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Ludovic Ninet, auteur de "L'Affaire Cécillon" : "Chantal avait une force intérieure incroyable"

Par Midi-Olympique
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    Ludovic Ninet, auteur de "L'affaire Cécillon" : "Chantal avait une force intérieure incroyable"
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Ludovic Ninet - auteur de "L’affaire Cécillon, récit d’un féminicide" alors qu’il se dirigeait à l’origine vers l’écriture d’une fiction inspirée du drame, il explique pour quelles raisons il a changé son fusil d’épaule, bouleversé par les témoignages recueillis auprès des proches de Chantal Cécillon.

Ainsi que vous l’indiquez au début de votre ouvrage, votre idée de départ était de vous documenter pour écrire votre quatrième roman en vous inspirant de l’affaire Cécillon. Quel a été le déclic qui vous fait basculer dans l’enquête ?

Il y a eu deux choses. Le fait de me retrouver devant cette tombe, d’abord, car même si j’avais vu quelques images de cette femme au travers de vidéos, elle était désincarnée à mes yeux. Ensuite, le fait de me retrouver devant sa pierre tombale sans nom de famille, avec pour seule mention "Chantal, 1960-2004" a eu un effet bouleversant sur moi. Plus j’avançais dans la fiction et plus j’avais envie en réalité d’en savoir plus. La bascule définitive a eu lieu après ma première rencontre avec Céline, ou ce que je pressentais depuis le début est devenu une évidence. C’était bien à sa version des faits, sa vision des choses, qu’il s’agissait de consacrer mon travail.

Comme s’il s’agissait de rendre parole et justice à celles qui avaient été reléguées au second plan durant les procès…

Cette posture, je ne l’ai pas intellectualisée a priori. Ce sont les témoignages, là encore, qui étaient si bouleversants qu’il m’est apparu de mon devoir de non pas rendre justice - ce serait bien prétentieux - mais d’apporter un peu d’équilibre dans les débats, de donner la parole à celles qu’on n’a que trop peu écoutées. […] Dans le journalisme, profession que j’ai exercée pendant quinze ans, on doit rendre compte d’une vérité à un instant T. Mais dans le cas de cette histoire, le fait d’avoir utilisé la littérature m’a permis de prendre un parti, qui me semblait légitime. Je veux ici insister sur la confiance qui m’a été faite par ces trois personnes qui m’ont parlé, parce qu’elles pouvaient s’exposer elles aussi à un retour de bâton. Sortir de cette posture invisible dans le but de rendre un hommage à leur mère, fille ou amie, c’était éminemment courageux et admirable de leur part. Je leur suis redevable de beaucoup car sans leur témoignage, je n’aurais jamais écrit ce livre.

L’affaire Cécillon a aussi été le procès du rugby, de ses us plus ou moins couverts, de ses silences et de ses démons. Ce jeu, l’aimez-vous toujours ?

J’adore le rugby, que j’ai pratiqué et qui m’a nourri en tant qu’homme. Il est magnifique. Mais il doit y avoir une distinction de faite entre le jeu et les hommes qui le pratiquent, dont les comportements ne sont pas toujours à la hauteur.

Sortir de cette posture invisible dans le but de rendre un hommage à leur mère, fille ou amie, c’était éminemment courageux et admirable de leur part. Je leur suis redevable de beaucoup

Ne comprenez-vous pas que, par effet de solidarité, les ex-coéquipiers de Marc Cécillon aient cherché à le soutenir jusqu’au bout pendant les procès ?

J’avoue que cela m’a questionné. Mais quand je relis les témoignages de Serge Blanco, de Jo Maso ou de Bernard Lapasset lors des procès, je n’arrive pas vraiment à saisir leurs intentions. Il y avait comme une inconscience dans leur démarche. Céline (fille cadette de Marc Cécillon, N.D.L.R.) explique très bien la douleur qu’elle a ressentie à entendre tous ces témoignages qui expliquaient à quel point l’homme qui avait tué leur mère était un type bien. Je n’arrive pas à comprendre qu’ils n’aient pas, là encore, manifesté un peu plus de retenue.

Si ce procès a été si douloureusement vécu dans le milieu du rugby, c’est parce que ce drame a généré comme une responsabilité collective dans la déchéance d’un ancien joueur…

C’est mon interprétation de ce silence. Inévitablement, les gens un peu sensés qui avaient compris ou vu quelque chose mais n’ont rien fait s’en sentent coupables, tout comme ceux qui n’avaient pris conscience de rien et n’avaient finalement pas à s’exprimer. Peut-être que certains se sont dit, aussi, qu’ils l’avaient tellement protégé que cela avait généré en lui un sentiment d’impunité.

Pourtant, si le milieu du rugby s’en veut, c’est pour avoir contribué à l’alcoolisme de son héros. Sauf que votre livre explique bien que l’alcool n’est que le générateur, pas la raison du passage à l’acte…

C’est Marie-France Hirigoyen qui, dans le livre, explique bien que l’alcool ou quelque autre moyen va libérer la violence contenue.

On entre ici sur un terrain glissant, qui relève de la psychanalyse… Avez-vous hésité à vous y aventurer ?

J’ai préféré rester prudent sur ce sujet, comme sur la question du "mais qu’est-ce qui l’accrochait à lui ?". Seuls des psychiatres pourraient répondre, je pense. Cela relève des phénomènes d’emprise ou des "conjugopathies" que j’évoque dans le livre, ce phénomène qui veut que deux personnes "branchent" leurs pathologies psychiques pour donner ce type de relation toxique. Ce que j’ai soulevé dans le livre, c’est aussi ce secret dans la famille de Chantal, où son père se montrait violent vis-à-vis de sa mère… On sait à quel point les schémas familiaux ont tendance à être reproduits par des biais psychologiques. Mais même si c’était difficile, je trouvais important d’évoquer cela. À la faveur d’une rencontre assez fortuite avec une psychologue spécialisée, j’en ai appris beaucoup sur les mécanismes des phénomènes d’emprise qui font qu’une victime reste au contact de la personne qui la maltraite, tous ces principes de dégradation intérieure qui font que la personne reste, malgré son envie de partir… Cela m’a surtout aidé à percevoir à quel point Chantal avait une force intérieure incroyable pour réussir seule, sans aucun soutien, à mettre en place tout un chemin pour partir.

La sortie de votre ouvrage s’inscrit dans un contexte particulier, avec les affaires extra-sportives qui se sont multipliées ces derniers temps. Cela lui donne-t-il d’autant plus de sens ?

Là encore, ce serait bien prétentieux, d’autant que du milieu du rugby, je n’ai pour l’instant reçu aucun retour. Je sais pertinemment qu’il est difficile de trouver la juste frontière entre la troisième mi-temps où on s’amuse, où on se désinhibe et qui peut permettre de créer des liens incroyables, et le moment où ça déborde sur autre chose, sur de la violence entre hommes ou à l’égard des femmes. […] À mon sens, il faudrait que le rugby accepte de dire qu’il a un rapport à l’alcool qui est un peu maladif, que cet alcool entraîne des débordements, et qu’il faudrait mettre au jour ces débordements pour les assainir, comme dans d’autres aspects de la société. Même si je suis conscient que c’est probablement beaucoup demander… 

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