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Champions Cup - Entretien. Yannick Bru et Jean Bouilhou, les retrouvailles des techniciens

Par Propos recueillis par Jérémy Fadat
  • Jean Bouilhou (à droite) et Yannick Bru (à gauche).
    Jean Bouilhou (à droite) et Yannick Bru (à gauche). Icon Sport
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Ils ont joué ensemble au Stade toulousain, puis Yannick Bru est devenu l’entraîneur d’un paquet d’avants rouge et noir dont Jean Bouilhou était un des leaders. Avant les retrouvailles de samedi, ils ont accepté d’échanger sur ce qui les rapproche.

Yannick, vous avez vu arriver Jean Bouilhou jeune en équipe première du Stade toulousain. Quels sont vos premiers souvenirs communs ?

Yannick BRU : C’est loin… Nous n’avons pas disputé beaucoup d’années en commun comme joueurs…

Jean BOUILHOU : Je suis arrivé en 1999 et nous avons quand même joué ensemble jusqu’en 2007.

Y. B. : Ah oui, huit ans ! Mais c’est si loin (rires). Je ne pensais qu’il y avait eu autant d’années, c’était tellement bien que je n’ai pas vu passer le temps ! Moi, je suis revenu au Stade toulousain en 1998-1999 (après une saison à Colomiers, N.D.L.R.).

J. B. : Je suis arrivé l’année suivante, un peu en mode espoir. Je sortais des moins de 20 ans, j’étais dans le vestiaire des pros mais j’avais des choses à prouver. J’étais là mais je ne jouais pas beaucoup au début.

Y. B. : Et tu as été vraiment titulaire pour le titre de champion de France en 2001. C’était l’année des pénalités de cinquante mètres de Fred Michalak ! Tu t’étais déjà imposé avec Fred, Clément Poitrenaud et Nico Jeanjean.

J. B. : Je fais partie de cette génération. Même si j’avais joué mes premiers matchs de Coupe d’Europe en 1999, contre Bath. J’avais commencé à pointer le bout du nez l’année précédente.

Quel regard portiez-vous l’un sur l’autre à l’époque ?

J. B. : Quand tu es un jeune joueur, on te teste. Yannick, avec Didier Lacroix, était capable de pousser dans cette voie. C’était comme ça à cette époque. Il fallait faire ses preuves le mercredi à l’entraînement. Quand tu es dans l’équipe d’en face, tu prends la pression des joueurs confirmés… Mon premier souvenir, c’est l’exigence des plus vieux qui nous mataient un peu. Mais Yannick a toujours été bienveillant. Avec Didier justement, ils donnaient beaucoup de conseils aux jeunes. Quand tu veux être pro, tu écoutes forcément ce qu’on te dit.

Y. B. : En tant que lanceur, j’ai très vite compris que Jean allait nous sécuriser en touche. Égoïstement, je m’étais dit : "Ce mec-là, c’est un bijou." Et puis, Jean était ingénieur… Je voyais bien qu’il avait l’œil vif, qu’il réfléchissait vite. Personnellement, je m’étais rapidement aperçu que c’était un joueur intelligent. D’ailleurs, quand j’ai arrêté en 2012, j’avais pensé à lui pour me succéder.

Racontez-nous…

Y. B. : Guy Novès m’avait demandé : "Qui vois-tu pour être entraîneur à ta place ?" Spontanément, j’avais répondu : "J’en vois un, c’est Jean Bouilhou." Je ne sais pas si tu t’en souviens.

J. B. : Très bien, notamment de la discussion avec Guy et toi.

Y. B. : Jean m’avait dit : "Non, j’ai encore envie de jouer, je n’ai pas envie d’arrêter maintenant, ce n’est pas du tout dans mes plans." Mais le premier à qui j’ai pensé pour prendre la suite, c’était lui. Je savais qu’il entraînerait. Il a fait son chemin et fini sa carrière de joueur, mais il y est venu.

Jean, sentiez-vous aussi que vous aviez cette fibre ?

J. B. : Honnêtement, non. J’avais de l’appétence pour les aspects techniques ou tactiques de la touche, du jeu, mais je ne me voyais pas trop, à ce moment-là, être dans ce rôle d’entraîneur. Peut-être à tort mais j’étais dans une logique de joueur. J’ai fini ma carrière à Pau. En 2012, je n’étais pas prêt. Peut-être par un manque de perspective et de vision. Finalement, comme le dit Yannick, j’y suis venu. D’ailleurs, Yannick a entraîné un paquet de joueurs qui sont devenus coachs. Il y a William Servat, Jean-Baptiste Poux, David Gérard et j’en oublie quelques-uns.

Y. B. : On peut aussi dire que tellement de joueurs du Stade toulousain deviennent entraîneurs que, dans la masse, j’ai dû en entraîner… Dans ce club, il y a un vrai leadership. Les joueurs recrutés sont choisis pour la façon dont ils sont structurés. Cela donne des mecs qui ont de l’aura et basculent dans l’entraînement derrière. En Top 14, il y a beaucoup de coachs passés par Toulouse en tant que joueurs. J’ai juste suivi le mouvement.

