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Ethan Dumortier (Lyon) : "Au début du Tournoi, en regardant autour de moi, je me suis demandé ce que je faisais là..."

Par Nicolas Zanardi
  • Ethan Dumortier sous le maillot du XV de France.
    Ethan Dumortier sous le maillot du XV de France. Icon Sport - Icon Sport
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C’est lundi qu’Ethan Dumortier a pris le temps de rencontrer, dans les entrailles de son stade du Matmut Stadium de Gerland, un panel de supporters du Lou et d’abonnés de Midi Olympique. Lesquels se sont prêtés de bonne grâce au petit jeu de l’interview pour un échange d’une demi-heure sans tabou ni langue de bois, dans une ambiance bon enfant permise par la réfraîchissante spontanéité de l’ailier du XV de France.

Avez-vous retouché terre depuis votre retour du Tournoi ?

C’est difficile mais comme j’étais vraiment chaud, ça m’a évité de papillonner (sourire). Il le fallait bien, parce qu’il n’y avait pas vraiment le temps de faire autrement ! Pour ma part, dès lundi dernier, j’étais de retour à l’entraînement avec le groupe, il a fallu vite basculer de Paris à Lyon et laisser passer ses émotions. Cela m’a vite remis les pieds sur terre, d’autant plus après le match du week-end dernier.

Retrouver le Top 14 avec le statut d’international change-t-il quelque chose ?

Non, car mon objectif reste concentré sur ce que je faisais avant de partir. Je ne suis pas devenu quelqu’un d’autre, loin de là. J’avais déjà de gros objectifs et de grosses ambitions avec le Lou avant l’équipe de France, rien n’a changé par rapport à ça. La seule chose, c’est que je veux désormais utiliser tout ce que j’ai appris en équipe de France pour rehausser mon niveau individuellement et apporter encore plus à mon club.

En termes de sollicitations de toute sorte, rien ne sera plus pareil, pourtant. La preuve ici…

Je le mesure très légèrement, ça commence à bouger un peu, mais j’essaie de rester modeste. Je ne suis pas devenu quelqu’un d’autre en deux mois, au contraire, je pense être toujours disponible pour tout le monde, notamment pour nos supporters.

On le fantasme, mais comment ça s’apprend, en pratique, une sélection en équipe de France ?

La première fois, en novembre, c’est William Servat qui m’avait appelé pour m’annoncer que j’étais retenu dans le groupe élargi, ce qui était déjà une grande fierté. Pour le Tournoi, en revanche, j’ai reçu un coup de fil de Fabien Galthié. Je m’en souviens bien, c’était à la sortie d’un entraînement avec le Lou…

Y a-t-il, comme en équipe de France de foot, un "bizutage" auquel les nouveaux doivent se soumettre ?

Avec le XV de France, on doit réaliser une présentation, jouer un sketch ou chanter une chanson devant l’ensemble des joueurs et du staff. Ça peut être aussi un tour de magie un peu bidon, n’importe quoi… En ce qui me concerne, j’ai effectué une présentation Powerpoint avec des vidéos plutôt rigolotes du staff pour me moquer un peu d’eux ! Au départ je n’osais pas trop, et puis je me suis lancé. J’avoue que c’était un poil risqué, quand même (rires)

Vous avez marqué votre premier essai en équipe de France pour votre première sélection. Qu’est-ce qui vous a procuré le plus d’émotions ?

La première Marseillaise, c’est vraiment spécial. Tout ce qui peut se passer sur un terrain, c’est quelque chose que je connais. Mais pour tout ce qui était de l’extra-sportif, c’était très particulier : le couloir avant un match international, le moment des hymnes… Pour moi, c’était un saut dans l’inconnu.

Quelle différence y a-t-il entre les U20 et la "vraie" équipe de France ?

Là où les U20 sont très utiles dans la formation, c’est dans l’apprentissage de la physionomie et de l’anatomie d’un match international. Tout ce qui touche autour du rituel ou de la préparation d’un match, ça ne s’acquiert que par l’expérience, et le fait d’avoir vécu des protocoles similaires avec les moins de 20 ans m’a probablement détendu avant ma première cape. Ensuite, par rapport au niveau, la différence est énorme. Le XV de France, c’est l’élite au niveau mondial, ça n’est pas comparable…

Vous intégriez un groupe constellé de "stars" qui avaient remporté le grand chelem un an plus tôt. Étiez-vous stressé au moment d’intégrer le groupe ?

