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6 Nations 2023 - France - Galles : tout ce que le ciel permet

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Faciles tombeurs des Gallois après avoir saccagé l’Angleterre, les Tricolores abordent la dernière partie de leur cycle lestés d’une foi en l’avenir que l’on serait bien fous de ne pas partager…

Il y a ces questions, importunes et lancinantes. Que se serait-il passé en Irlande si le XV de France avait joué comme il le fait depuis quinze jours ? Pourquoi Jaco Peyper, trompé par le miroir déformant de la vidéo, a-t-il aussi jugé, à Dublin, que le banal incident de jeu impliquant Freddie Steward devait contraindre nos alliés de circonstance britanniques à évoluer une mi-temps amputés d’un bonhomme ? Pourquoi cette équipe de France a-t-elle mis plus de temps que prévu pour atteindre une forme de plénitude, au fil de la compétition ? Et n’y avait-il pas autre chose à espérer, finalement, qu’une nouvelle médaille d’argent dans le Tournoi, la troisième en quatre ans ? C’est qu’à l’heure où Fabien Galthié avançait "l’écart considérable" entre l’équipe de France et le pays de Galles, on rejouait dans nos têtes le scénario d’un match plié en quelques accélérations, on revoyait l’essai en première main de Gaël Fickou, la passe de trente mètres d’Antoine Dupont ayant précédé celui de Damian Penaud et globalement, cette délicieuse manie qu’ont les Bleus de transformer le moindre ballon lâché par l’adversaire en une contre-attaque meurtrière…

Que persiste-t-il, aujourd’hui, entre les chelemards irlandais et leurs dauphins au classement mondial ? Des broutilles, semble-t-il. D’insignifiantes vétilles qui seront l’été prochain rasées par deux mois de préparation physique. Au vrai, naîtra donc de ce Tournoi 2023 une irrépressible bouffée d’espoir avant la Coupe du monde, la certitude que cette équipe de France est désormais capable de tordre le cou à tous les cadors du circuit international, la confirmation que cette génération-là est la première pouvant légitimement prétendre à un titre suprême. "Depuis quatre ans, disait Fabien Galthié samedi soir, on tourne à 80 % de victoires dans le Tournoi. Nous terminons cette année avec la meilleure attaque de la compétition et en défense, on a su s’adapter aux évolutions du règlement. J’espère que les équipes nous craignent." D’évidence, oui. Et tous poussés par un incoercible élan de fierté gauloise, on ne put dissimuler, dans ce renflement sombre du Stade de France, le demi-sourire qui éclaira nos visages lorsque Warren Gatland, le grand Satan des années noires, s’évertua pour calmer les ardeurs des fantassins de la presse galloise à mettre en avant "les progrès évidents" de sa cohorte ou "la détermination" sans faille de celle-ci. Car le bon Warren, conscient que la campagne passée ne légitimait en rien le contrat à six zéros qu’il avait signé trois mois plus tôt avec la WRU, avait beau tenter de sauver la face, il avait évidemment conscience du basculement du monde : comme nous, il avait vu Alun-Wyn Jones, joueur le plus capé de tous les temps (158 sélections) et général de toutes ses plus grandes batailles, lutter avec la même énergie contre le temps qui passe que contre le déchevèlement qui le menace ; il avait vu Dan Biggar, son sniper d’élite, s’évanouir au fil des minutes, dépassé qu’il était par la vitesse de Romain Ntamack ; il avait vu, enfin, la pierre angulaire de sa division blindée, Tomas Francis, effacer trop souvent l’épaule face à Cyril Baille…