L’idée de cet entretien nous est venue d’une interview de Jean dans laquelle il évoque une combinaison gagnante en touche lors de la demi-finale européenne de 2010 contre le Leinster que vous aviez imaginée. Il soulignait la façon dont vous aviez convaincu les joueurs…

Y. B. : J’aimais bien chercher quelques trucs, même si ça les gonflait parfois (sourire). Comment s’appelait cette combinaison ?

J. B. : On devait prendre le ballon entre les deux blocs, faire sauter le bloc arrière et le prendre devant lui. Puis l’envoyer à "la Skrele" (surnom de David Skrela) pour jouer le duel. Il l’avait fait et avait marqué.

Y. B. : Bon, ça marche une fois dans une carrière, c’est fait !

Jean disait qu’il avait beaucoup apprécié ces années…

J. B. : Quand Yannick a pris les avants, on sortait de périodes où on se faisait un peu concasser. On en avait pris presque cinquante contre Biarritz (40-13 en finale du championnat de France 2006) et, en 2007-2008, le paquet d’avants du Stade s’est rebellé. Yannick nous a apporté énormément de structures dans l’entraînement et sur la conquête. Ce fut une période où nous nous sommes régalés. Quand on en parle avec les coéquipiers de l’époque, c’est ce qui ressort. Bien sûr, des grands joueurs comme Pato (Albacete) et Titi (Dusautoir) sont arrivés et cela a renforcé l’équipe. Mais on a vécu des années où le paquet d’avants toulousain est devenu conquérant. Aussi parce qu’on s’approchait tous de la trentaine et que nous étions à maturité.

Vous êtes-vous inspiré de ses méthodes d’entraînement et de son côté analytique ?

J. B. : Oui, on s’inspire toujours de ce qu’on a vécu. Cela correspond aussi à ma personnalité. J’ai fait des études plutôt scientifiques, donc ce côté très précis et cartésien de la conquête m’a plu. J’ai essayé de tendre vers ça.

Y. B. : Je me souviens avoir été vraiment meurtri par la finale de 2006, quand on prend cette rafale contre Biarritz. Il y a toujours eu la culture du jeu de mouvement au Stade mais on ne passait peut-être pas assez de temps sur les choses structurées, et il y en a beaucoup dans le jeu d’avants. Pour mes premières années d’entraîneur, j’étais jeune dans ce rôle et je me suis réfugié dans ce travail analytique. J’avais certainement des limites quand le ballon était en mouvement mais j’étudiais beaucoup de choses quand il était arrêté. On en avait sûrement besoin à Toulouse à ce moment-là. Aujourd’hui, je crois qu’on ne pourrait plus fonctionner ainsi. Il y a un leadership et une autonomie chez les joueurs très développés, notamment sur la touche. Puis, on devient vite un bon entraîneur quand on a des joueurs de classe mondiale à tous les postes. Quand j’ai quitté Toulouse, j’ai eu l’impression de devenir un moins bon entraîneur.

Était-ce une aubaine d’avoir un joueur aussi doué en touche que Jean Bouilhou ?

Y. B. : Oui mais c’est un peu limitant de dire que Jean était analytique sur la conquête. Il n’avait pas les plus gros moyens physiques mais s’appuyait sur un gros esprit de compétition. Il avait en lui l’envie de gagner, la haine de la défaite et la connaissance des rouages du club. Pour remporter des titres, il faut aussi des joueurs qui apportent de l’huile dans tous les rouages. Jean avait un superpouvoir sur la touche mais aussi un leadership qui correspondait au Stade toulousain, dans la lignée des joueurs intelligents de ce club. Ce ne sont pas toujours ceux qui attirent le plus la lumière mais ils sont là dans les grands moments.

Entre 2007 et 2012, vous avez glané quatre titres. Y en a-t-il un qui vous marque plus qu’un autre ?

Y. B. : Un des temps forts de ma carrière, c’est celui de champion d’Europe en 2010. Une génération de joueurs commençait à passer la main. Je me souviens d’un moment dans le vestiaire au Stade de France où il y avait une communion incroyable. Ce groupe vivait une sorte de plénitude, avec des supers mecs et beaucoup de leaders comme Jean, William Servat, Thierry Dusautoir, Patricio Albacete, Yannick Jauzion, Florian Fritz, David Skrela… C’était vraiment extraordinaire. Quand ça s’arrête, tu mesures la chance que tu as eue d’entraîner ces garçons-là.