J’ai eu cette appréhension en novembre quand je suis monté pour les aider à préparer la tournée. Mes seules connaissances à l’époque, c’étaient les joueurs lyonnais, il avait fallu que je découvre un groupe dont je ne connaissais les joueurs qu’à travers la télévision. Mais justement, cette période de novembre m’a permis d’arriver beaucoup plus serein au Tournoi. Je n’étais pas dans le flou total, j’avais quelques repères et cela m’a permis de m’intégrer plus rapidement. Malgré tout, avant le premier match en Italie, en regardant les joueurs autour de moi, je me suis dit : "mais qu’est-ce que je fous là ?" J’ai essayé de profiter de ces beaux moments, tout en restant très concentré.

Gabin Villière était non retenu lors de la première semaine de stage et était revenu pour la deuxième. Avez-vous douté de participer au Tournoi ?

Il m’a fallu un petit temps pour comprendre que c’était mon tour et qu’il fallait que je sois prêt. Comme Gabin Villière était là, il y avait forcément de l’incertitude. Ce que je me disais à ce moment-là, c’est que tout le travail que j’effectuais n’était pas pour rien, et que si je n’avais pas la chance d’être sélectionné ce ne serait que partie remise et du temps de gagné pour plus tard. Dans tous les cas, on était dans la dynamique de s’aider mutuellement. Comme j’étais arrivé une semaine avant lui, j’avais eu un peu plus de temps pour intégrer les nouveaux systèmes qu’on cherchait à mettre en place, on était vraiment dans cette optique.

Comment avez-vous réagi à sa blessure ?

Au début, on n’avait pas d’information sur la gravité de sa blessure. La seule chose que j’avais à faire, c’était de rester concentré et attendre. (il marque une pause) Ces moments-là, c’est délicat, c’est malheureux. Une blessure, ce n’est jamais quelque chose qu’on souhaite à un autre joueur. Je ne m’étais pas mis dans l’optique qu’il fallait que je sorte Gabin pour gagner ma place, surtout pas… Je voulais juste faire de mon mieux pour prétendre à une place de 24e, ou de remplaçant si c’était possible. Gabin avait réalisé d’énormes choses avec le XV de France, sa place devant moi était légitime. Le coup du sort qui l’a frappé a été un coup de chance pour moi, c’est le sport… Ça m’a propulsé sur le terrain, où j’ai essayé de faire mon maximum. L’idée, c’était vraiment d’honorer autant que possible les performances de Gabin.

Quand vous a-t-on annoncé votre titularisation ?

Le moment fatidique, c’est l’annonce du groupe, le mercredi après l’entraînement à haute intensité. C’était quand même un grand moment pour moi d’apprendre que j’allais disputer comme titulaire mon premier match avec le XV de France. Tout de suite après, j’ai appelé ma famille pour le leur annoncer.

Après le premier test, vous étiez surpris par le rythme international. Vous y êtes vous fait, depuis ?

Je ne sais pas si on s’y fait, je ne sais pas si j’arriverais à m’y faire si j’ai la chance d’y revenir… Ce qui est sûr, c’est que ce niveau de jeu est vraiment spécial, j’ai touché du doigt quelque chose de plus intense de ce que j’ai jamais connu en Top 14. Je dois continuer à me préparer pour répondre à ces exigences, j’ai en tout cas vu que j’étais capable de les supporter.

En quoi le rugby international est-il différent du Top 14, pourtant constellé de joueurs de très haut niveau ?

La différence vient de la volonté des équipes d’imposer un rythme très élevé, pour prendre la main sur le match et faire exploser l’adversaire. Les temps de jeu sont moins hachés qu’en Top 14, il y a moins d’arrêt pour les mêlées, moins d’arrêts pour les touches, des phases de jeu jouées plus rapidement, des ballons qui restent plus longtemps sur le terrain et donc les séquences de jeu sont plus longues… En tant que joueur, c’est cette répétition d’efforts qui est plus intense qu’en Top 14. Pour vous donner un ordre d’idée, quand nous avons affronté l’Irlande, il y a eu 46 minutes de temps de jeu effectif. En Top 14, on tourne la plupart du temps autour de 30 minutes, contre 35, 36 minutes en Coupe d’Europe. Dix minutes de plus qu’en Coupe d’Europe, c’est vous dire l’intensité physique qu’on demande aux joueurs ! En outre, cette volonté d’imposer du rythme inclut d’autres aspects comme une plus de rapidité sur les lancements, plus de vitesse dans le jeu, des contacts plus fréquents et plus forts… C’est tout un panel d’actions plus intenses qui font le très haut niveau.

