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Thibaut Flament : « J’avais rendez-vous avec mon histoire »

  • Thibaud Flament (deuxième ligne du XV de France).
    Thibaud Flament (deuxième ligne du XV de France). MIDI OLYMPIQUE - DEREWIANY PATRICK
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L’ouvreur de formation, passé par l’Argentine et le rugby universitaire anglais avant de débarquer au Stade toulousain puis en équipe de France, est en passe de devenir le meilleur joueur français du Tournoi des 6 Nations. Son parcours atypique, sa polyvalence, ses rêves de jeunesse, ses ambitions, il les évoque ici en toute transparence et avec beaucoup de lucidité.

Depuis samedi dernier avez-vous pris conscience de la performance collective réalisée sur la pelouse de Twickenham ?

Si nous n’avons pas réalisé complètement sur l’instant, nous avons, dans les heures et les jours qui ont suivi, pris conscience de ce que nous avions réalisé. Franchement, on peut le dire aujourd’hui, c’était énorme. Malgré un petit trou d’air en début de deuxième mi-temps, le plan s’est parfaitement déroulé. Tant mieux. C’était un match important pour nous, pour qu’on se remette dans une bonne dynamique. Et je peux vous assurer qu’on en a bien profité durant la soirée qui a suivi.

Pourtant, tout de suite après le coup de sifflet final, ni vous ni vos partenaires n’avez manifesté d’exaltation délirante. Comment l’expliquez-vous ?

Vous savez, on nous entraîne à être froid sur le terrain, à toujours être dans la maîtrise, à ne pas être trop "latin" quand les matchs tournent en notre faveur. Justement pour éviter de craquer avant la fin des rencontres. Pour éviter de se dire : "Ça y est, c’est bon, on a gagné. On s’en fout si on prend des essais." Le staff nous prépare vraiment à ne pas être submergé par les émotions. À rester le plus pragmatique possible. Et puis, ce match n‘était pas le dernier de la compétition. On a franchi une belle marche, mais nous ne sommes pas arrivés en haut de l’escalier.

Par-delà la performance collective, votre prestation individuelle a encore impressionné. Le ressentez-vous ?

Je me sens bien dans l’équipe, dans le groupe, sur le terrain. Tout se passe bien pour moi. Et quand tout est en phase, les choses roulent. C’est ce qui se passe aujourd’hui.

Fabien Galthié a déclaré il y a peu que vous aviez été l’homme de la tournée au Japon, vous avez confirmé en novembre. Pensez-vous devenir l’homme du Tournoi des 6 Nations ?

Ce n’est pas facile de parler de soi. Surtout, je n’ai pas ce sujet en tête. Ce serait trop facile de penser ça maintenant, il reste encore un match. Un gros challenge pour battre les Gallois. Mon idée n’est pas de courir après les records ou les distinctions individuelles. Si l’équipe performe, qu’elle gagne et que je fais une bonne partie, je ne demande rien de plus.

Est-ce que, plus jeune, vous aviez déjà cette faculté à prendre de la hauteur sur les événements ?

Oui, j’ai toujours eu ce côté-là. Je ne suis pas quelqu’un qui réagit très fort aux événements. Je ne suis ni sanguin, ni expansif. Je ressens les choses, mais je prends toujours du recul. Je préfère être dans la mesure.

Que vous dites-vous lorsque vous vous retournez quelques années en arrière ?

Je me dis que ce que je vis aujourd’hui se rapproche de ce que j’avais imaginé ou rêvé. J’ai accompli plusieurs de mes rêves et j’en suis très heureux.

Pensiez-vous vraiment possible d’arriver là où vous êtes malgré votre votre début de carrière tortueux ?

Oui, j’avais ça au fond de moi. C’est à cette place que je devais être, que je rêvais d’être. Pour en arriver là, je savais que je devais m’en donner les moyens.

Votre parcours atypique vous permet-il aujourd’hui d’avoir plus de recul sur les événements ?

Je ne sais pas si c’est lié à mon parcours ou si c’est juste une question d’éducation. Ce qui est sûr, c’est que je ne suis pas issue du système. J’étais en marge. Je crois que ceux qui partent de plus loin arrivent plus loin aussi. Pourquoi ? Parce qu’il y a probablement plus d’efforts, plus de travail à fournir pour réussir. Il y a plus de combat sur la route. Un exemple : une personne obèse qui ne vit pas bien avec son corps va fournir plus d’efforts qu’une personne légèrement en surpoids. Et ira plus loin dans sa démarche parce que le combat aura été peut-être plus difficile, peut-être plus long.

De l’extérieur, le rugby ne semble pas représenter toute votre vie. Vrai ou faux ?

J’aime m’ouvrir à d’autres centres d’intérêt, c’est vrai. Mais, le rugby a été toujours été très central jusqu’à mon arrivée au Stade toulousain. Tous mes choix de vie ont été guidés par le rugby. Quand je suis parti en Argentine ou en Angleterre, c’était pour le rugby. Si j’avais pu être pris en centre de formation à 17 ou 18 ans, je l’aurais fait. Mais je n’ai pas eu d’autres choix que de partir étudier à l’étranger, de choisir une université avec un programme rugby, pour continuer de rêver et de progresser. Un exemple : quand je suis parti en Argentine, c’est parce que j’avais un stage obligatoire, mais dans ma tête, il fallait que je puisse absolument jouer au rugby. Et ça s’est bien goupillé.

