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200 ans d'histoire (15/52) : 1931, quand la France était mise au ban du Tournoi des 6 Nations

  • Le président de la FFR Octave Lery reçoit la lettre des Home Unions qui excluent la France du Tournoi.
    Le président de la FFR Octave Lery reçoit la lettre des Home Unions qui excluent la France du Tournoi. Midi Olympique - Fabien Agrain-Védille
Publié le Mis à jour
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En plein Tournoi 1931, la France apprend qu’elle est exclue de la compétition par les Britanniques et privée de contacts avec les nations majeures. En termes de comportement et d’esprit du jeu, le rugby français s’était laissé aller.

Un coup de massue sur la tête ! Pire que ça, une déflagration. En 1931, le rugby français a vécu le moment le plus difficile de toute son existence. Le 2 mars 1931, la FFR reçoit par la poste une lettre des Home Unions, qui correspondaient à l’époque à l’International Board. Voilà exactement ce qu’elle disait : « Au vu des conditions peu satisfaisantes dans lesquelles le rugby football est joué en France, ni nos fédérations, ni les clubs dépendants de nos juridictions ne pourront organiser de match avec la France ou les clubs français. » S’ils avaient voulu être lapidaires, les British auraient pu tout résumer dans une formule : « Vous êtes virés du Tournoi. »

La décision était terrible, car depuis dix ans la France était devenue une puissance du ballon ovale. Les Bleus avaient battu au moins une fois les autres nations du Tournoi, mais les Français s’étaient aussi distingués pour des mauvaises raisons. Difficile de le contester, ces nouveaux venus ne respectaient pas les bonnes manières. Les joueurs tricolores des années 20 étaient souvent des gars du « terroir », issus des milieux populaires. Ils n’avaient pas le raffinement et la retenue des Britanniques, presque tous issus des prestigieux collèges.

On disait même qu’Adolphe Jauréguy, trois-quarts aile vedette du XV de France (plutôt bien éduqué) était dégoûté par la façon de manger de ses camarades.

Un match avait fait naître les premiers doutes, l’Angleterre-France de 1922 : la France décroche un brillant match nul 11-11 en marquant trois essais, mais au-delà de la manière, les Français sidèrent Twickenham par leur façon de « distribuer » dans les regroupements avec deux terreurs nommées Jean Sébédio et Marcel-Frédéric Lubin-Lebrère. Puis vint l’épisode des JO de 1924 (lire Midi Olympique du lundi 27 mars), en 1927, l’arbitre de France-Irlande est pris à partie par la foule de Colombes, la police intervient in extremis. Puis, l’apogée : le France-Galles de 1930 (0-11). Le Western Mail le résuma ainsi : « En matière de vraie brutalité et de sauvagerie gratuite, ce match ne peut pas être approché dans les annales. » Dès le coup d’envoi, ça tomba comme à Gravelotte.

Dans le rôle des exécuteurs, Alex Bioussa et Jean Galia. Les Gallois se rebiffent et ça tourne au vinaigre, Galia ouvre la face du talonneur adverse. La France vient d’atteindre le point de non-retour, mais le pire c’est que les dirigeants français ne comprennent pas ce qui est en train de se jouer. Au banquet d’après-match, le président de la FFR, Octave Léry fait preuve d’une naïveté ou d’une arrogance incroyable. Il demande carrément l’entrée de la France dans l’International Board. Gros malaise ! Au même banquet, son alter ego gallois venait, lui, d’appeler à ce que de tels France-Galles ne se reproduisent jamais.

Un stage d’avant match illégal

Dans les semaines qui suivent, la FFR consciente de la bourde, décide de suspendre Alex Bioussa en se disant que les Britanniques s’en contenteraient. Erreur, l’aveuglement des Français est sans limite. Et en plus, ce que la violence a commencé, l’argent l’a terminé. Les valises de billets circulaient allègrement dans le rugby français. Le club de Quillan mettait le feu aux poudres. Un mois après le fameux France-Galles, on apprit que douze clubs français parmi les plus prestigieux, faisaient sécession pour protester contre le professionnalisme rampant (lire ci-dessous). Pire encore, à Londres, Cardiff, Edimbourg et Dublin, on se rendit compte qu’avant le fameux France-Galles de 1930, le XV de France avait fait une sorte de stage de préparation à Quillan en violation flagrante des lois sur l’amateurisme.

