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Portrait - Des All Blacks à Toulon, Carl Hayman "n'a pas eu le courage de dire stop"

Par Clément Labonne
  • Carl Hayman lors de la cérémonie du Hall of Fame à Toulon.
    Carl Hayman lors de la cérémonie du Hall of Fame à Toulon. Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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En marge des célébrations du Hall of Fame toulonnais, Carl Hayman est longuement revenu sur années varoises et ses moments de gloire sous le maillot du RCT. Il s’est également confié sur son nouveau combat contre la démence et a livré le plus grand regret de sa carrière : la peur de dire stop.

Carl Hayman a retrouvé la douceur toulonnaise. Au milieu de la petite forêt du Campus RCT, le colosse néo-zélandais était l’un des nombreux invités prestigieux du Hall of Fame de Toulon. Sous le soleil varois, l’ancien pilier des All Blacks (45 sélections) s’est assis avec quelques rides en plus pour rembobiner le fil de sa glorieuse carrière. « Je veux vraiment remercier le club pour m’avoir invité pour ce Hall of Fame. J’ai passé beaucoup de temps à signer des autographes et prendre des photos avec les supporters, c’était vraiment sympa. Revoir des gars comme Bakkies Botha, Matt Giteau ou Drew Mitchell était incroyable. »

Vainqueur à cinq reprises du Tri Nations et triple champion d’Europe, le natif d’Opunake a également soulevé le bouclier de Brennus avec Toulon en 2014. Huit ans après son départ de la rade, le géant néo-zélandais est encore marqué par la furia toulonnaise. « Le club a joué un grand rôle dans ma carrière et dans ce que j’ai pu réussir. Dans ma vie même. On a beaucoup gagné ensemble et quand on est sur le terrain on ne se rend pas compte du succès qu’on a pu avoir. Quand le RCT m’a invité j’étais vraiment honoré. C’est une grande initiative de leur part. Ce qui m’a marqué, c’est que les joueurs continuent de fendre la foule avant la rencontre. C’était exactement ce que nous faisions à l’époque. Cela m’a rappelé beaucoup de souvenirs : notamment l’anxiété avant le coup d’envoi et toute la préparation mentale pour être performant sur le terrain. Les supporters sont toujours aussi géniaux ici. Je me rappelle qu’on m’avait dit que si je donnais tout pour Toulon le public allait toujours me supporter. Beaucoup de ces supporters sont devenus des amis parce qu’ils venaient également aux entraînements. »

Couvert d’or sur la rade

Il faut dire que Carl Hayman et sa bande ont marqué l’histoire du RCT comme jamais un groupe ne l’avait fait avant eux. L’ancien pilier des All Blacks se remémore surtout de la finale de Coupe d’Europe face à Clermont en 2013. Hayman avait souffert jusqu’au bout pour arracher le trophée européen des mains clermontoises en toute fin de partie, scellant vingt-et-un ans de disette. Dix ans après cet exploit, l’ancien pensionnaire des Highlanders se souvient surtout de la folle virée de Mourad Boudjellal, président iconique du RCT, dans les rues de Dublin. « La chose la plus drôle qui me revient est la sortie de Mourad Boudjellal de l’Aviva Stadium. Après le match, on nous a dit que Mourad avait quitté le stade vingt minutes avant la fin du match. Il écoutait la rencontre à la radio d’un taxi et je crois qu’il a dit au chauffeur de vite revenir au stade pour célébrer la victoire. Cela me fait toujours autant rire aujourd’hui ! Sur le plan sportif, on a tout laissé sur le terrain. Clermont avait tous les ballons, on ne faisait que plaquer, notre défense était massive. Je crois d’ailleurs que c’est le match où j’ai fait le plus de plaquages. On ne méritait pas vraiment de gagner cette finale avec la détermination et l’essai de Delon Armitage nous avons finalement réussi à gagner. C’était la plus dure des finales de Coupe d’Europe. »

L’un des meilleurs piliers du monde à cette époque aura la chance un triplé fantastique sur la scène européenne avec une victoire face aux Saracens en 2014, puis à nouveau contre Clermont en 2015. Une force collective impressionnante s’était dégagée de cette bande de guerriers venue des quatre coins du globe. Très vite, les hommes de Bernard Laporte ont été qualifiés de mercenaires, ce que réfute encore aujourd’hui Carl Hayman. « À mon arrivée, Toulon avait recruté une quinzaine de joueurs. Et ensuite, il y avait de moins en moins de recrues. Donc au début nous étions peut-être éclatés, mais au fil des saisons je crois que le groupe s’est resserré. Chacun était extrêmement professionnel, nous avions un groupe assez âgé et beaucoup de critiques avaient émergé en disant que nous étions une bande de mercenaires. Ce n’était pas le cas. Nous avons eu des hauts et des bas mais nous avons toujours travaillé comme des fous. Je peux dire aujourd’hui que le temps fort de ma carrière a été mon passage à Toulon. Tous les titres que nous avons gagnés, l’ambiance dans la ville, les joueurs avec qui j’ai joué… C’était fou ! » Cinq années de folie pour l’un des hommes les plus calmes du vestiaire varois. Mais après la parenthèse enchantée au bord de la mer Méditerranée, l’après-carrière de Carl Hayman s’est noircie.

