Tournoi des 6 Nations - Angleterre - France : duels de valeurs sûres et montantes

Jamie George VS Julien Marchand

"C’est dur car ce sont deux joueurs pour lesquels j’ai une vraie affection." Mercredi, à l’heure d’évoquer le face-à-face entre Jamie George (32 ans, 75 sélections) et Julien Marchand (27 ans, 27 sélections), Benjamin Kayser avait le sourire dans la voix. L’ancien talonneur international, capé à 37 reprises, a tenu à parler des hommes avant de décrire les joueurs : "Julien, je le connais depuis longtemps et je suis associé avec son cousin, on a une relation presque familiale. Jamie, c’est un des talons avec lequel je me suis le mieux entendu dans ma carrière. Que ce soit avec Clermont ou le XV de France, on a souvent croisé le fer. Et comme je suis bilingue, j’étais un de ceux avec qui il parlait le plus. On se voit même dans la vie personnelle. Je peux vous dire que ce sont deux superbes personnes, déjà, ce qui n’est absolument pas négligeable dans leur qualité de leaders. Ce sont des mecs de vestiaire, des gars avec qui les autres ont envie de jouer."

Ces deux talonneurs partagent de multiples points communs : à deux centimètres près, ils affichent les mêmes mensurations (1,83 m et 108 kg pour l’Anglais, 1,81 m et 108 kg pour le Français), sont des joueurs d’un seul club (les Saracens et Toulouse) et ont décroché les mêmes titres (championnat, Coupe d’Europe, Tournoi), avec un avantage en nombre au plus expérimenté.

"Julien, Le meilleur au monde"

Mais le temps, désormais, joue en faveur du Français. "Dans la réalité, ils ne sont pas si similaires que ça, relève l’ancien joueur de Paris, Leicester, Castres et Clermont. Il y en a un qui est devenu, au cours des dix-huit derniers mois, le meilleur talonneur du monde. Julien a cette capacité à être propre sur les bases - il est costaud en mêlée et a progressé en lancer - et à être un quatrième troisième ligne dans le jeu. Quand on voit qu’il tourne à deux ou trois turnovers par match en Coupe d’Europe…. C’est un David Pocock en fait." Sur cette édition, au sein d’un collectif moins efficace dans le jeu au sol, il a gratté "seulement" deux ballons. En face, Jamie George est installé depuis des années parmi les références : "Jamie, c’est tout ce que j’aime chez un talon, c’est la stabilité, la fiabilité sur la durée. C’est le meilleur lanceur du circuit international. Techniquement, il est au-dessus. Et en mêlée, c’est un roc. Il est moins bon au grattage mais il a une condition physique hors normes. Aux tests, il est parmi les meilleurs. Ce n’est pas marqué sur son front, il a cette dégaine un peu dégueulasse avec sa petite bedaine et ce n’est pas le mec qui va mettre les plus gros tampons. Mais il tourne à 25 plaquages par match depuis cinq ans. Et il joue quasi 80 minutes par partie alors qu’il y a du monde derrière."

Sur la dynamique du moment - les statistiques le confirment par ailleurs, le Tricolore se détache légèrement : "Il y en a un qui est juste au-dessus actuellement, c’est "Ju". De par les turnovers et sa présence dans le jeu. Ce qu’il fait pour relancer tous les ballons lents, ce n’est pas très beau à voir mais c’est tellement précieux." Samedi, les Bleus auront besoin d’un Julien Marchand à son meilleur niveau pour remporter le bras de fer : "Dans un match qui devrait être plus cadenassé qu’en Irlande, le rôle du talonneur sera énorme, comme souvent, conclut le consultant de la chaîne britannique ITV, qui analysera la rencontre aux côtés de Jonny Wilkinson et Clive Woodward. C’est en tout cas un des duels qui m’excite. Surtout qu’ils ne vont pas se prendre le chou, ce sera juste un bel affrontement sportif." Un sommet de rugby international.

