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Champions Cup - Levani Botia (La Rochelle), le soldat d’aplomb

  • Soldat d’aplomb
    Soldat d’aplomb
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À 34 ans, le Fidjien, reconverti troisième ligne, n’en finit plus de surprendre son monde. Le Rochelais d’adoption se dévoile sans retenue sur ce parcours qui en a fait un joueur unique, le roi des rucks et un combattant sans limite.

Il est des profils, des personnalités et des parcours qui dénotent, voire détonnent. Levani Botia est tout ça à la fois : que vous le regardiez jouer, que vous le croisiez simplement ou que vous l’écoutiez se raconter, l’effet de surprise est garanti. À 34 ans, l’intéressé lui-même semble encore et toujours s’étonner de ce qu’il vit, de ce qu’il accomplit.

Mi-avril, à l’heure d’évoquer sa titanesque prestation face aux Saracens, en quart de Champions Cup, sa moustache s’était mise à frétiller et son regard à pétiller. La spontanéité et la fraîcheur de ses propos contrastaient avec la rudesse de ce qu’ils décrivaient : "C’était la première fois que j’affrontais les Saracens, soufflait-il. Je m’attendais à ce que ça fasse mal et ça a été effectivement très musclé. J’ai pris tellement de coups, ouah. J’ai tout laissé sur le terrain, j’ai terminé lessivé." Paradoxalement, le douloureux souvenir lui dessinait un sourire accompagné d’un léger ricanement : "Vous savez, j’adore ça, les contacts avec les gars plus costauds." Et le Fidjien de se confier avec délectation sur son œuvre masochiste : ce dimanche-là, il avait gratté cinq ballons des plus précieux au sol. "Quand je suis proche d’un regroupement et que je vois une opportunité, je salive. Je me dis : "C’est une bonne chance de récupérer la balle, il faut à tout prix que je l’aie." Tout part du mental. Il faut avoir l’envie d’y aller. Et après, il y a un peu de technique : la position du corps, la capacité à endurer les chocs de ceux qui veulent vous tuer… Ça n’a rien à voir avec de la folie, c’est juste du sacrifice et de l’application." Et le plaisir, là-dedans ? "Ça m’en procure beaucoup, assure-t-il. Et j’adore sentir les tapes de mes partenaires dans le dos après coup, entendre leurs cris : "Yeah Leps, go Leps…" Ils sont tellement heureux dans ces moments-là que j’ai l’impression d’avoir marqué un essai."

Levani Botia (La Rochelle) lors du match contre Toulouse
Levani Botia (La Rochelle) lors du match contre Toulouse Icon Sport - Icon Sport

À l’évocation de cette drôle de passion, le plus avant des trois-quarts fidjiens dessine spontanément un pont entre La Rochelle et Suva et entre deux époques. Jusqu’à la source du mâle qu’il est devenu : "J’ai toujours eu le goût du contact en moi. Dès que j’ai commencé le rugby, tout petit, mes copains me demandaient : "Mais pourquoi tu joues comme ça ?" Plus je montais de catégorie, plus je m’intéressais aux rucks. J’ai rapidement compris que ça pouvait changer le cours d’un match. Et puis c’est quelque chose que tout le monde peut faire, du numéro 1 au 15." Au pays des pas de l’oie et des passes après contacts, il se différencie de ses comparses : "Je me rappelle qu’un de mes professeurs à l’école était venu me voir. Je devais avoir 8 ans. Il m’avait dit : "Ce que tu réalises, il n’y a aucun autre gamin qui peut le faire." J’ai toujours été comme ça… Quand j’avais 14 ans, je me régalais à plaquer les gars qui en avaient 18 ou 19. On me disait souvent de faire attention mais je ne me blessais pas. Quand tu as confiance en toi, tu n’as pas de crainte à avoir." L’atypique Levani Botia a, de tout temps, été inclassable. "À 9 ans, je jouais talonneur. Ça fait marrer les gars quand je leur en parle aujourd’hui. Ils me disent que je devrais peut-être y revenir. J’ai joué un an au talon avant de passer flanker. J’ai aussi été demi de mêlée avant de finir centre… C’est Patrice Collazo qui a eu l’idée de me remettre en troisième ligne." Où il s’épanouit de nouveau depuis fin 2022 : "J’aime jouer troisième ligne et je me vois comme ça, désormais. Il faut dire que je me sens protégé avec les colosses qu’il y a autour de moi, Will, Uini…" Comme si une telle force de la nature en avait besoin.

