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Tawera Kerr-Barlow : "Mes avants, je les aime tellement"

  • Le demi de mêlée de La Rochelle Tawera Kerr-Barlow se confie à la veille de la demi-finale de Champions Cup face à Exeter.
    Le demi de mêlée de La Rochelle Tawera Kerr-Barlow se confie à la veille de la demi-finale de Champions Cup face à Exeter. Icon Sport - Icon Sport
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L’ancien 9 des Blacks (32 ans, 27 sélections) et actuel demi de mêlée de La Rochelle nous parle des défis sportifs à venir, de son aventure française, de son évolution ou encore de ses plans pour l’avenir.

Pour vous qui avez une dizaine de titres au palmarès, comment appréhendez-vous la perspective d’une énième finale, dont vous n’êtes plus qu’à quatre-vingts minutes ?

C’est toujours un privilège de jouer des rencontres aussi grandioses qu’une demie de Champions Cup. La pression qui va avec doit surtout être perçue comme un privilège, non comme un poids. C’est ce qui doit nous inciter à livrer la meilleure version de nous-mêmes dans la préparation du match et le jour même.

Avant même de connaître le dénouement, le fait, déjà, de vous retrouver en demie, et ainsi d’assumer le nouveau statut qui est le vôtre, a-t-il une valeur ?

On ne peut pas contrôler les attentes que les gens ont pour nous. Je ne pense qu’aux attentes que l’on a pour nous-mêmes. Et je peux vous dire qu’elles sont élevées pour ces phases finales.

Qu’est-ce que le titre de l’an passé a changé pour vous dans l’approche de ces phases finales ?

On sait que les adversaires se préparent davantage pour nous affronter. Nous avons une petite cible dans le dos mais il y a tellement de grandes équipes dans cette compétition. Exeter en fait partie. C’est un très bon collectif, avec un très gros vécu européen. Ce sera un challenge massif à relever.

Quelle place a le sacre de 2022 en Champions Cup dans votre carrière ?

Vu de l’hémisphère Sud, on ne se rend pas compte à quel point il est dur de remporter la Coupe d’Europe. Cette épreuve rassemble toutes les meilleures équipes des pays des 6 Nations et même plus désormais. Rien que d’arriver en phases finales est déjà un défi en soi, alors l’emporter… C’est vraiment une top compétition. Et elle est géniale à disputer.

On entend régulièrement dans la bouche des joueurs que le plus important est de gagner des titres. Partagez-vous ce point de vue ?

Quand vous êtes jeune, vous pouvez être obnubilé par cette quête de trophées. Avec l’âge, ce que j’apprécie le plus et ce qui est devenu ma raison de jouer même, c’est de me créer de beaux souvenirs avec mes «potes», avec ma famille. Si l’environnement est bon, si tout le monde est tourné vers l’excellence, les titres finissent par arriver. Et c’est ce que l’on laissera en héritage à tous les gamins de La Rochelle.

Il y a 15 ans, vous n’aviez pas le même état d’esprit…

Ce n’était pas aussi clair, dirons-nous. Quand tu es jeune, tu es affamé, plus fougueux… J’ai toujours voulu gagner des trophées et être le meilleur joueur possible mais cette dimension collective me fascine depuis le début. La cohésion qu’il peut y avoir au sein d’un vestiaire et le lien entre un groupe et ses coachs peuvent permettre d’accomplir de grandes choses. C’est le cas à La Rochelle. C’est pourquoi je me sens aussi privilégié de jouer pour ce club.

En la matière, vous avez connu ce qu’il y a sûrement de mieux avec la génération dorée des All Blacks en 2015, la plus forte peut-être de tous les temps…

J’ai eu le bonheur de gagner cette Coupe du monde. C’est un rêve d’enfant qui est devenu réalité. C’était énorme de faire partie de cette génération. En tant que remplaçant d’Aaron Smith, j’ai apporté ma petite contribution à cet accomplissement. Mais vous savez, je garde un tout aussi bon souvenir d’une de mes victoires au lycée. Avec mes potes, on avait vaincu des gars qui étaient beaucoup plus costauds que nous et qui étaient favoris. Mais on avait fini par gagner. Il n’y avait pas de caméras ni de titre mais c’était avec mes amis d’enfance, ceux avec qui j’ai tout connu de 14 à 18 ans. Ça peut paraître de bien petites choses mais ça a une grande valeur pour moi. Ça et la Coupe du monde, ce sont peut-être les meilleurs moments de ma carrière.

Était-ce un crève-cœur de quitter les All Blacks ?

