Prat souffre des vertèbres et endure un interminable calvaire." Après une infernale première demi-heure, "Tout serait perdu si Jean Prat n’était pas là. Il tempête pour secouer ses avants où seuls Baulon et Celaya surnagent. Il se multiplie en défense et à la 33e avec une rapidité sidérante, il fait éclater un drop immense. C’est un choc psychologique tant espéré. Jean Prat est encore là pour briser une attaque anglaise (54e) et permettre la contre-offensive qui aboutit à l’essai de Celaya sur recentrage de Dufau."

Pat Marshall, pétri d’admiration

Midi Olympique avait à cette époque le génie des titres à rallonge. En tête : "La ruée fantastique des Français arrache aux Anglais, le sort d’un combat longtemps indécis." En dessous, plus sobrement : "Et Jean Prat donna le ton". Ainsi les Fançais renversent le match jusqu’à l’exploit après l’un des premiers matchs course-poursuite de leur histoire et devant sa machine à écrire Pat Marshall trouve la formule qui fait mouche.

Henri Gatineau poursuit : "Ce surnom de Monsieur Rugby avait fait beaucoup de bruit car Pat Marshall était un "monstre" du journalisme, la plume la plus respectée de la presse britannique." Henri Garcia se souvient aussi de Pat Marshall qui a trouvé sa place dans la légende du rugby français : "Un Anglais conservateur mais bon vivant. Du genre à dire que si tel truc arrivait, il mangerait son chapeau. Et de se pointer la fois suivante avec un chapeau… en pâtisserie pour tenir sa promesse." Le Midi Olympique, sur le moment ne fit pas référence au "Monsieur Rugby", il fallut quelques jours pour qu’il parvienne en France.

Ce surnom marqua aussi d’une certaine façon l’entrée de la France au Panthéon des nations majeures, trois ans avant la tournée de 1958. Déjà parce que la France fut assurée de la victoire dans le Tournoi après ce succès.

La naissance de ce surnom historique porte sa part de tristesse car la victoire de Twickenham déboucha sur le match du grand chelem face au pays de Galles à Colombes : une engouement extraordinaire. Jamais la gare d’Austerlitz n’avaient été à ce point prise d’assaut par les supporteurs du Sud-Ouest, jamais un match de rugby n’avait attiré une telle foule en France, (62 000 spectateurs). Jean Prat pour son dernier match avec les Bleus allait peut-être coiffé sa première vraie couronne internationale. Hélas, le pays de Galles s’en vint doucher tout un stade, 16-11. Monsieur Rugby ne connaîtrait pas de victoire en solo dans le Tournoi ni de grand chelem. Mais de cette campagne 1955, il gagna le plus beau des surnoms, fruit de son mano a mano avec Pat Marshall, son mémorialiste pour l’éternité.

* La France avait déjà gagné le Tournoi 1954, mais à égalité avec le pays de Galles et l’Angleterre. Elle n’avait jamais gagné le Tournoi en solo.

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