L’appel de Bobo n’était pas un canular…

Avant de devenir sa marque de fabrique, son tempérament de dur au mal a servi de fer de lance dans sa conquête : "C’est à 15 ans que je me suis mis en tête de devenir rugbyman professionnel. J’étais plus amoureux du rugby que de l’école, dirons-nous. Mon grand-père m’a soutenu, comme mon oncle, mais il m’avait d’entrée prévenu : il m’a dit que j’aurai des blessures, que ma carrière serait courte, que ce serait dur… Alors, il fallait que je sois focalisé à 100 % sur cet objectif, que je mette dans la conviction dans tout ce que j’allais faire." Et "Leps" de dégainer la métaphore plus vite que son ombre : "C’était clair : je n’avais qu’une balle dans le barillet, je ne devais pas la gâcher." Des allers-retours quotidiens à pied de 30 km jusqu’à Suva à sa stricte hygiène de vie en passant par son irréprochable investissement aux entraînements, tous ses efforts étaient orientés dans une même direction, pour un seul but : vivre de sa passion, autant que possible. "À cette époque, en jouant aux Fijdi, tu pouvais subvenir à tes besoins du quotidien grâce au rugby mais rien de plus. Je m’éclatais avec la sélection à VII et avec Namosi mais il me fallait travailler à côté. Quand je suis devenu gardien de prison, mes amis et ma famille m’ont demandé : "Mais quand est-ce que tu vas arrêter ta carrière ?" Tant que je pouvais jouer, il n’était pas question de dire stop." Plus fort qu’une passion, qu’une vocation, sa destinée de rugbyman tenait de la mission. Levani Botia s’était promis d’aller le plus loin, le plus haut possible. Sans savoir jusqu’où sa détermination pourrait le mener : "Un après-midi de 2014, je reçois un appel de Sireli Bobo. Je croyais que c’était un canular d’un pote. Et là il me dit : "Il y a un des clubs les mieux classés de Pro D2 qui cherche un joueur à ton poste…" Je ne pensais pas que Bobo me connaissait. Je ne le connaissais pas, d’ailleurs. Pourtant, tout ceci était vrai. Quelques jours après, un gars qui bossait avec Sireli est venu me rencontrer pour avoir ma réponse." L’international à VII a dû mettre, de part et d’autre de la balance, une vie – avec une femme, deux enfants dont un nourrisson d’une semaine –, une stabilité face à un rêve aussi grand qu’indécis. Un choix comme une nouvelle épreuve : "Si je partais en France, je devais quitter mon boulot, pose-t-il le plus naturellement du monde. C’était un vrai dilemme. Car je ne voulais pas perdre mon travail de gardien de prison. Si jamais mon contrat n’était pas prolongé à La Rochelle, qu’est-ce que j’aurais fait ? Je serais rentré aux Fidji et je n’aurais plus rien eu. Comment aurais-je fait pour nourrir ma famille ? Si je disais oui, je n’avais pas le droit d’échouer. Je devais réussir coûte que coûte. Revenir les mains dans les poches n’était pas concevable." Sireli Bobo, convaincu par le potentiel de l’énergumène, repéré sur le circuit mondial, a fini par le convaincre de répondre "oui" : "C’était un des moments les plus forts de mon existence. Comme un rêve qui était devenu réalité." Grâce à un petit coup de pouce – ou plutôt de téléphone : "Je ne crois pas en la chance, coupe-t-il avec aplomb. Vu d’où je partais, il ne fallait pas que je compte dessus."