Le basculement des mondes

Qu’a donc conclu Gatland, au moment de rendre le micro ? S’est-il imaginé un instant à la place de Galthié ? S’est-il demandé ce qu’il aurait pu faire, lui, avec un tel arsenal entre les mains ? Et en a-t-il voulu aux présidents du rugby amateur qui, en 2019, lui avaient claqué la porte au nez lorsque Bernard Laporte, alors aux commandes de la FFR, leur avait soumis l’idée d’un sélectionneur étranger ? C’est possible, oui. Et l’on a beau souscrire à l’idée qu’une équipe ne devient pas championne du monde sans un minimum d’expérience collective, on retient avant tout de ce dernier France-Galles que pour bien jouer au rugby, mieux vaut avoir 25 ans que 35. "Chez les Gallois, poursuivait Fabien Galthié samedi soir, on touche du doigt la capacité à avoir un plan de succession efficient. Il suffit finalement de peu, au niveau international, pour passer du statut de "top joueur" à celui de "joueur dominé"." Physiquement, techniquement, Antoine Dupont et ses coéquipiers ont donc dominé leurs sujets, ces quinze derniers jours. Et qu’on le veuille ou non, la montée en puissance du XV de France eut pour point de départ cette gifle irlandaise (32-19) qui mit fin à une période doucereuse de quatorze victoires consécutives et eut surtout pour mérite de sortir la bête d’une lévitation pernicieuse. La beigne encaissée, naquirent en effet dans l’opinion les premiers doutes et, au sein de la sélection même, joueurs et staff durent de leurs côtés crever les abcès nés d’une campagne automnale moins aboutie que ne l’avait laissé croire un bilan comptable à trois victoires, dont une face aux champions du monde en titre : à Marcoussis, il y eut donc une série de rendez-vous, virils mais corrects, pour éclaircir le plan de jeu et savoir, in fine, s’il valait mieux, pour le bien de tous, allumer des incendies à la gauloise ou revenir au jeu plus sécuritaire qui avait marqué les prémices du mandat Galthié. Et si Romain Ntamack, après avoir traversé une période plutôt ordinaire, est aujourd’hui redevenu le saint patron des ouvreurs du Tournoi, c’est un peu parce qu’il est débarrassé depuis deux matchs de l’ombre de Matthieu Jalibert, certes, mais surtout parce que le staff tricolore a éclairci, au fil de plusieurs entretiens individuels, les contours de sa mission première…

Galthié et Ramos se sont apprivoisés

En tout état de cause, et c’est plutôt une bonne nouvelle, ce groupe France est une microsociété comme une autre, une bâtisse instable, bancale, faite de quarante individus largement disparates. Il n’est ni une église, ni une secte soumise au bon vouloir d’un gourou. Il vit, remue, se cabre, bouge au gré des émotions qui traversent sa carcasse. En son sein, ses membres s’observent, se jaugent et se fritent, parfois. On sait par exemple que la relation entre Thomas Ramos et Fabien Galthié n’a pas toujours été fluide. D’un côté, le Toulousain se sentait au départ peu considéré, bridé par un cadre de jeu dont il pensait devoir à tout prix s’affranchir. De l’autre, le sélectionneur national jugeait le joueur trop léger, trop peu prudent et pas assez raccord, en fait, avec ce qu’exige le rugby international de ses représentants. Longtemps, les deux hommes se sont donc tournés autour, regardés en chiens de faïence. Et aujourd’hui ? Ils ont semble-t-il trouvé un terrain d’entente et de ce que l’on constate, Ramos a fait le tri entre traits de génie et "pets de branquardise" quand Galthié a de son côté pigé qu’en sélectionnant l’un des plus beaux animateurs du championnat, il se devait aussi d’en accepter la part sombre et le déchet : que Thomas Ramos ait été samedi magnifique sur le cad’ deb’ préalable à l’ultime essai de Damian Penaud ne fait par exemple aucun doute ; que sa relance à la 50e ait été aussi inutile et coûteuse est également certain. Mais "telle est la vie des hommes, après tout : quelques joies très vite effacées par d’inoubliables chagrins… Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants…" *

* Marcel Pagnol, Le Château de ma mère

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