Votre première sélection et votre premier essai en bleu, c’était contre l’Argentine en novembre 2021 et votre premier doublé avec le XV de France, c’était samedi contre l’Angleterre. Y voyez-vous un signe du destin ?

Ces deux matchs avaient une signification particulière pour moi. Depuis mon passage en Argentine, mon rêve était, évidemment de jouer pour l’équipe de France, mais de jouer mon premier match en bleu en Argentine. J’y suis presque parvenu (rires). Finalement, ça s’est passé en France, mais j’y ai vu comme un clin d’œil du destin. J’ai eu le sentiment d’avoir rendez-vous avec mon histoire. Et puis, ce match contre l’Angleterre… (il marque une pause) Pour être honnête, pendant la Marseillaise, j’ai ressenti une émotion comme jamais auparavant.

Pourquoi ?

Parce j’avais rendez-vous avec mon histoire. Il y avait évidemment un contexte d’équipe particulier mais c’était, d’un point de vue personnel, une rencontre spéciale. Revenir à Twickenham, un stade que j’avais visité lorsque j’avais 18 ans lorsque je jouais en universitaire et dans lequel je rêvais d’évoluer un jour, c’était fort. C’est en Angleterre que j’ai franchi les différentes étapes menant au rugby professionnel.

François Cros disait après le match qu’il était très heureux pour vous en raison de la relation très particulière que vous entretenez avec l’Angleterre. En aviez-vous parlé à vos partenaires avant la rencontre ?

J’en avais parlé avec certains, dont François. Et à la fin du match, alors que j’avais les larmes aux yeux et que je me retenais pour ne pas craquer, il est venu me voir pour me demander comment ça allait. Du coup, il a bien compris ce que je ressentais.

Dans son briefing d’avant-match, Fabien Galthié avait qualifié les trois premières rencontres de "moyennasses". Aviez-vous été piqué par ce commentaire ?

Oui parce que c’était vrai. On a bien senti que nous n’avions pas autant la dalle que l’année dernière. Et ça se voyait sur le terrain. Visiblement, Fabien a trouvé les bons mots pour nous faire réagir (sourire).

En début de semaine, vous vous êtes entraîné à droite de la deuxième ligne. Vous évoluez habituellement à gauche, mais aussi en troisième ligne. Avez-vous craint, à un moment, de devenir le remplaçant idéal ?

Cette question, je me la suis forcément posée. Mais je ne m’y suis pas attardé. Mon objectif principal, c’est de rendre service à l’équipe et d’être le plus performant, quel que soit le statut. Après, évidemment, je ne connais pas un joueur qui ne veut pas être titulaire. Si j’étais devenu le remplaçant idéal, je n’aurais pu m’en prendre qu’à moi-même. Ça n’aurait été que la conséquence de mon travail ne me permettant pas d’être le meilleur à mon poste. Mais, évidemment, mon but n’est pas d’être remplaçant.

Lors de vos premières années en deuxième ligne, vous disiez que vous n’aviez que peu d’appétences pour les tâches obscures. Avez-vous changé ?

J’ai appris à aimer ça. Avec ma formation d’ouvreur, je n’allais pas naturellement dans les rucks pour mettre des coups de casque. Au contraire. Je me souviens de certaines statistiques lorsque je jouais en universitaire en Angleterre qui montraient que j’avais des progrès à faire sur ce point-là. Lors d’un match, sur 80 minutes, j’avais été impliqué sur trois rucks quand mon partenaire de deuxième ligne en avait fait 34 ou 35. C’était peu de temps avant de rejoindre les Wasps. Autant vous dire qu’il a fallu que je bosse pour devenir plus complet et améliorer mon jeu. Et aujourd’hui, j’y ai pris goût.

N’avez-vous pas l’impression parfois d’être aujourd’hui formaté pour le niveau international plus que pour certains matchs de Top 14 où vous devez ferrailler dans quinze centimètres de boue ?

On m’a déjà fait cette réflexion, mais c’est difficile à dire pour moi, de porter un jugement. C’est vrai que le format des rencontres internationales n’est pas le même que celui des matchs de Top 14.

Avez-vous le sentiment d’être arrivé à maturité rugbystique plus tardivement que d’autres ? Et si oui, n’est-ce pas finalement une force ?

C’est vrai que je suis arrivé plus tard à maturité, mais est-ce que c’est une force ? Je n’en sais rien. Il me reste encore des axes de progression, notamment sur le secteur de la touche ou sur les zones de "contest". J’y travaille beaucoup.

De nombreux observateurs ont dit qu’après la performance contre l’Angleterre, le Tournoi était réussi. Qu’en pensez-vous ?

Un Tournoi réussi, c’est de ne rien lâcher jusqu’au bout. Et pour ça, il nous reste un dernier match samedi contre le pays de Galles. C’est très français de se dire que le plus dur et le plus gros du boulot ont déjà été fait. Pour moi, un bilan, ça se fait à la fin de la compétition. Ce Tournoi, on peut encore le gagner, même si on a bien conscience que nos chances sont minces. Comptablement, c’est encore possible. On va tout faire pour gagner ce dernier match avec la manière et les points nécessaires pour maximiser nos chances. Pour ne pas se mentir non plus. Et pour faire le taf jusqu’au bout. On n’a pas envie de se retrouver en juillet prochain pour la préparation du Mondial avec un goût amer en bouche, en se disant : "On aurait dû, on aurait pu…" L’objectif, c’est de bien refermer ce chapitre du Tournoi des 6 Nations. Pour en ouvrir un autre dans de bonnes conditions l’été prochain.

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