J. B. : Nous, joueurs, nous sentions dans la pleine possession de nos moyens physiques et en termes de rugby en 2010. Nous avions construit le truc en 2008 et, deux ans plus tard, nous nous savions très forts. Cette finale contre Biarritz avait été impressionnante, notamment sur les mêlées qui ont été juste été hallucinantes. On s’en est refait quelques-unes il y a peu entre nous… Mon regret, c’est que les joueurs voulaient disputer les deux tableaux à fond. La demi-finale de championnat avait lieu une semaine avant la finale européenne et une équipe mixte avait été alignée. Nous avons été battus par Perpignan. Jérôme Porical a mis six pénalités, dont une sur une mêlée qu’on perd à cinquante mètres en deuxième mi-temps. Nous étions un peu frustrés. On sentait qu’on avait le potentiel pour aller chercher ces deux matchs.

Y. B. : On aurait pu faire le doublé…

J. B. : Oui, en 2010, Titi Dusautoir était au sommet, tout le monde était au taquet. Notre équipe en était capable. Cela reste un petit regret car c’est l’année qui m’a le plus marqué. Même si le Brennus de 2008 a aussi une place particulière. C’était la renaissance puisque le Stade n’avait plus été champion de France depuis 2001. J’ai le souvenir du Capitole, avec Byron Kelleher au sommet de son art sur le bus ! Puis le camion des pompiers pour faire le tour des bars, le petit train… C’était la folie.

Avez-vous continué à suivre vos parcours respectifs ?

J. B. : Quand j’ai commencé comme jeune entraîneur, Yannick était dans le staff du XV de France. On a eu quelques échanges et il m’a filé deux ou trois tuyaux. J’étais un peu en attente de ceux qui ont davantage d’expérience et c’était bien qu’il puisse m’aiguiller. Yannick a fait son chemin avec la sélection et une certaine génération. Puis de belles saisons à Bayonne.

Y. B. : On ne se voit pas souvent. Peut-être parfois par accident car sa fiancée est bayonnaise. Mais c’est quelqu’un que j’apprécie. Avec certains anciens joueurs, quand on se croise, c’est "bonjour, bonsoir". Avec Jean, j’aime discuter, partager des idées sur le jeu, sans tabou. Je crois aussi que je me reconnais dans le joueur qu’il a été, même si c’était un boss de la touche. Comme moi, il a eu quelques sélections internationales mais il était avant tout un capitaine de club, un joueur essentiel du Stade toulousain. Nous n’avions ni le même poste ni la même morphologie ni les mêmes qualités, mais nos parcours se ressemblent un peu.

Yannick, vous avez quitté le Stade toulousain en 2012 mais ce club influence-t-il encore votre manière d’entraîner ou de manager ?

Y. B. : Bien sûr. Quand on passe autant de temps dans un club, qu’on a la chance d’avoir gagné des trophées grâce à lui, on est imprégné d’une façon de préparer les grands événements. Je l’ai apporté dans les endroits où je suis passé. Plus à Bayonne parce que j’avais le leadership sur le projet sportif et que je le façonnais à ma manière. Quand tu quittes Toulouse, tu t’enrichis individuellement parce que tu te retrouves face à d’autres scénarios et joueurs, mais tu mesures à quel point tu as été privilégié de faire partie de cette horlogerie. Tu ne retrouves des joueurs de cette qualité nulle part ailleurs, qui comprennent vite, qui ont une capacité d’anticipation supérieure à la normale et qui ont la mentalité du champion.

Jean, le fait que Yannick Bru soit un membre du staff des Sharks pèse-t-il dans votre préparation ?

J. B. : Oui, parce qu’il nous connaît très bien, qu’il maîtrise parfaitement la maison et la façon dont on va aborder le match. Les Sharks ont été malins de le recruter. Pour le coup, on voit les vidéos de leurs matchs mais on ne connaît pas trop leur écosystème. Il existe un mystère qu’on n’a pas avec les clubs du Top 14 ou certains Européens.

Y. B. : Clément (Poitrenaud) a quand même fait un an aux Sharks.

J. B. : C’est vrai, il connaît quelques joueurs mais ça a beaucoup changé.

Y. B. : Je sais qu’il y a eu diverses interprétations sur l’intégration des Sud-Africains dans la compétition. Mais c’est chouette de pouvoir se parler ainsi dans la préparation du match. Ce sera un grand moment sportif, avec un stade plein, une belle météo et de nombreux joueurs de classe internationale sur la pelouse. Après, le meilleur gagnera…

Si vous deviez piquer un joueur d’en face pour ce week-end, qui serait-il ?

Y. B. : Je sais lequel je prends. Et Jean doit savoir de qui je parle. Il a commencé le rugby à Castelnau-Magnoac et il est du comité Armagnac-Bigorre !

J. B. : Yannick a pris un vrai joker en sortant un mec de derrière et pas de devant (rires). Je vais faire pareil et je dirais le centre Lukhanyo Am.

Pour finir, il y a une grosse effervescence à Toulouse autour de ce match…

J. B. : Les supporters ne connaissaient pas trop les joueurs des Bulls la semaine dernière mais là, entre les nombreux Springboks et le match des Sharks contre le Munster, ça excite les appétits pour être au stade ce samedi. On s’attend à un grand match.

Y. B. : De mon expérience toulousaine, ce n’est pas bon signe pour nous ! (rires)

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