Abonnés

Reportage - Un an après la disparition de Federico Martin Aramburu, ses proches se confient sur le premier jour du reste de leur vie

Par Marc DUZAN
  • Il y a un an, Shaun Hegarty accompagnait Federico Martin Aramburu lorsque celui-ci fut assassiné en plein Paris. La semaine dernière, l’ancien trois-quarts centre nous a donc reçu chez lui, à Biarritz.
    Il y a un an, Shaun Hegarty accompagnait Federico Martin Aramburu lorsque celui-ci fut assassiné en plein Paris. La semaine dernière, l’ancien trois-quarts centre nous a donc reçu chez lui, à Biarritz. Midi Olympique - Pablo Ordas
Publié le Mis à jour
Partager :

Il y a un an, Federico Martin Aramburu était assassiné sur un bout de trottoir du boulevard Saint-Germain, à Paris. Pour nous, son épouse Maria et son ami Shaun Hegarty, rescapé de la terrible fusillade, ressuscitent le souvenir de leur "être solaire"…

La rétro 2023

Pour clôturer cette année 2023, Rugbyrama vous propose une rétrospective de ses sujets forts des 12 mois écoulés. Entretiens, reportages et plus encore : des articles à voir (ou à revoir) qui ont marqué l'année de votre site et application rugby favori.

Leur vie a basculé il y a un an. Ce matin du 19 mars 2022, Maria, l’épouse de Federico Martin Aramburu, ne dormait plus depuis déjà une heure. « La veille, se souvient-elle, j’étais sortie avec des amies. Je m’étais couchée assez tard mais à 6 heures, le petit (2 ans à l’époque, N.D.L.R.) m’a réveillée. J’ai donc quitté le lit un peu agacée. Une heure plus tard, alors que nous étions sur le canapé, Miren et Mathilde (l’épouse et la sœur de Shaun) ont tapé à la porte. C’est là que ma vie s’est arrêtée… » Rapidement, la maison familiale des Martin Aramburu s’est alors emplie de gens, la tête en vrac, le visage déformé par la douleur, les yeux bouffis de larmes. « Ce fut un tourbillon dont je ne garde que peu d’images, poursuit Maria. Je suis restée si longtemps sonnée. La force, je ne l’ai vraiment retrouvée que quelques jours plus tard, quand j’ai compris que je n’avais pas le droit de m’écrouler, qu’il y avait beaucoup de décisions à prendre et que « Fede » aurait voulu que je me batte pour nos trois petits. » Mais leurs enfants, à un âge où l’on devrait tous être épargnés par l’horreur, ont-ils alors vraiment compris ce qu’il se passait autour d’eux ? « À la maison, nous avons toujours éduqué nos enfants dans un esprit de vérité, explique Maria. Ils ont compris que leur papa n’était pas revenu et qu’il ne reviendrait plus. Un an plus tard, les filles ont toujours leurs moments de douleur. Le petit, lui, dit ce qu’il ressent avec ses mots : parfois, son papa est parti en voyage ; d’autres, il a été mangé par un dinosaure… » 

À la terrasse du Milady Beach, qui fait face à l’Atlantique, Maria Martin Aramburu suspend son récit, essuie une larme et se redresse. Maladroitement, on s’excuse de raviver en elle des souvenirs qu’elle souhaiterait probablement enfouir à jamais. Elle balaye nos bégaiements, tente un sourire et répond, fataliste : « Je pleure tous les jours, vous savez… Que l’on me parle ou pas de « Fede »… » Assis face à elle, Shaun Hegarty tend une main tremblante vers la veuve, recouvre son poignet d’un geste fraternel et retient le flux d’émotions qui menace à tout moment de le submerger. Lui ? Il était aux côtés de Martin Aramburu ce matin d’hiver où l’ancien trois-quarts centre des Pumas et du Biarritz olympique fut assassiné de six balles dans le corps. La traque à laquelle fut au préalable soumis « Fede » sur le boulevard Saint-Germain, dans le cinquième arrondissement parisien (lire ci-contre), Shaun Hegarty l’a donc vécue de l’intérieur. Ce matin du 19 mars 2022, son meilleur ami et associé a même lâché son dernier soupir dans ses bras, sur des mots que Shaun préfère aujourd’hui taire.