Ça a été dur, oui, d’autant plus que j’avais une proposition pour rester en Nouvelle-Zélande. Je suis tellement reconnaissant pour tout ce que j’ai vécu avec les Blacks. C’est un environnement si spécial. C’était dur, aussi, de prendre la décision de faire bouger toute ma famille de l’autre côté du monde, dans un pays qui n’est pas anglophone. Il nous a fallu apprendre une nouvelle langue. On commence à se débrouiller en français. Mais je ne le cache pas, les débuts ont été très difficiles. Après la première année, on a commencé à trouver nos marques, à pouvoir communiquer… Les façons de faire en France et les comportements sont différents. Comme le rugby. Ça a été un changement radical, en fait. Ce n’est pas négatif mais c’est différent. Il a fallu traverser les premiers temps mais, désormais, on savoure.

Quand vous avez débarqué à La Rochelle, en 2017, le club était encore en train de prendre ses marques dans l’élite. Que de chemin parcouru…

La manière dont le club s’est transformé et dont il a grandi depuis mon arrivée est spectaculaire. C’est un privilège de faire partie de cette aventure. Et il y a tout ce que cette nouvelle vie a apporté à ma famille. Deux de mes quatre enfants sont nés ici. Nous sommes très reconnaissants d’avoir la chance de découvrir un aussi beau pays que le vôtre. Je n’aurais jamais cru ça possible quand j’étais petit en Australie.

Vous avez vu grandir le club mais aussi ses jeunes…

Oui, Grégory Alldritt, par exemple, était un espoir quand je suis arrivé et il est sans doute désormais le meilleur numéro 8 au monde. C’est super de pouvoir assister à toute cette évolution.

Le jeune Tawera serait-il fier du parcours réalisé ?

Je prendrai le temps de me pencher longuement sur la question quand j’aurais raccroché. Ce que je peux dire, c’est que j’ai toujours voulu être joueur professionnel et que le Seigneur m’a donné cette opportunité. J’ai adoré chaque moment. Étant plus âgé, j’essaye de les savourer encore plus, que ce soit à l’entraînement ou en match. Car je sais que ça ne durera pas toujours.

Vous parlez de votre âge mais vous semblez si jeune…

(Rire) Oui, je me sens bien physiquement. C’est juste qu’en vieillissant, ma perception change. Je me rends davantage compte de la chance que j’ai d’être rugbyman professionnel. Il y a plein de gens qui aiment le rugby mais très peu qui ont le privilège d’en faire leur métier.

Un des termes qui pourrait vous caractériser, ainsi que votre parcours, est la constance. Quel en est la clé ?

Il faut aimer ce que l’on fait, prendre soin de soi, être dévoué au travail et accepter qu’il faille évoluer. Il est crucial d’être ouvert au changement, à de nouvelles idées, à la remise en question, car ce sport évolue continuellement. Si je regarde un peu en arrière, je me rends compte que j’ai su progresser sur tout un tas de skills. Au poste qui est le mien, il est également crucial de créer une relation particulière avec son pack et tout spécialement la troisième ligne. Je suis très proche de mes avants, je les aime tellement. Ils réalisent un boulot formidable. Je sais à quel point leur travail est dur. Avec l’expérience, on a une vue un peu plus large sur tout ça. Pour en revenir à la question, il n’y a pas de secret : si vous aimez ce que vous faites et si vous donnez le meilleur, vous vous donnez les moyens de durer.

Le lien avec vos avants est évident quand on vous voit sur la pelouse…

Oui, comme je vous l’ai dit, je les aime. C’est une des grandes forces de notre équipe. Il faut avoir conscience de tout ce qu’ils accomplissent pour nous : quand je les vois se sacrifier pendant vingt, trente secondes en mêlée, dans les mauls… Je ne pourrai jamais être à leur place mais il est important qu’ils sachent que nous sommes reconnaissants pour tout ce travail.

En quoi le rôle de 9 est-il différent entre la Nouvelle-Zélande et la France ?

À l’heure actuelle, en Nouvelle-Zélande, on demande aux 9 d’être plus passeurs, dynamiteurs. Ce que j’aime en France, c’est que l’on peut rôder autour des rucks, traîner derrière les gros… Il y a aussi plus de jeu au pied en Top 14. C’est d’ailleurs l’aspect de mon jeu sur lequel j’ai dû consentir le plus gros travail depuis mon arrivée. Il a fallu que je m’adapte pour être à la hauteur. Vous avez tellement de «9» magnifiques dans le jeu au pied. Il y a beaucoup de talents à ce poste en France.

En défense, le Top 14 est plus rude, aussi, non ?

Le Top 14 est plus physique, c’est sûr. Ça va moins vite, c’est plus centré autour de la conquête que ce j’ai connu par le passé. C’est une chance, un privilège que j’ai eu d’avoir pu connaître le Super Rugby et le Top 14.

Ce qui fait de vous un joueur plus complet, non ?