Freddie Steward VS Thomas Ramos

Ils n’ont finalement que le numéro en commun. Cinq ans, 18 centimètres et 14 kilos séparent Freddie Steward (22 ans, 1,96 m, 101 kg) de Thomas Ramos (27 ans, 1,78 m, 87 kg). David Mélé, passé par le staff de Leicester et actuellement entraîneur des espoirs et responsable des skills au Stade toulousain, est mieux placé que quiconque pour en parler : «Ils sont complètement différents de par leur gabarit mais aussi dans le rugby qu’ils pratiquent. On connaît tous la philosophie qui anime Thomas.Il aime la vitesse, le désordre, la contre-attaque.Il est très efficace sur la couverture du fond de court et c’est un communicant incessant et hyperactif, qui a besoin d’être dans l’organisation, ce qui le rassure et rassure tout le monde. Freddie est beaucoup plus aérien.Il n’hésite pas à relancer mais je dirais qu’il sent moins le jeu que Thomas.Il peut être tout aussi efficace mais il n’est pas aussi créatif. »

De toutes les différences, leur parcours sur la scène internationale est des plus marquantes : l’un n’a pas perdu de temps quand l’autre a dû se montrer ô combien patient. Capé pour la première fois à 20ans, à l’été 2021, le prodige de Leicester s’est immédiatement installé comme le numéro 15 attitré du XV de la Rose et une de ses armes les plus redoutables sur le plan offensif (il a inscrit six essais sur les deux dernières années). Au pays de Galles, fin février, Freddie Steward a connu sa vingtième titularisation en vingt sélections. Avec, à la clé, une de ses performances les plus accomplies: sa qualité technique, la longueur de son jeu au pied et son aisance sous les ballons haut ont confirmé son statut de valeur montante et lui ont valu le titre d’homme du match à Cardiff. On ne peut plus parler de révélation à son sujet. En novembre dernier, World Rugby l’avait choisi comme numéro 15 de l’équipe type monde 2022. « Est-ce que ça m’a surpris ?s’interroge David Mélé.Oui et non. Il a enchaîné un bon Tournoi et une très belle tournée d’été, en plus de son titre de champion avec Leicester. Ça m’a étonné dans le sens où il y a plein de très bons 15 dans le monde et je ne m’attendais pas à ce qu’il reçoive de telles louanges aussi vite. »

« S’il arrive à se sortir de ces situations… »

Après avoir longtemps dû se contenter de bouts de match et d’entraînements, Thomas Ramos trouve enfin de la continuité en Bleu. Pour la septième fois de suite, il débutera avec le 15 dans le dos samedi. Sur le début de Tournoi, le Toulousain a confirmé sa belle tournée d’automne en se montrant décisif : avec 45 points, il est le meilleur réalisateur de l’épreuve et ses deux essais, plein d’opportunisme, à Rome et contre l’Écosse, ont été précieux dans l’obtention de courts succès. Si le natif de Mazamet ne peut donner libre cours à son flair offensif dans le système tricolore, il a su, à l’exception de sa sortie irlandaise, répondre aux attentes tactiques de l’encadrement en amenant un petit grain de folie : il est le troisième joueur à avoir parcouru le plus de mètres dans cette édition (315).
À Londres, dans ce qui devrait être une bataille tactique, la précision de son jeu au pied et sa capacité à jouer les bons coups seront tout particulièrement déterminantes. Il sera aussi à n’en pas douter mis à rude épreuve dans le jeu aérien. « Ce sera un secteur clé, quand on connaît l’utilisation du jeu au pied de pression par l’Angleterre, sait l’ancien demi de mêlée. Ce sera un beau duel. Je donne un petit avantage à Freddie dans ce secteur-là même si Thomas est intelligent, sait se placer et a prouvé qu’il n’hésite pas à aller à la lutte. S’il arrive à se sortir de ces situations et qu’il a du champ derrière, ça pourrait faire mal en revanche. »