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Affaire Marc Cécillon : 19 ans après, un livre donne la parole aux femmes

Par Nicolas ZANARDI
  • C’est en recueillant les témoignages des proches de Chantal Cécillon, près de 20 ans après le drame, que l’ancien journaliste Ludovic Ninet (ci-dessous) a décidé de consacrer un livre à l’affaire. Photos DR et Loïc Carret C’est en recueillant les témoignages des proches de Chantal Cécillon, près de 20 ans après le drame, que l’ancien journaliste Ludovic Ninet (ci-dessous) a décidé de consacrer un livre à l’affaire. Photos DR et Loïc Carret
    C’est en recueillant les témoignages des proches de Chantal Cécillon, près de 20 ans après le drame, que l’ancien journaliste Ludovic Ninet (ci-dessous) a décidé de consacrer un livre à l’affaire. Photos DR et Loïc Carret
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La sortie du livre "Chantal, récit d’un féminicide" (aux éditions des presses de la cité) est venue apporter, près de vingt ans après, une nouvelle lumière sur le drame qui brisa une famille et secoua le rugby en france, en donnant enfin la parole à celles qu’on n’avait jusqu’alors que trop peu entendues…

Bientôt vingt ans, déjà, que le malheur est survenu. Un drame que d’aucuns pressentaient s’est finalement dessiné le 7 août 2004, au domicile de Christian et Elizabeth Béjuy, des amis du couple Cécillon. En marge d’une réception donnée en l’honneur des juniors de Pont-de-Chéruy dont Christian, dit "Bézouille", était alors dirigeant… Chantal est venue seule, avant l’arrivée d’un Marc Cécillon en état d’ébriété profonde, entretenue tout au long de l’après-midi. L’ancien numéro 8 aux 46 sélections souffre d’alcoolisme, c’est un fait (l’expert établira plus tard qu’au moment des faits, Cécillon présentait un taux d’alcoolémie entre 2,61 et 3,12 g/l). Il est aussi malheureux, parce qu’après de longues années à avoir accepté sans broncher de souffrir les absences, adultères et autres humiliations (n’avait-elle pas été la dernière à apprendre, un soir de banquet pendant le Tournoi, l’existence d’un fils adultérin qui deviendrait international douze ans plus tard ?), Chantal Cécillon a décidé d’entamer des procédures de divorce, qu’elle compte finaliser en septembre. Marc Cécillon est paranoïaque, enfin, parce qu’il s’est persuadé que si sa femme a décidé d’entamer cette procédure, c’est parce qu’elle a pris un amant dont il cherche à découvrir l’identité. "Si elle me quitte un jour, je la tuerai et je me tuerai" glisse-t-il à Christian pendant l’apéritif. Le repas servi en suivant ne calme malheureusement pas le colosse, qui agresse verbalement sa femme avant d’assener une violente gifle à la maîtresse de maison, coupable d’être venue au secours de son amie. Voyant son épouse agressée, "Bézouille" chasse son ami, son frère, de son domicile. Le reste appartient à la légende noire du rugby français…

Le temps de l’omerta

Faut-il vraiment le rappeler ? En ce funeste soir, Marc Cécillon est rentré à son domicile du Sablon où il a saisi son 357 Magnum, un Taurus-Brasil n° NC925765 rapporté d’Afrique du Sud en 1993 sans avoir jamais été enregistré. De retour sur les lieux de la fête une quarantaine de minutes plus tard, manifestement calmé, il exige de dire au-revoir aux convives attablés sous le chapiteau. "Il faut appeler la police", prévient Chantal. Il lui demande de la suivre pour "aller parler dans la voiture". "Tu peux toujours attendre", lui réplique-t-elle. Mais Marc Cécillon n’attend pas. Il dégaine l’arme dissimulée sous sa chemise et tire à cinq reprises, dont quatre fois dans le ventre. Ceinturé par quatre hommes et maîtrisé par un violent coup de parpaing, Marc Cécillon est immobilisé, puis maintenu au sol à plat ventre, au moyen d’une chaise posée sur lui et d’un homme assis dessus. Pieds et poings liés par une corde et des câbles de batterie, il hurle sous les yeux d’une soixantaine de témoins médusés. "Je l’ai tuée mais je l’aime ! Tuez-moi !" Il ne sera pas entendu, évidemment. Et c’est précisément dès lors que le pire venait d’être commis que le plus dur allait arriver, parfaitement conté par Ludovic Ninet dans son ouvrage… En effet, pour ce qui n’aurait tenu qu’entre les quelques lignes d’une brève au sujet d’un énième "féminicide" (le terme n’était alors pas encore entré dans le langage courant…), le statut d’ancien capitaine du XV de France de Marc Cécillon braqua les projecteurs d’une toute autre manière sur ce fait divers…

Procès de la honte

Rapidement, cette ville de Bourgoin qu’il avait faite connaître au monde entier, cette ville de Bourgoin qui avait couvert toutes ses frasques au nom du rêve, cette ville de Bourgoin qui savait pertinemment s’est réveillée, l’âme brouillée par un vil sentiment de culpabilité collective rapidement élargi au monde du rugby, qui avait assisté sans réagir à la descente aux enfers de l’idole. Il pleurait sur Bourgoin-Jallieu ainsi qu’il pleurait dans tous les cœurs. Et l’adulation presque malsaine (reflet de celle de Chantal ?) vouée à Cécillon conduisit ses thuriféraires à lui trouver si ce n’est des excuses, au moins des circonstances atténuantes. Impossible à avaler pour Céline, la fille cadette de Marc Cécillon, ou pour sa grand-mère Marinette, plus soudées que jamais aujourd’hui…

De nos jours, justement ? Eh bien, Marc Cécillon est libre et revenu s’installer dans la vallée du Rhône, après avoir longtemps travaillé dans les vignes du côté de Collioure. Coupé ou presque de la plupart de ceux qui l’avaient soutenu, après avoir assigné en 2014 ses propres filles en justice pour avoir "mal géré" le compte commun de leurs parents pendant sa captivité. Ce sont toutes ces fissures, toutes ces blessures que Ludovic Ninet a cherché à évoquer avec pudeur, donnant (enfin) la parole dans son ouvrage à celles qui ont véritablement souffert. La maman de Chantal, Marinette. Sa meilleure amie, sa quasi-jumelle, Huguette. Sa fille Céline, drapée dans un pardon impossible qui tranche avec les élans de son aînée Angélique, incapable de ne plus aimer son père. Suffisant pour permettre à ces femmes de réaliser, plus de vingt ans après, un deuil jusqu’alors impossible ? On l’ignore, à l’évidence. Mais après ce livre, au moins, le monde du rugby ne pourra définitivement plus faire croire qu’il ne savait pas.

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