6 Nations 2023 - La chronique d’Imanol Harinordoquy : « La défaite en Irlande a permis une prise de conscience »

Comment qualifier le succès de cette équipe de France lors de cette dernière rencontre du Tournoi des 6 Nations ?

La marque de fabrique de cette équipe de France, c’est la maîtrise. Même si les Gallois ont dominé le début de match, j’ai eu l’impression qu’on leur avait laissé sciemment la main, qu’on était dans le respect du plan de jeu mis en place. J’ai cru deviner que les Bleus avaient choisi de leur laisser l’initiative pour mieux jouer les ballons de contre, ce qu’ils ont fait à merveille. Évidemment, par moments, c’est un peu frustrant car sur les périodes de possession française, le danger pour l’adversaire était permanent. Dommage de ne pas l’avoir fait davantage, je le regrette vraiment. Mais force est de constater que cette équipe de France a eu raison parce qu’elle a gagné largement. Et si ce jeu permet aux Bleus d’être sacrés champions du monde, j’en serai le plus heureux. Surtout que jamais personne ne se souvient de la manière (rires).

Avez-vous tout de même été surpris par le début de match du XV de France ?

Je me doutais que les Gallois allaient se jeter dans la bataille à corps perdu et qu’ils allaient tout donner. Seulement, au regard de leurs prestations précédentes très faibles, je ne les pensais pas capables d’être aussi précis. Samedi, ils ont vraiment proposé de belles choses et réalisé certainement leur meilleur match de la compétition. Et l’équipe de France, en laissant l’initiative à cette équipe, a pris le risque de s’exposer. On l’a vu avec ce premier essai en début de match. Maintenant, jamais les Français ne se sont affolés. Au contraire. Cette équipe, c’est la force tranquille. Elle est sûre de ses forces et l’a démontré. Dès qu’elle a tenu le ballon ou dès qu’elle a eu un "turnover" à jouer, elle a été efficace.

Toutefois, l’équipe de France a pris quatre essais. Est-ce inquiétant ?

Pour moi, il y a deux essais de trop, les deux encaissés en fin de match. Le matelas était peut-être un peu trop confortable, ce qui, inconsciemment, a permis aux Gallois de reprendre la main sur le jeu. Et ils ont terminé la rencontre plus fringants. Sans doute avaient-ils à cœur de bien finir le Tournoi. Alors que c’était déjà gagné pour le XV de France. Le boulot avait été fait avant.

Fabien Galthié semble dire que la défaite subie en Irlande a finalement été un mal pour un bien. Partagez-vous ce sentiment ?

Je l’ai déjà dit : ce n’est jamais bien de perdre. Mais elle a permis une prise de conscience sur le fait que depuis quelques sorties la marge de manœuvre était bien moins grande pour cette équipe de France. Peut-être fallait-il donc cette défaite pour montrer aux joueurs et au staff qu’une remise en cause était nécessaire. C’est ce qu’ils ont su bien faire. Maintenant, gardons cette défaite contre la meilleure nation du monde dans un coin de la tête. Cela sera probablement utile.

Fabien Galthié a expliqué avoir remis de l’émulation au sein de son groupe. Pensez-vous que certains cadres étaient trop installés ?

L’émulation, c’est toujours bon. Cela passe par la mise en concurrence et l’absence d’une trop grande certitude sur son statut. Cela permet aux joueurs de donner le meilleur d’eux-même. Toujours. D’ailleurs, je note que les joueurs qui ont pu être un peu critiqués durant ce Tournoi ont su répondre de la meilleure des manières. Je pense notamment à Grégory Alldritt par exemple. Ça montre que ces gars-là sont des grands joueurs.

Fabien Galthié s’était fixé pour objectif de débuter le Mondial avec une équipe composée de joueurs capés en moyenne autour de 40 fois. Or, samedi cette moyenne n’était que de 26. Est-ce réellement un handicap ?

À mon avis ce n’est pas essentiel. Au début du Mondial, avec les matchs de préparation, cette moyenne sera quasiment de 30 sélections de moyenne. Ce groupe a grandi ensemble, il vit ensemble depuis quatre ans. Le vécu commun, il est présent. Ensemble, ces joueurs ont battu les nations majeures du rugby mondial, ont réalisé un grand chelem. C’est important de savoir qu’ils peuvent gagner un titre tous ensemble, des matchs dans la difficulté avec des scénarios parfois un peu fous. Voilà ce qui est capital. Pour moi, la seule qui va manquer à ce groupe, c’est d’avoir déjà joué une Coupe du monde ensemble. Mais bon…

Oui ?

Vivre une Coupe du monde, puis une deuxième avec un même groupe, c’est une aventure à part. Mais je crois cette équipe de France très bien armée pour aborder ce Mondial en France très sereinement.

Quel regard portez-vous sur ce grand chelem irlandais ?

Sacrée performance ! Au même titre que l’équipe de France l’an passé. Les gens doivent savoir que réaliser un grand chelem n’a rien de simple. C’est vraiment extrêmement compliqué. J’ai l’impression que le niveau grimpe un peu plus chaque année. L’Italie a pratiqué un très beau rugby durant ce Tournoi, l’Écosse était en feu… Ça montre le talent et la force de cette équipe d’Irlande, composée de nombreux talents, notamment avec des avants aujourd’hui dotés d’une technique individuelle assez exceptionnelle, qui n’était pas celle-ci, il y a quelques années. L’Irlande compte parmi les grands favoris de la Coupe du monde. Cela fait vraiment deux ou trois ans qu’elle construit son jeu et qu’elle domine quasiment tous ses adversaires. En revanche, elle me semble avoir un point faible…

Lequel ?

L’Irlande me paraît trop dépendante de Jonathan Sexton.

Faut-il éventuellement s’inquiéter d’un potentiel quart de finale de la Coupe du monde contre cette équipe d’Irlande ?

Quoi qu’il arrive, pour les Bleus en quart de finale, ce sera la peste ou le choléra (rires). Parce que, tomber sur l’Afrique du Sud ou sur l’Irlande, ce n’est pas un cadeau. Maintenant, quand on veut être champion du monde, il faut être en capacité de battre toutes les meilleures équipes de la compétition. Ne perdons pas de temps à se faire des nœuds au cerveau. Ce qui m’embête le plus, c’est que, quel que soit l’adversaire en quart de finale, les Bleus y laisseront des plumes. Or, pour soulever le trophée, il leur restera deux matchs à gagner… Souvenez-vous de l’Angleterre en 2019. En demi-finale, les Anglais ont dominé les Blacks de la tête et des épaules, mais en finale, ils n’avaient plus d’essence dans le moteur. Ce n’était plus les mêmes Anglais qu’une semaine plus tôt. Et ça a presque été facile pour les Sud-Africains en finale.

Êtes-vous tout de même optimiste pour ce Mondial ?

Oui, sans aucune hésitation. Avec une belle préparation, cette équipe sera en pleine bourre. Il n’y aura pas de fatigue, pas de petits bobos, pas de Top 14. Elle est composée de joueurs talentueux capables de faire des différences individuelles. Ce groupe France est hyper homogène. Quand je vois les performances d’un garçon comme Thibaud Flament sur ce Tournoi des 6 Nations alors que Cameron Woki était absent, je me dis que, quel que soit le joueur sur le terrain, cette équipe évoluera toujours au même niveau. Et c’est une force sur une compétition comme une Coupe du monde qui dure dans le temps. Cette équipe est vraiment capable de gagner la Coupe du monde.