Longtemps, Hegarty a été torturé par cette question : « Comment ai-je pu échapper aux tirs alors que mon meilleur ami a ce jour-là perdu la vie ? Pourquoi lui et pas moi ? » Longtemps, il n’a pu évoquer cette nuit d’horreur sans s’effondrer brutalement. Longtemps, il a refusé de prendre la parole publiquement. Alors, pour adoucir un exercice que le survivant imaginait probablement insupportable, son avocat Christophe Cariou-Martin lui a dernièrement proposé de réaliser l’interview sous la forme d’un road trip qui démarrerait dans les locaux d’Esprit Basque, l’agence de voyages que les Hegarty et Maria Martin Aramburu dirigent. Elle se poursuivrait dans le café de Manuel Carizza où « Fede » s’arrêtait tous les matins, et se terminerait sur la plage de la Milady, le petit coin de paradis de l’ancien Puma. « Revenir sur tout ça m’est à la fois difficile et me fait du bien, dit-il en préambule. Mais si j’ai aujourd’hui décidé de parler, c’est surtout pour que les gens n’oublient pas… Pour qu’ils n’oublient jamais, en fait… »

« C’est une cicatrice que j’aurais en moi toute ma vie »

À 39 ans, Shaun Hegarty est un papa de deux petites filles qui tente, au quotidien, de donner le change et « d’avancer, coûte que coûte ». Les yeux penchés sur sa tasse de café, il poursuit : « On ne fait pas abstraction. Jamais. C’est impossible. Ce drame, j’y pense tous les jours. Mais que faire ? Je ne peux pas revenir en arrière… Il n’y a pas de chemin retour… » Bon an mal an, l’ancien trois-quarts centre du Biarritz olympique, de l’Aviron bayonnais et de Narbonne essaie donc de reprendre le cours d’une existence interrompue par une fusillade. Conscient qu’on ne refait pas sa vie mais que tout au plus, on la poursuit. « Quand on avait des moments de stress à l’agence, Fede me disait souvent : « Calme-toi, Shaun. Et profite des choses simples. » Alors, quand ça ne va pas, je reprends ses mots à mon compte. Je vais marcher en montagne sur les hauteurs de Bidarray ou me baigner dans l’océan. L’eau froide me fait du bien, je crois : j’ai l’impression qu’elle me nettoie de toute cette haine, de toute cette violence. »

Federico Martin Aramburu et Shaun Hegarty posent ensemble
Federico Martin Aramburu et Shaun Hegarty posent ensemble Midi Olympique - Midi Olympique

À présent, Hegarty suspend sa phrase, jette un œil à l’infinité bleue nous faisant face et esquisse un sourire : « Un jour où l’on buvait un café ici, j’ai dit à Fede : « Allez, viens, on va nager au grand large. » Il aimait ce genre de défi. Il aimait vivre des trucs qui sortent un peu de l’ordinaire. Alors, il m’a suivi et ce jour-là, on est allé loin, à quasiment 500 mètres du rivage. Tout à coup, on a alors vu foncer sur nous d’énormes nuages, caractéristiques du brouillarta (rafales de vent froid et humide qui peuvent faire descendre la température de 20 degrés en une heure, N.DL.R.). Là, je lui ai dit : « Dépêche-toi, Fede, on est dans la merde ! Si on ne rentre pas vite, on est foutu ! » Pendant tout le chemin du retour, il m’a insulté : « Quelle idée de merde ! Bravo ! On a l’air de quoi, maintenant ? » Et puis, quand on est arrivé à bout de souffle sur la berge, il a éclaté de rire et on s’est tombé dans les bras. » Le visage à présent éclairé par un demi-sourire, Shaun Hegarty assure ne s’être jamais senti isolé, depuis le drame. Et remercie, aujourd’hui, tous ses « potes, la famille du rugby, la pena des Archiballs » et ceux qui, connus ou pas, lui ont un jour posé la main sur l’épaule, lancé un sourire ou carrément mis « leur vie entre parenthèses » pour l’accompagner quelques mois. « J’ai accepté la situation mais ça ne veut pas dire que la colère a disparu. Quand je repense à ce drame, je me dis que ç’aurait pu se passer différemment ; je me dis qu’ils auraient pu en changer l’issue… Toutes les nuits, j’ai des images qui me reviennent en tête : ça fait partie de mes cicatrices, de celles que les gens ne voient pas. »

La bataille d’un survivant

Un an après les faits, les enquêteurs poursuivent leur travail de reconstitution dans le cadre d’une instruction menée à Paris. Hegarty poursuit : « Depuis la fusillade, je suis retourné deux ou trois fois sur le boulevard Saint-Germain. C’est mon petit moment de recueillement à moi. » Et tout remonte, n’est-ce pas ? « Je n’ai pas besoin d’y être pour que ça remonte… Ça remonte régulièrement, à vrai dire… Ça remonte tous les jours, toutes les heures… » Et ça continue de hanter ses nuits. « Le manque de sommeil a fait partie pour moi des choses les plus difficiles à gérer. Pendant des mois, je n’ai pas pu vraiment dormir. » Récemment, son pote Jean-Baptiste Peyras, ancien arrière de la Section paloise et Montpellier, a donc décidé de le pousser à reprendre le sport. « Depuis, mes nuits sont toujours aussi agitées mais au moins, la fatigue physique chasse une partie des angoisses et m’aide à m’endormir. » Il marque une pause, secoue la tête, relève les sourcils : « J’étais si naïf, avant tout ça… Je pensais que tout le monde était bon, sur Terre… Je nous pensais tous à l’abri d’une telle violence, d’une telle haine. […] Malgré tout, je crois toujours en la vie et j’ai aussi l’espoir que bientôt, la justice prendra des décisions à la hauteur de toute cette cruauté. »

