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Top 14 - Jacky Lorenzetti (Président du Racing 92) : "Le rugby, c'est un truc de fou..."

  • Avant une fin de saison haletante, Jacky Lorenzetti se livre.
    Avant une fin de saison haletante, Jacky Lorenzetti se livre. Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Jacky Lorenzetti (75 ans) est à la tête du Racing depuis dix-sept ans. Pour nous, « JLO » exhume aujourd'hui quelques-uns de ses plus beaux souvenirs de président, évoque sa rencontre avec Arsène Wenger, raconte la nuit où le skipper Michel Desjoyaux l’a appelé en larmes, revient sur les déclarations de son ancien ouvreur Johnny Sexton et met un terme à l’imbroglio entourant le transfert de Josua Tuisova… C’est à vous, Jacky…

À quoi vous attendez-vous ce week-end, face à Perpignan ?

À un choc terrible entre une équipe se battant pour éviter la mort et une autre luttant pour rester en vie… Le stade Aimé Giral est un contexte hostile. Nous nous sommes préparés en conséquence.

Comment avez-vous vécu le dernier match du Racing, face à Bordeaux-Bègles à Lens ?

Le suspens était incroyable et les deux équipes se sont rendu coup pour coup. Avec Laurent Marti, avec lequel je m’entends pourtant très bien, on ne s’est quasiment pas regardé du match. Cela a dû être terrible pour lui, au coup de sifflet final. Mais le Racing n’a rien volé : 57 % d’occupation sur la rencontre, 60 % de possession en deuxième mi-temps et quatre essais à un. Nos joueurs se sont battus jusqu’au bout. C’est ça, le rugby…

Avez-vous fêté ça ?

Oui, sur le trajet du retour, avec quelques amis. On était coincés dans les embouteillages mais on s’en foutait : le Racing avait gagné, on était heureux... Ça ne m’a pas empêché de penser à Laurent (Marti) qui lui, devait rentrer le cœur lourd jusqu’à Bordeaux. J’en parle d’autant plus facilement que j’ai très souvent vécu ce genre de situation.

Pour le Racing, l’espoir est-il aujourd’hui revenu en vue de la qualification ?

L’espoir, on ne l’a jamais perdu. Nos ambitions sont proportionnelles aux efforts que l’on fait tous. Pour autant, le début de saison a été décevant. On a rapidement tiré un trait sur la Champions Cup, ce qui fut pour nous une énorme désillusion. Le Leinster nous a mis une grosse claque et derrière ça, la situation ne fut pas facile à vivre…

Dans quel sens ?

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que l’actuel entraîneur du Leinster (Stuart Lancaster) est aussi le futur coach du Racing. Psychologiquement, pour Laurent (Travers), cela fut très compliqué à vivre.

Dans quel état serait Laurent Travers s’il ne parvenait pas à qualifier le club pour sa dernière saison en tant que manager ?

Ce scénario, on ne l’envisage pas. Car ce serait une énorme déconvenue. Mais depuis un an, j’ai pris conscience que le Racing était, malgré tous les succès de Laurent, en fin de cycle. […] Aujourd’hui, notre manager endosse tous les jobs : celui du passé, celui du présent et celui du futur. C’est toute la difficulté de l’exercice.

Comment avez-vous vécu le fait que Laurent Labit, qui fut le binôme de Laurent Travers durant six saisons au Racing, prenne en charge le Stade français la saison prochaine ?

Je me dis juste que le derby sera encore plus croustillant la saison prochaine, voilà tout…

Travers et Labit se reparlent-ils ?

C’est compliqué… Entre eux, il y a eu divorce et un divorce n’est jamais facile à vivre. […] Moi, j’ai une affection toute particulière pour Laurent Travers et je suis certain qu’il fera du bon boulot en tant que président, dans quelques mois.

On vous a vu, à Lens, danser face aux supporters du Racing. N’y a-t-il donc que le rugby, pour mettre un homme dans des états pareils ?