Si vous ne deviez garder qu’un souvenir du Tournoi ?

Clairement, la remise de cape dans le vestiaire après l’Italie par Serge Simon et Antoine Dupont. C’est un rituel unique dans la carrière d’un international, quelque chose qui m’a marqué et dont je me rappellerai longtemps.

Au niveau mental, comment avez-vous abordé cet événement, notamment votre première cape ?

Le mental, c’est quelque chose de compliqué. Le rugby, c’est ma passion. Quand je suis sur le terrain, ce stress disparaît et laisse place au jeu. Par contre, ce qui peut générer un stress négatif, c’est lorsqu’on doit aborder des situations inconnues, notamment au niveau de l’extra-sportif. Pour cela, on est accompagné : nous avons tout un panel de préparateurs mentaux qui sont là pour nous donner des clés. À titre personnel, cela fait quelques années que je me suis instauré un rituel d’avant-match qui me permet de me sentir bien, en contrôle de ce que je peux maîtriser. Le revers de la médaille de ce rituel, c’est que s’il y manque quelque chose, c’est un peu la panique à bord…

Cette gestion de la pression est-elle la clé du haut niveau ?

En grande partie, car le plus grand danger, c’est de se laisser submerger par les émotions. Il faut être capable, malgré le stress et la pression, de faire ni plus ni moins que ce qu’on sait faire. Pour cela, je pense qu’il faut être capable d’engranger un certain nombre d’émotions assez fortes - une Marseillaise au stade de France, par exemple - qui peuvent galvaniser, mais aussi de les doser pour ne pas déjouer. C’est un équilibre à trouver, entre se laisser envahir pour être porté par cette énergie, et ne pas non plus qu’elle vous engloutisse.

On parle de Twickenham comme du Temple du rugby. Vous confirmez ?

Oui, à 100 %. Ma chance sur ce Tournoi, c’est que chaque match était particulier. Il y a eu ma première sélection à Rome, puis l’Irlande à Dublin où on a touché quelque chose de jamais vu au niveau de l’intensité, j’ai ensuite connu ma troisième sélection au stade de France où je n’étais jamais allé, pas même en tant que supporter… Tout ça m’a permis de monter crescendo jusqu’à Twickenham. Dans ce stade, on ressent vraiment une atmosphère particulière, une hostilité mais une bonne hostilité, de celle qui permet de s’élever. C’est le Temple du rugby, c’est vrai. Et le scenario du match a rendu ce souvenir d’autant plus magnifique.

Avez-vous conscience d’avoir participé à un match de légende ?

Oui, bien sûr, et c’est une fierté. Mais avant le match, l’objectif était simplement de rebondir après un début de Tournoi moyen, de relever la tête et de montrer notre vrai visage avant l’échéance qui arrive bientôt. Je pense que ce jour-là, nous avons plutôt envoyé de bons signaux à nos adversaires et à notre public.

On vous connaissait finisseur mais en Angleterre, c’est dans la dernière ou l’avant-dernière passe que vous avez brillé...

Ça fait en tout partie des aspects que je dois améliorer, cette capacité de lecture et de créer des décalages en venant dans la ligne. Ça doit être une arme dans mon jeu. Je suis content que ça ait fonctionné contre l’Angleterre, à moi de réitérer ce genre de geste le plus souvent possible. Avec le XV de France, j’ai appris beaucoup sur mon positionnement, sur les timings pour se donner le temps de bien jouer les coups, et c’est ce que je veux désormais mettre en pratique à Lyon.

Y a-t-il de la place pour un regret, sur ce Tournoi ?

Évidemment celui de ne pas avoir réussi à accrocher la première place. En tant que compétiteur, on ne peut jamais se contenter de terminer deuxième, même si l’Irlande a réussi un Tournoi formidable et qu’on a réussi à terminer sur un goût positif.

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