L'édito du vendredi : la Ligue des supers zéros

Par Léo FAURE
  • Le projet d'une possible ligue mondiale pour 2026 a vu le jour ces dernières heures.
    Le projet d'une possible ligue mondiale pour 2026 a vu le jour ces dernières heures. Icon Sport
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Le rugby a ancré ce principe du paradoxe dans ses gènes depuis sa quasi-fondation : un combat ayant parfois conféré aux arts pugilistiques de rue, un sport aux codes de mauvais garçons et pourtant né dans les plus prestigieuses universités anglaises. Là-bas, à Oxford, Cambridge et les autres, on sert le thé dans de la porcelaine à 17 heures ; puis on part se battre dans la boue, en bandes organisées, à 18 heures On joue un sport dont la vertu cardinale est de faire avancer un ballon en se le passant uniquement vers l’arrière. Sentez déjà le trouble cognitif qui surgit.

Depuis, cette idée accompagne notre sport. C’est tout son chic, sa finesse, sa complexité et ce qui fait qu’on l’aime tant. Le rugby est paradoxal dans toutes ses lignes, toutes ses ondulations. Des bonshommes de 150 kg et d’autres de 70 kg sur un même terrain, en confrontation directe, quand les autres sports de combat se catégorisent par poids. Chez nous, rien ne garantit à l’ogre qu’il mangera le lutin.

Dernier des paradoxes et pas des moindres : la révélation ce mardi, dans la presse anglaise, du projet à aboutir de Ligue mondiale. Une information que Serge Simon, nouveau représentant de la FFR à l’international, dément aussitôt. Mais le sujet n’est pas nouveau et reviendra encore. Jusqu’à aboutir, sous la pression des nouveaux investisseurs.

La Ligue mondiale, kesako ? Un vieux rêve de jackpot qui ressurgit régulièrement, et anime les coulisses d’une institution World Rugby en quête de toujours plus, à défaut de faire toujours mieux : un championnat tous les deux ans, réparti sur les dates des tournées d’été et d’automne, regroupant dans une ligue fermée les douze meilleures nations de la planète. Ou plutôt, les douze plus fortunées. Tant qu’à faire. Puisque le caviar est un ravissement de fins gourmets, il ne s’apprécie qu’entre personnes de bonne société, les poches déjà bien remplies de droits télé. Et la promesse d’un pactole plus gros encore à venir. Pas de place pour le petit peuple. Pas sûr qu’il faille en rire.

Faut-il pour autant en pleurer ? C’est plutôt l’hypocrisie, celle qui viendra au jour de l’officialisation, qui nous hérisse déjà le velu. En se constituant en club privé pour les riches, la porte claquée au nez des prolos du Tier 2, le rugby mondial verra encore croître ses revenus. Aussi ses différences et ses écarts de richesse. Loin de l’idée d’un "sport pour tous", le rugby se complaît et se conforte en sport d’une élite.

World Rugby, grand marionnettiste de l’affaire, en tirera bien sûr les plus beaux fruits. Ce même World Rugby ne manquera pas d’avancer que ces profits nouveaux serviront au développement du rugby dans les "nouveaux territoires". Problèmes, ces "nouveaux territoires" seront surtout les dindons de la farce. La promesse d’ouverture et de développement en prend un coup dans la gueule.

La Géorgie, par exemple, trouve depuis plusieurs années dans ses rendez-vous d’automne l’occasion de se frotter "aux gros", d’apprendre, de progresser et parfois de les surprendre (souvenez-vous du pays de Galles, l’an dernier…). Au jour de la Ligue mondiale, les Lelos regarderaient la sauterie du gratin mondial par la fenêtre. Pas invités à table. Les Samoas et les Tonga, qui auraient plus besoin de matchs et de structures que de promesses de subventions, ne seraient pas conviés non plus.

Dans le monde du rugby des fédérations, grosses ou petites, l’argent ne fait pas tout. Sinon, les États-Unis et le Canada seraient déjà installés dans le concert international et n’auraient pas laissé au Chili leur strapontin au Mondial 2023 en France. Le rugby est un sport, pas seulement un business. Et World Rugby ferait bien de s’en souvenir, lorsqu’il promettra aux fédérations mineures des subventions, plutôt que des matchs. Le compte sera alors plein, mais l’âme sera vide.

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