J’avais tellement souffert pendant les quatre-vingts minutes précédentes que j’ai ressenti le besoin de « swinguer » un peu… Je suis passé de l’enfer au paradis en quelques secondes. Le rugby, c’est un truc de fou. Et puis, j’avais besoin de dire à nos supporters qui s’étaient tapés plusieurs heures de bus pour rejoindre le Nord que j’appréciais ce qu’ils faisaient pour nous.

Vous étiez, il y a vingt ans, le sponsor du skipper Michel Desjoyaux. La voile vous mettait-elle dans des états similaires ?

La voile a une dimension de danger imminent qui est difficile à assumer pour le skipper, lequel affronte des vagues de vingt mètres de haut dans les quarantièmes rugissants (au large du Cap de Bonne Espérance, N.DL.R.). Le navigateur risque sa vie, sur un trimaran. La nuit, je restais d’ailleurs toujours branché. (il marque une pause) Je n’oublierai jamais le jour où Michel Desjoyaux m’a appelé en larmes, hurlant au téléphone, pour me dire que son bateau venait de heurter un banc de baleines. Les dérives étaient arrachées, les flotteurs prenaient l’eau et autour de lui, la mer était devenue rouge, en raison du sang versé par les cétacés. […] Michel était effondré, désespéré. Tout à la fois parce qu’il devait abandonner la course et parce qu’il avait mis fin à la vie de ses compagnons de route… En voile, quand la bête est lâchée, on est seul jusqu’au bout…

Le Racing a cette saison encore délocalisé de nombreux matchs. Cela fragilise-t-il l’équipe ?

Évidemment que ça fragilise l’équipe. Mais lorsque j’ai entrepris la construction de cette salle de spectacle dans lequel on déroule le tapis pour y disputer parfois des matchs de rugby, je savais que le problème des délocalisations se poserait tôt ou tard. La logique est ici financière, il ne faut pas se le cacher : organiser des matchs de rugby à Paris-La Défense-Arena est difficile et coûteux ; organiser des spectacles est plus facile et beaucoup plus rentable.

Mais ?

Ça nous pénalise, oui ! Lens et Le Havre nous font toujours un super accueil mais la saison dernière, lorsque nous avons reçu le Stade rochelais en demi-finale de Champions Cup au stade Bollaert, nous avons totalement gommé notre avantage terrain. À Nanterre, nos joueurs ont des habitudes qu’ils n’ont pas ailleurs, c’est humain…

Quid d’un retour à Colombes après les Jeux Olympiques de Paris ?

Il y a plusieurs solutions : Charlety et Le Mans demandent aussi à nous accueillir. Mais un retour aux sources, qui plus est dans un département qui nous est cher, aurait du sens. L’idée me plaît, oui.

Et celle d’un derby francilien en quart de finale du championnat, vous plairait-elle aussi ?

Je préférerais affronter le Stade français en finale, pour tout vous dire. J’ai du respect pour l’équipe de Gonzalo Quesada, que j’aime beaucoup. Je lui souhaite d’aller le plus loin possible mais moins loin que nous, quoi…

Le 24 décembre dernier, le Stade français avait sévèrement battu le Racing à Nanterre (10-48). Cela fut-il le pire jour de votre carrière de président ?

Oui, clairement. Avant ce match, j’avais deux souvenirs forts : le titre de Barcelone (juin 2016), un immense extase, et le projet de fusion avorté, une situation qui fut très difficile à vivre… J’ai désormais ajouté ce match-là à mon armoire à souvenirs : ce derby m’a tellement rongé, tellement stressé qu’il ne fut pas totalement étranger à ce qu’il m’est arrivé derrière (une double embolie pulmonaire). […] Je vis les matchs de rugby avec beaucoup d’intensité. Je vis ça physiquement, même...

Vous n’êtes pas le seul dans ce cas...

C’est vrai. Je me souviens de Mourad (Boudjellal) faisant le tour du stade en taxi parce qu’il ne pouvait assister à la finale de coupe d’Europe du Rct, de Maurice Derichebourg (ancien propriétaire de Brive) qui ne supportait pas de voir son équipe en direct... Chacun de nous vit cette souffrance comme il le veut, comme il le peut. Moi, j’essaie de l’affronter.

Vous aviez beaucoup hurlé contre vos joueurs au soir du derby perdu. Leur pardonnez-vous vite, après ?

