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Coupe du monde 2023 - Joël Jutge : "On donnerait des cartons orange, en clair…"

  • Joël Jutge aux côtés d'Andy Farrell, sélectionneur de l'Irlande.
    Joël Jutge aux côtés d'Andy Farrell, sélectionneur de l'Irlande. Sportsfile / Icon Sport - Sportsfile / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Après Freddie Steward lors du dernier Six Nations, le Montpelliérain Zach Mercer a été blanchi en commission d’un carton rouge. De quoi relancer la menace de graves polémiques arbitrales lors de la prochaine Coupe du monde ? Conscient du problème, Joël Jutge confirme que des débats sont désormais ouverts à World Rugby quant à l’adoption d’un nouveau processus, dont il pèse les pour et les contre.

Lors de la dernière journée du Tournoi puis des 8es de finale de Coupe d’Europe, deux cartons rouges ont été récemment annulés par des commissions de discipline. En tant que patron mondial des arbitres, quelle est d’abord votre opinion à ce sujet ?
Pour vous répondre précisément, il faut d’abord indiquer qu’il s’agit de deux situations différentes, sur lesquelles deux cartons rouges ont été distribués et logiquement contestés. On comprend parfaitement qu’il y ait débat : lorsqu’un carton rouge est donné à cause d’une erreur d’appréciation, il est logique que la commission de discipline blanchisse le joueur. C’est normal. Je ne suis pas du tout gêné par cela. Au contraire, je trouve cela très bien.

Ne craignez-vous pas qu’à déjuger trop fréquemment les arbitres, ceux-ci perdent de leur autorité ?
La différence fondamentale, c’est qu’une commission de discipline a 24 heures pour prendre une décision quand les arbitres n’ont en moyenne qu’une minute et trente secondes. On ne juge pas une action de la même façon, dans ces conditions… Dans tous les cas, les débats peuvent être infinis. J’en veux pour preuve qu’à la fin du Tournoi, nous avons réuni à World Rugby tous les sélectionneurs de toutes les équipes participantes à la Coupe du monde. Nous leur avons livré une douzaine de clips en fonction desquels on leur a demandé de jouer aux arbitres et de prendre une décision. Je peux vous assurer que les réponses étaient très différentes, à tel point que des désaccords subsistaient entre les entraîneurs même à l’issue de la réunion. C’est dire si la difficulté de la tâche confiée aux arbitres est grande, tout le monde en a conscience…

Justement, les arbitres ne se trouvent-ils pas aujourd’hui prisonniers de leurs « arbres décisionnels », qui devraient les aider à prendre des décisions le plus objectivement possible mais qui peuvent les conduire à s’éloigner du bon sens ?
La difficulté pour l’arbitre, c’est qu’il demeure toujours une part de subjectivité. Dans le cas d’un plaquage dangereux, on s’interroge dans l’ordre sur : le degré de dangerosité de l’intervention ; si le défenseur est passif ou pas ; enfin, s’il a le temps matériel de réagir. Par rapport à cela, les commissaires de l’EPCR ont reconnu que M. Brace avait commis une erreur lors d’Exeter-Montpellier. Quant au cas observé pendant le Tournoi, tout le monde a compris le raisonnement de Jaco Peyper lorsqu’il a donné le carton rouge à Steward. Mais s’il avait posé la question : « s’agit-il d’un jeu déloyal ? », la réponse aurait probablement été non, pas plus que l’arrière anglais n’avait le temps matériel de réagir. Il aurait pu prendre une décision différente.

On vous suit…
Ces plaquages à deux, ce sont toujours de grosses problématiques. Je me souviens qu’en France, il y a quelques saisons, il y avait eu beaucoup d’émotion au sujet d’un plaquage dont avait été victime Rémy Grosso par Tu’ungafasi, lors d’une tournée du XV de France en Nouvelle-Zélande (2018). Celui-ci avait été blanchi après avoir été victime d’un carton rouge, ce qui avait provoqué beaucoup d’incompréhension car son plaquage avait causé une grosse blessure. C’est pourquoi je dis qu’il faut savoir rester froid et lucide pour analyser ces situations qui sont toujours très délicates. Je suis toujours effaré quand j’entends toutes ces personnes qui ont une solution miracle à tout…

Craignez-vous qu’à ce rythme, la prochaine Coupe du monde puisse être polluée par ce genre de polémiques ?
On va continuer à travailler d’arrache-pied pour qu’il y ait le moins possible d’erreurs sur des situations relativement simples, à l’instar du carton rouge qu’a reçu Zach Mercer avec Montpellier. Après, des cartons rouges annulés, rien ne peut assurer qu’il n’y en aura pas pendant la Coupe du monde. Ce genre de problématiques va certainement se poser, même en travaillant dans le « bunker ».

