L'influence de Bernard Lapasset, du Népal à l’île Maurice

Le départ de Bernard Lapasset, nous l’avons vécu sous plusieurs prismes : la fresque du parcours d’un homme de pouvoir bien sûr, mais aussi celle d’une sorte de berger du rugby des petites nations. Diriger World Rugby (ex-International Board), c’est aussi remplir cette fonction que, vu de France, nous avions tendance à ne suivre que de loin. Un exemple ? Quelques heures après l’annonce du décès de Bernard Lapasset tombait sur notre boîte électronique un courriel venu du… Népal. Il émanait de Bijaya Khadka, directeur général de la fédération : "Nous allons respecter une minute de silence en la mémoire de notre ami Bernard Lapasset avant tous les matchs qui se dérouleront dans notre pays." Dipak Devota, le président de NRA (Nepal Rugby Assocation) ajoute : "Il faut bien comprendre que les deux mandats de Bernard Lapasset à la tête de World Rugby ont correspondu à un développement sans précédent de notre sport, en Asie et en Afrique notamment. Nous suivons toujours ses traces pour développer notre sport et ses valeurs." Cette fédération est encore jeune, son équipe nationale a joué son premier match très récemment. Mais le rugby y a fait peu à peu son trou dans les années 2010, Lapasset aura vu naître ses premiers clubs et ses premières vocations de joueur.

Le Japon l’a décoré

Nous savons qu’au Japon aussi, l’influence de Bernard Lapasset eut un écho certain. Il ne s’agit pas ici d’une "petite nation" mais quand Bernard Lapasset fut élu, on parlait encore de puissance moyenne, petite parmi les grandes, grande parmi les petites. En 2005, il avait voté contre le projet nippon de Coupe du monde de 2011, mais s’était rattrapé en 2009 en confiant la compétition à l’archipel du Soleil Levant… avec dix ans d’avance ! À ce titre, il avait reçu en avril 2022, l’une des plus prestigieuses décorations du pays. Shigetaka Mori président de la JRU lui avait rendu un bel hommage à cette occasion. "Il avait su démontrer une autorité forte pour que le Japon obtienne l’épreuve et surtout, il a toujours su nous soutenir durant la préparation de l’événement."

Mais le témoignage le plus émouvant nous est parvenu d’un petit pays, peuplé d’un peu plus d’un million d’habitants. Les connaisseurs de la politique et de la diplomatie de World Rugby nous ont cité ce cas comme l’exemple parfait du savoir-faire de Bernard Lapasset. Nous parlons d’une île de l’Océan Indien, rattachée politiquement à Rugby Afrique : l’île Maurice. Le rugby y fut pratiqué au temps de la colonisation anglaise avant de décliner dans les années 70-80 puis de se relancer dans les années 90.

Kevin Venkiah n’a pas oublié

Kevin Venkiah, chef d’entreprise franco-mauricien et ancien président de Bègles au début des années 2000 est désormais président de la fédération mauricienne. Il nous détaille le lien qui unit son pays à l’ancien patron de la FFR : "Nous sommes très reconnaissants de ce que Bernard Lapasset a fait pour nous. Je l’avais rencontré quand je présidais le CA Bordeaux-Bègles, Bernard Laporte me l’avait présenté à Paris et je lui avais parlé de ce que nous faisions et de nos infrastructures. Ensuite, je suis allé le rencontrer alors qu’il était à la Réunion, puis il est venu nous voir. Il ne connaissait jusqu’alors l’Ile Maurice que pour y être venu en vacances mais il a découvert notre rugby et il a tout fait pour nous aider. Ça paraît difficile à mesurer de l’extérieur mais son action fut décisive. Il a fait en sorte que nous devenions membres de plein droit de World Rugby, jusqu’alors nous n’étions que membres associés (en 2009, N.D.L.R.). Il a fait beaucoup d’efforts pour nous et grâce à lui, nous sommes devenus crédibles vis-à-vis de notre gouvernement. Nous avons eu accès à plein de choses nouvelles. Il fut adorable avec nous, il nous a donné son amitié et sa générosité. Je dois me rendre à Genève la semaine prochaine et je vais tout faire pour assister à ses obsèques à Tarbes."

À Maurice, on se souvient d’une visite du président français en 2012, au départ pour prendre du repos. Mais il avait profité de son séjour pour discuter avec le président Patrick Bradshaw de l’avenir du ballon ovale sur l’île. Il avait pu mesurer les effets concrets de sa politique expansionniste. Sous l’influence de Jean-Baptiste Gobelet, champion de France avec Biarritz, le rugby mauricien se bat pour atteindre le cap des mille licenciés, mille cinq cents si on compte les pratiquants de L’île Rodrigues où le rugby a connu une percée impressionnante. Le rugby féminin aussi a beaucoup progressé. "En 2022 au Lesotho, nous avons gagné le Tournoi préqualificatif à la Coupe d’Afrique de rugby à sept et les filles avaient reçu la médaille de bronze. À sept, nous sommes désormais dans le Top 10 continental." Le poids du rugby mauricien reste évidemment modeste, dans la globalité de la planète ovale, mais c’est à travers ce genre de progression qu’on mesure a posteriori les chantiers que Bernard Lapasset aura ouverts au cours de son long parcours. Il aura laissé des traces aussi bien dans l’archipel des Mascareignes qu’au pied de l’Himalaya.