J’avais hurlé pour tenter de puiser dans le tréfonds des capacités humaines. Je n’interviens jamais avant les matchs, jamais à la mi-temps… (il marque une pause) Enfin, je suis une seule fois intervenu à la mi-temps d’un derby à Paris-La-Défense-Arena, ce qui n’est pas énorme en seize ans de présidence... Mais c’est toujours vite oublié parce que malgré tout, j’ai confiance en eux.

Il y a désormais dix-sept ans que vous avez racheté le Racing. Que vous reste-t-il des premiers jours ?

Le souvenir d’un immense challenge à relever et les mots de Paul Goze : « Accroche-toi, Jacky. Le rugby est un monde compliqué. Tu vas en baver ». Mais je ne réalisais pas, à l’époque… Mes épaules se sont rapprochées, depuis. [...] Le rugby, c’est un combat permanent pour un président : pour aller chercher des partenaires, pour affronter les autres présidents sur le terrain des transferts… Mais aujourd’hui, je suis fier d’avoir été un des maillons du Racing, un club qui a cette année fêté ses 140 ans d’existence…

Que s’est-il passé autour du transfert de Josua Tuisova ? Pourquoi a-t-il failli faire machine arrière ?

Pour être clair, on pensait au départ faire signer un grand joueur français, Damian Penaud. Mais il ne voulait pas prendre de décision avant le début de l’année (2023), ce qui était pour nous trop tard. On avait en parallèle la possibilité de signer Tuisova et cela s’est donc fait assez rapidement. Yann Roubert (le président du Lou) n’avait pas vu le danger du départ de son joueur. [...] Quand le transfert s’est su, Josua a réalisé des performances extraordinaires : il a créé de la convoitise et d’autres clubs l’ont sollicité. Il a alors repesé sa décision, il avait peur de changer de lieu de vie… On a alors accéléré sur le choix de l’école pour les enfants, on a fait en sorte qu’il se sente en confiance et on attend désormais son arrivée avec impatience. […] Josua Tuisova fera je pense partie d’une très belle ligne de trois-quarts avec Vinaya Habosi (l’ancien ailier des Fidji Drua, arrivé il y a quelques semaines), qui nous a démontré tout son talent à Lens.

Siya Kolisi, Thomas Laclayat ou Josua Tuisova font tous partie d’un recrutement ambitieux vous ayant valu quelques critiques sur les réseaux sociaux, au sujet du respect du salary cap. Il y a un an, vous aviez en effet émis des réserves sur le recrutement des Rochelais…

Je n’ai jamais attaqué le salary cap de La Rochelle. Je me suis seulement demandé comment ils faisaient. Vincent (Merling) a mieux géré ses économies que moi, bravo à lui. Nous concernant, les gens l’oublient mais nos trois meilleurs joueurs supposés ne répondent pas au rendez-vous cette saison : Virimi Vakatawa, Bernard Le Roux et Camille Chat, lequel promène des blessures à répétition. L’un d’entre eux a arrêté sa carrière (Vakatawa) et pour Bernard, même si rien n’est encore acté, il est possible qu’il ne puisse pas rejouer au rugby. Ça nous ouvre des espaces financiers nous permettant de payer d’autres joueurs. Et puis…

Quoi ?

En ce moment, la santé économique du rugby international n’est pas optimale : au pays de Galles, les régions souffrent ; en Angleterre, des équipes font faillite ; en Afrique du Sud, les franchises s’ouvrent à des fonds privés ; en Super Rugby, les audiences et les affluences souffrent. Dès lors, les salaires exorbitants de jadis sont révolus. Il n’y a plus de surenchère, plus d’excès. Cette année, on a fait un beau recrutement avec des salaires très corrects.

Avez-vous vraiment tout fait pour garder Finn Russell au club ?

On avait fait une proposition inférieure à sa rémunération actuelle et il était d’accord. Parce que Finn, c’est Finn : on l’a encore vu à Lens, où il a fait basculer le match en notre faveur. Malgré son inconstance, c’est aussi un joueur très attachant. Mais le jour de la signature, il a changé d’avis, changé d’agent et trouvé un paradis à Bath… Tant mieux pour lui…

On dit volontiers de Stuart Lancaster, votre futur manager, qu’il est un dur, un homme exigeant. Partagez-vous ce sentiment ?