Oui, je pense que je suis un joueur plus équilibré depuis mon arrivée en France. À 32 ans, il y a l’expérience aussi qui s’est renforcée. Si je pouvais remonter le temps et apporter tout ça à mon jeune moi, j’aurais été un bien meilleur joueur…

Vous êtes ce que l’on pourrait considérer comme un 9 très complet : vous êtes capable de créer des différences balle en main, vous avez un bon jeu au pied, vous êtes un fin stratège, un bon défenseur aussi… Mais vous n’avez jamais buté. Pourquoi ?

Je le faisais quand j’étais jeune, vous savez (sourire). En Nouvelle-Zélande, tout le monde veut buter et souvent c’est le 10 qui s’en charge à la fin. En France, c’est vrai que c’est davantage le 9. Ça aurait été sympa mais je n’ai jamais eu cette opportunité depuis que je suis passé pro. Ça ne me soucie pas pour autant. D’autant plus qu’après avoir marqué, je suis souvent content de pouvoir souffler un bon coup. Pour le reste, vous savez, je m’efforce juste d’être utile à l’équipe en faisant ce qu’il faut : ça peut être en plaquant, en portant le ballon, en jouant au pied… Ça ne va pas plus loin.

Comment vos parents suivent-ils votre carrière, tout particulièrement votre mère qui était internationale australienne ?

J’imagine qu’ils sont fiers, je l’espère. Le Top 14 et la Champions Cup ne sont pas toujours visibles à la télévision mais ils essayent de voir le plus de matchs possibles. J’espère pouvoir les faire venir tous en France bientôt. Ma mère est déjà venue mais pas mon père ni mon frère. Peut-être pendant la Coupe du monde…

En parlant de Coupe du monde, avez-vous toujours espoir de la disputer sous les couleurs des Wallabies ?

Je n’ai aucune nouvelle. J’adorerais jouer pour l’Australie, ce serait un honneur de porter les couleurs du pays où je suis né. Je suis disponible mais je comprends tout à fait que le staff compte sur les joueurs habituels. On ne sait jamais… S’ils veulent de moi, je serai très heureux mais je pense que je n’y serai probablement pas.

Votre contrat actuel expire en juin 2025. Est-ce que ce sera le dernier ?

Je n’en suis pas sûr. J’aimerais jouer un peu plus longtemps. Il faudra voir dans deux ans si je suis en mesure de rester au plus haut niveau. Ça dépendra de mon corps.

Avez-vous déjà une idée de ce que vous ferez après votre carrière ?

Je voudrais entraîner. J’aime tellement le rugby. Mais ça dépend aussi de ce que voudra ma femme. C’est une femme superbe, une mère fantastique mais elle me suit depuis tant d’années à travers le monde. Ce sera une décision familiale.

Avez-vous commencé à préparer les diplômes d’entraîneur ?

Il faudrait que je m’y mette maintenant (sourire). Je n’ai encore rien entamé mais c’est une des prochaines étapes.

Vous n’aimez pas beaucoup parler de vous, on le sait, mais comment avez-vous réagi aux commentaires de Ronan O’Gara vous décrivant récemment comme «le deuxième meilleur numéro 9 du monde derrière Dupont" ?

Oh, c’était très gentil de sa part. C’est toujours bien de savoir que votre coach a confiance en vous. J’aime jouer pour «ROG», il m’a apporté tant de choses avec son vécu et sa science du jeu. Il m’a aidé à devenir un meilleur joueur.

La reconnaissance est-elle quelque chose d’accessoire à vos yeux ?

J’essaye juste d’être le meilleur joueur possible pour mon équipe. Je ne peux pas contrôler les opinions des uns et des autres. Après, l’avis de certaines personnes est très important pour moi et Ronan est l’une d’entre elles. Ce qu’il dit me touche.

Êtes-vous d’accord avec l’autre partie de sa phrase, sur le fait que le numéro 1 au monde est Antoine Dupont à votre poste ?

Oui, Antoine est phénoménal. La France a tellement de chance de l’avoir. J’espère qu’il vivra une grande Coupe du monde.

Dans Midi Olympique, Antoine Dupont a déclaré qu’il s’était inspiré de vous et de votre capacité à finir les coups lorsque vous étiez chez les Blacks, notamment lors du France-Nouvelle-Zélande de 2015…

Je ne le savais pas. C’est très gentil de sa part. Vous savez, je trouve beaucoup d’inspiration à travers lui, aussi. Il fait des choses qu’aucun autre 9 ne peut accomplir avec sa vitesse, sa vision, sa qualité de jeu au pied… Il est probablement le meilleur joueur au monde. J’adore le regarder jouer. Je reste un fan de rugby avant tout et je ne peux que prendre du plaisir en le voyant.

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