Pouvez-vous expliquer en quoi consiste ce « bunker » ?
C’est un fonctionnement qui est en ce moment mis à l’épreuve dans le Super Rugby. En cas de décision à 50-50, l’arbitre a la possibilité de donner un carton jaune afin que le jeu reprenne le plus vite possible, tandis que des arbitres placés dans le « bunker » ont les 10 minutes de l’expulsion temporaire pour décider si celle-ci doit être muée en expulsion définitive. On donnerait des cartons orange, en clair…

Sur le papier, cela semble plutôt intelligent…
L’idée peut paraître séduisante, en effet, mais tout n’est pas si simple. C’est pour cela que le principe du « bunker » est en discussion actuellement, pour savoir s’il doit être mis en place pour la Coupe du monde ou pas car cela pose d’autres questions.

Lesquelles ?
D’abord, qui mettrait-on dans ce « bunker » ? Combien de personnes ? Faut-il juste y placer des arbitres, ajouter un commissaire à la citation, des anciens joueurs pour apporter leur expertise ? S’il y a un désaccord, qui est en mesure de trancher et de surévaluer la sanction décidée par l’arbitre ? La création de ce « bunker » nécessiterait des changements très importants. Et il y a toujours un côté pernicieux lorsqu’on met en place de nouvelles choses.

Dans quelle mesure ?
L’effet positif du « bunker », c’est qu’il permettrait de faire peser moins de pression sur l’arbitre en laissant à d’autres le temps de réfléchir sans couper le rythme du match. Mais d’un autre côté, on peut tomber dans la déresponsabilisation. Si le principe du « bunker » est validé, on peut d’ores et déjà en conclure qu’il va sonner la fin des cartons rouges distribués par les arbitres centraux. C’est juste humain, personne ne va prendre le risque de se tromper… Sauf qu’à l’heure où la priorité de World Rugby est de faire passer la sécurité du joueur avant tout, à l’image du courageux combat qui est actuellement mené par M. Chauvin (voir page 26), je ne suis pas sûr que cela soit un bon message qu’on envoie.

Parlons clairement : cette idée de « bunker » peut-elle être adoptée d’ici la Coupe du monde, afin de régler cette problématique des cartons rouges et du jeu déloyal ?
On ne peut rien affirmer. Aujourd’hui, en Super Rugby, les arbitres n’ont droit qu’à deux ou trois ralentis pour prendre une décision, et s’en réfèrent de fait très vite au « bunker ». On veut trouver un juste milieu, c’est pourquoi celui-ci pourrait d’abord être mis à l’essai cet été, lors du Rugby Championship. Si cela s’avère satisfaisant, il pourra être adopté lors de la Coupe du monde. Mais je le répète, on n’en est encore qu’au stade des discussions.

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Les commentaires (2)
fojema48 Il y a 1 année Le 11/04/2023 à 16:39

Si il y a blessure de l'un des deux adversaires concernés lors du contact, il doit y avoir systématiquement "sanction" temporaire ou non pour l'auteur de cette blessure

JIMYAUMI Il y a 1 année Le 11/04/2023 à 12:09

Je pense que les arbitres s'appuient un peu trop sur la vidéo, pour se dédouaner de leurs responsabilités. Bien souvent l'action se passe sous leur nez, et il faut la revoir 5 ou 6 fois au ralenti pour qu'ils prennent une décision. Comment font-ils dans la vrai vie ces gens là, lorsque par exemple au volant de ;leur voiture, un pieton traverse devant eux... ils revoient l'action au ralenti ??? Par ailleurs ils ne sont pas cohérents : la même action a un moment différent du match ne donne pas lieu à la même sanction ; il y a trop de lattitude dans l'appréciation.