Un nouveau combat contre la démence

« Pour simplifier les choses, mon cerveau n’est plus aussi puissant qu’avant. C’est comme si votre cerveau a 25 % de batterie et que vous n’avez pas de chargeur, mais vous devez tenir toute la journée (rires). Vous devez faire attention à son utilisation pour se concentrer sur les choses les plus importantes. »
L’ancienne gloire du rugby néo-zélandais a subi un violent retour de flamme après sa retraite. En 2021, Carl Hayman révèle à la planète rugby être atteint de « démence précoce ». À 41 ans, le Néo-Zélandais est contraint de changer sa vie. « Je vis avec cette maladie en m’adaptant au jour le jour. J’ai passé des années très difficiles à cause de cette maladie. J’ai dû apprendre à vivre avec et accepter le fait que j’étais affaibli. Pour quelqu’un comme moi, qui a eu la chance de remporter des compétitions très prestigieuses, c’était vraiment dur. Aujourd’hui je vais mieux, mais je dois prioriser certaines choses par rapport à d’autres. Mais je préfère être dans cette situation plutôt que de ne pas savoir ce que je dois faire ou pas. Je vis au jour le jour en continuant de faire du mieux que je peux. »
Carl Hayman fait partie du groupe des centaines d’anciens rugbymen à avoir déposé plainte contre World Rugby, reprochant à l’instance internationale de ne pas avoir protégé les joueurs lorsqu’ils étaient victimes de blessures neurologiques. Pour lui, cette action en justice doit être un tournant pour le rugby mondial. « Cette action en justice a permis de beaucoup parler de ces questions de démence et des commotions cérébrales dans le rugby. Je suis aujourd’hui chanceux de ne pas être dans un état plus déplorable, mais cela a été très difficile de recevoir des soutiens de la part des médecins. En Nouvelle-Zélande, j’ai eu beaucoup de difficultés à parler à quelqu’un de compétent pour mon cas ou d’avoir des soins. J’ai passé ensuite des scanners au cerveau pour en savoir plus, mais j’espère aujourd’hui que cette action en justice va permettre de changer le jeu. »

« Il faut réduire le nombre de matchs par an »

Pour Carl Hayman, le rugby est allé trop loin dans les calendriers. L’ancien soldat du RCT n’imagine pas de nouvelles règles à appliquer sur le terrain, mais bien d’alléger drastiquement le nombre de rencontres pour le bien des joueurs. « Il doit y avoir des discussions sur le nombre de matchs joués par saison. Pendant vingt ans, j’ai joué dix mois par an… Le rugby est un sport de combat, mais les boxeurs ne boxent pas toutes les semaines et dix mois par an. Ce sont des sports différents, mais un K.-O. reste un K.-O. Au niveau de l’essence de notre sport, il faut laisser le rugby être le rugby tout étant extrêmement sévère sur les plaquages à l’épaule dans la tête. Il faut restructurer les saisons. Le rugby est un produit médiatique et sportif très puissant mais le nombre de matchs doit être réduit. En football américain, il n’y a que dix-sept matchs de saison régulière, et quatre de plus pour les équipes finalistes. Quand j’étais à Toulon, je jouais plus de trente matchs par saison. Pour la sécurité des joueurs, il faut baisser ce nombre à vingt-trois ou vingt-quatre tout en gardant l’excitation des compétitions. »

Carl Hayman est longuement revenu sur cette nécessité d’aérer les calendriers professionnels. À 43 ans, l’ancien pilier mesure le chemin parcouru depuis sa Nouvelle-Zélande natale jusqu’à la furia de Mayol. Fier d’avoir marqué le RCT, Carl Hayman a avoué son « manque de courage » comme le plus grand regret de sa carrière. « Je n’ai pas écouté mon corps. J’ai joué sous la souffrance, avec plusieurs blessures. Quand je rembobine le fil de ma carrière, je me dis que j’aurais dû être plus fort mentalement pour pouvoir dire à mes entraîneurs : « écoute, je dois me reposer cette semaine. » Je n’ai pas eu ce courage-là. Mais quand vous êtes dans un groupe professionnel, vous ne pouvez pas laisser tomber vos coéquipiers et vous devez faire votre travail. À cette époque, j’ai poussé mon corps trop loin. Sachant ce que je vis aujourd’hui, je me dis que j’aurais dû être plus courageux pour aller voir Bernard Laporte et lui dire que je ne pouvais pas jouer un match. Mais je n’ose même pas imaginer sa réaction », sourit le géant néo-zélandais. Carl Hayman, l’un des meilleurs piliers du monde, auteur d’une carrière dorée, avoue donc sa peur de ne pas avoir dit « stop », preuve qu’un géant n’est jamais invincible.

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