C’était le bouquet et la pièce maîtresse du dossier que les Britanniques montaient contre nous dans la pénombre. « L’instruction » dura environ un an, elle éclata juste après le match Galles-France de 1931 (35-3). Au soir de cette rencontre, le président gallois Lynne fit une allusion assez claire à l’exclusion des Français, mais les caciques de la FFR, décidément inconscients, refusèrent de dramatiser. La lettre reçue trois jours plus tard les ramena très brutalement sur terre. Le pire, c’est qu’il restait un dernier match à jouer, contre l’Angleterre. La France s’acquitta de la tâche avec brio, dans une atmosphère funèbre. C’était parti pour quatorze ans de pénitence. À l’échelle de l’Histoire, les tenants de la tradition avaient marqué leur territoire.

Place libre pour l’offensive treiziste

Les conséquences de l’exclusion du Tournoi ont été terribles pour le rugby français. Le XV de France s’est retrouvé à jouer contre des nations de second rang, l’Allemagne, l’Italie et la Roumanie dans des stades sans ferveur populaire. Autant de victoires trop faciles et des records sans grande signification comme celui de Maurice Celhay qui marqua quatre essais en un match contre l’Italie en octobre 1937. Plus de Tournoi annuel et plus de tournées des sudistes à se mettre sous la dent.

Mais le plus grand danger pour le XV, ce fut l’arrivée en France du Rugby à treize professionnel. Il serait peut-être venu quand même, mais là, il combla un vide
Il est apparu en 1933-1934 avec comme promoteur, Jean Galia, l’un des trublions de 1930. Il avait été exclu par la FFR en janvier 1933 pour une sombre histoire de transfert. Il comprit que la France était devenue une réserve de talents sous-employés.

Il organisa d’abord un match Angleterre-Australie le 31 décembre 1933 puis il mit sur pied une tournée d’une sélection de joueurs quinzistes français radiés par la FFR pour « professionnalisme ». Il lui fit faire une tournée en Angleterre, six matchs en quinze jours face à Leeds, Warrington, London Fields, Hull, Wigan, Salford. Une opération couronnée de succès aussi bien sur le plan populaire et sur le plan sportif : le niveau des Français s’était révélé très proche de celui des pros anglais. La Rugby Football League décide alors de soutenir ces voisins et amis, le 6 avril 1934 fut créée la Ligue professionnelle de rugby à treize à Paris. Et le 15 avril, 20 000 personnes assistèrent au stade Buffalo de Montrouge à un magnifique France - Angleterre (12-32). Les plus jeunes n’imaginent pas l’impact du XIII, et la façon dont il déstabilisa le XV. Et tout ce qui en découla (lire Midi Olympique du 10 mars 2023). Un exemple, la baisse du nombre de clubs quinzistes. Ils étaient 784 en 1930 et 558 en 1939. Dans les années 50, « l’autre rugby » remplissait encore le Stadium de Toulouse pour ses grands rendez-vous.

L’UFRA, un épisode étrange

Décidément, les années 30 furent la décennie noire du rugby français. En décembre 1930, douze, puis quatorze clubs décidèrent de faire sécession par rapport à la FFR. Ils voulaient protester contre l’amateurisme marron et la violence endémique. C’était du pain béni pour les Britanniques évidemment. Dans ce groupe dissident, il y avait du beau monde, six anciens champions de France, des clubs plutôt issus des grandes villes (Toulouse, Bordeaux, Lyon, Nantes, Grenoble). Ils demandaient aussi un meilleur partage des recettes et l’autorisation de trois remplacements en cours de partie. Ils organisèrent un championnat parallèle qui ne connut que deux éditions, sorte de Top 14 avant la lettre. Puis l’UFRA et la FFR se rapprochèrent en mai 1932. Et les « pirates » réintégrèrent le championnat classique, tout sauf élitiste. Chacun avait fait un pas vers l’autre. Mais le mal était fait, la France ne jouait plus le Tournoi.

Plus rien avant 1945

La France ne retrouva le Tournoi qu’en 1947, soit seize ans après son exclusion. Mais en 1945, la France put affronter l’armée britannique dans ce qui compta pour un vrai test (lire Midi Olympique du 17 mars). Elle renoue avec les nations de l’Hémisphère Sud en 1948 avec la réception de l’Australie.

En fait, le Tournoi aurait dû reprendre à cinq dès 1940, mais la guerre empêcha le retour des Français. Il avait été souhaité par les gouvernements des deux nations alliées face à l’Allemagne nazie. Mais la France avait accepté de supprimer son championnat. Il fallut donc attendre sept ans de plus, le rugby à quinze avait souffert de son isolement. Mais il avait reçu le secours du gouvernement de Vichy qui avait tout simplement supprimé le rugby à treize d’un trait de plume.

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