Shaun et Maria ne seront évidemment plus jamais les mêmes. Ils assurent néanmoins que l’agence de voyages et l’organisation d’évènements leur permettent aujourd’hui de continuer d’avancer. Chez Esprit Basque, l’activité s’est accélérée en vue du Mondial. La semaine dernière, l’accueil de deux équipes argentines en tournée, avec en point final un match contre l’équipe nationale espagnole et l’Aviron bayonnais, a même eu pour eux une signification particulière. Comme un trait d’union entre hier et demain. Mais à jamais accrochés au souvenir de Fede, leur « être solaire », ils se battront jusqu’au bout pour que ce drame ne soit pas jeté aux oubliettes ou enterré sous d’autres tonnes de faits divers. « Parfois, sourit Maria, je regarde le canapé où il chahutait avec le petit. D’autres, je regarde les vidéos où il faisait danser son fils sur des airs latinos, en remuant du postérieur. Ce qu’on riait, ces jours-là… » Hegarty conclut : « Le jour des obsèques de Federico, sa mère a dit que l’amour triomphe de tout. Et une maman a toujours raison…

Le récit d’une nuit d’horreur

À Paris, la première partie du cauchemar a été filmée par des caméras de vidéosurveillance. Elle est donc facilement retraçable : ce matin du 19 mars 2022, il est donc 5 h 30 lorsque Shaun Hegarty (39 ans) et Federico Martin Aramburu (42 ans) prennent place au Mabillon, un café du boulevard Saint-Germain. Les deux hommes s’attablent à une terrasse peuplée d’oiseaux de nuit. Il y a, à un mètre d’eux, une première table où sont assis Loïk Le Priol, Lyson Rochemir et Romain Bouvier. Interpellés par le comportement de leurs voisins de table, Shaun Hegarty et Federico Martin Aramburu décident d’intervenir, demandant à Le Priol et Bouvier de faire preuve d’un peu de modération vis-à-vis d’une tierce personne. Aussitôt, Le Priol se lève et menace Hegarty, assis, avant de lui tapoter la joue pour le provoquer davantage. C’est alors que la situation dégénère : si Hegarty a décidé de quitter les lieux, Martin Aramburu, en abandonnant la terrasse dans le sillage de son pote, tire sur la capuche de Le Priol qui manque de tomber. Celui-ci se jette aussitôt sur l’Argentin et dans le mouvement, un échange de coups s’opère entre les quatre hommes. Au Mabillon, des passants et le service de sécurité de l’établissement de nuit interviennent et les protagonistes sont séparés.

Les échanges de coups terminés, Shaun Hegarty et Federico Martin Aramburu tournent alors le dos à la terrasse du Mabillon et marchent en direction de leur hôtel. L’un touché à l’arcade, l’autre à la pommette, les amis demandent quelques poches de glaçons au gardien de nuit de l’hôtel Welcome, situé sur leur passage. Ils lui laissent pour ce service un pourboire et reprennent leur chemin sur le boulevard Saint-Germain, quasi désert à cette heure de la nuit. Ce qu’ils ne savent pas, en revanche, c’est que depuis quelques minutes, Le Priol à pieds, Rochemir au volant d’une Jeep militaire et Bouvier en tant que passager de celle-ci sillonnent le quartier à leur recherche. Alors qu’ils viennent de tourner le dos à l’hôtel Welcome, Shaun Hegarty et Federico Martin Aramburu sont donc rattrapés par la Jeep conduite par Rochemir. Là ? Bouvier aurait alors tiré à quatre reprises en direction de Martin Aramburu avant de prendre la fuite, en courant. Le Priol, lui, aurait de son côté tiré six balles en direction de l’Argentin, le touchant mortellement. Au sujet de l’affaire, les investigations policières sont toujours en cours et le procès, lui, devrait avoir lieu dans le courant de l’année 2024. 

Une cérémonie aura lieu dimanche matin

Dimanche matin, à 11 h 15, aura lieu à Paris une cérémonie en mémoire de Federico Martin Aramburu, tué par balles le 19 mars dernier. C’est donc au 146 boulevard Saint-Germain et en présence de la maire de Paris Anne Hidalgo, de celle de son adjoint en charge du sport Pierre Rabadan et de la famille de Martin Aramburu que l’hommage public sera effectué sur les lieux précis où l’international argentin rendit son dernier souffle. À noter, aussi, que la veille de cet évènement, une minute d’applaudissements précédera au Stade de France le coup d’envoi du dernier match du Tournoi des 6 Nations, entre le XV de France et le pays de Galles.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?