Je n’en pense que du bien. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi les dirigeants de la fédération anglaise l’avaient remercié en 2015… Il avait construit l’équipe, posé les structures d’une sélection qui deviendrait dans la foulée tonitruante…

Et pour revenir à notre question ?

Elle me ramène à une visite que j’avais faite il y a quelques années avec Pierre Berbizier, à l’intérieur du club d’Arsenal (Premier League). Ce jour-là, on avait passé la journée avec Arsène Wenger et au moment du repas, je lui avais demandé : « Qu’est-ce qu’un champion, Arsène ? » Il m’avait répondu : « Un champion, Jacky, c’est celui qui mange, dort et baise rugby ». L’implication doit être totale. Je ne dis pas que Laurent (Travers) n’est pas exigeant. Mais il n’y a pas, au Racing, cette culture d’exclusivité dédiée au rugby.

Ce n’est pas assez spartiate, c’est ça ?

On dit toujours que mes joueurs ont le cul dans graisse. Bon.. Peut-être… L’idée de départ, c’était juste de leur donner un maximum de confort pour qu’ils s’expriment sur le terrain du mieux possible. Mais dans ce sport de combat, il faut probablement vivre plus à la dure.

Êtes-vous favorable à la Coupe du monde des clubs, dont la naissance est attendue sous peu ?

Je l’appelle de mes vœux. Mais il ne faut pas que ce soit un bal de clowns, soit deux ou trois matchs à la con disputés au bout du monde… Il faut une vraie compétition, une vraie phase finale, un truc qui ait du sens. Aujourd’hui, on parle d’un coup d’envoi en 2025. On verra…

Avez-vous été déçu que Johnny Sexton dise récemment dans la presse irlandaise qu’il regrettait les deux saisons passées au Racing, de 2013 à 2015 ?

On m’a rapporté ses propos. (il soupire) J’imagine qu’il faut replacer tout ça dans le contexte de son ambition avec l’équipe d’Irlande. Au Racing, Johnny avait envie que l’équipe soit organisée autour de lui et les coachs (Travers et Labit) ne partageaient pas cette vision. Entre les deux parties, il y a d’abord eu une satisfaction réciproque de travailler ensemble puis une insatisfaction réciproque de travailler ensemble…

Votre santé n’a pas été épargnée, ces deux dernières années : soins intensifs après avoir attrapé le Covid et plus récemment, double embolie pulmonaire… Allez-vous lever le pied, ces prochains mois ?

Ma femme m’a sauvé la vie à la fin de l’année. Mais j’ai récupéré, depuis. [...] Ma passion, c’est de travailler. Mais je vais devoir m’organiser parce que je ne suis pas immortel. C’est aussi la raison pour laquelle Laurent Travers prendra beaucoup de responsabilités au club, la saison prochaine. De mon côté, j’essaierai de me réfréner….

L’auriez-vous cru, si on vous avait dit il y a cinquante ans que vous seriez aujourd’hui président d’un club de rugby ?

Non, jamais. Il y a cinquante ans, je montais Foncia (une agence immobilière) ex nihilo ; j’y passais mes jours et mes nuits. Mais j’ai toujours aimé le rugby, vous savez : je buvais les paroles de Roger Couderc et je regardais les matchs, ce magma de joueurs plein de boue ; sur le terrain, ça ne bougeait pas pendant cinq minutes puis quelques gnons partaient de-ci de-là… En fait, je me suis toujours dit que le rugby était le sport qui me correspondait le mieux.

Que changeriez-vous, si vous aviez le pouvoir de revenir en arrière ?

Plein de choses, comme tout le monde… (il soupire) Cet épisode de la fusion (entre le Racing et le Stade français, en 2017) est évidemment un moment douloureux. L’échec de ce projet est mon entière responsabilité : j’ai mal expliqué aux gens, je me suis mal débrouillé… et quand bien même cela aurait fonctionné, je ne sais même pas si les choses auraient été mieux qu’elles ne le sont aujourd’hui...

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