Levani Botia (Stade rochelais) lors du match face à Clermont
Levani Botia (Stade rochelais) lors du match face à Clermont

"Tant que mon corps aime s’entraîner, je continuerai"

La suite, tout le monde la connaît… ou presque. Elle aurait pu être toute autre. "J’avais eu un souci à un genou et disons que je ne comptais pas le dire à la visite médicale, confesse-t-il, mi-amusé, mi-coupable. Mais les docs l’ont vu. Je leur ai expliqué que j’avais été opéré l’année d’avant. Ils ont insisté : "Mais c’est un gros problème que vous avez, là, au niveau des ligaments. Comment pouvez-vous jouer avec ça ?" J’ai répondu : "Je ne sais pas, je ne suis pas docteur, moi, tout ce que je peux vous dire, c’est que j’y arrive." Quelque temps après, ils ont décidé de m’opérer à nouveau pour le nettoyer. Je suis content qu’ils l’aient fait, ça me permet de durer." Entretemps, le nouveau venu avait déjà tout renversé sur son passage : "Dès mes premiers matchs, ça a été comme un coup de foudre. Le club et les supporters ont adoré ma manière de jouer et m’ont proposé un nouveau contrat. Dans la foulée, j’ai annoncé la nouvelle à ma famille. Ma femme a pu nous rejoindre, avec mes enfants." La même à qui il avait menti par omission sur sa réelle nature, lors de leur rencontre : "Au début, je n’avais pas dit à ma femme que j’étais rugbyman. Je ne voulais pas m’exposer. Quand elle l’a appris, à l’occasion d’un tournoi, elle est entrée dans une colère : "Pourquoi tu ne me l’as pas dit ?" Je ne voulais pas me mettre en avant comme ça, c’est tout." Parmi toutes les victoires de sa carrière, "Leps" aura réussi à convertir sa femme en sa première supportrice. En parallèle, il a atteint le plus haut niveau, a eu une petite fille nommée Rochelle en 2016, a soulevé une Coupe d’Europe et a surtout su se réinventer, se relever pour devenir une figure incontournable de son club de cœur. Quand bien même on a pu le croire, à un moment, en perte de vitesse, à bout de souffle. Levani Botia avance toujours, qu’on se le dise, défiant les lois du temps et de l’usure : "Mon secret ? Je prends juste soin de mon corps. Je le rends heureux en faisant attention à ce que je mange, à ce que je bois. Je ne me dis pas que je commence à être vieux." C’est à se demander ce qui pourrait le freiner : "Tant que mon corps aime s’entraîner et jouer, je continuerai. Ce sera peut-être deux ans, peut-être encore un de plus…"

À 34 ans, le Fidjien a encore tant à accomplir. À commencer par la quête d’une deuxième Champions Cup : "Ce serait tellement énorme", souffle-t-il à cette idée. Pour réaliser l’exploit, les Maritimes auront assurément besoin d’un "Leps" des grands jours à Dublin. Avec un tel phénomène sur la pelouse, tout peut arriver : un grattage décisif, un plaquage salvateur, un essai rageur. Lui en est le premier convaincu : le meilleur reste peut-être encore à venir. "Je suis fier de ce que j’ai fait mais je veux surtout penser à tout ce qu’il me reste à accomplir", se projette-t-il. Et le soldat de plomb de marquer une pause, de se frotter les mains et de lever ses yeux pétillants vers le ciel : "Après, une fois que j’aurai raccroché, je pourrai me retourner et sûrement que je me dirai : "Quel voyage incroyable ça a été, effectivement.""

Digest

Levani Botia

Né le : 14 mars 1989 à Suva (Fidji)

Mensurations : 1,82 m, 101 kg

Surnom : "Leps"

Poste : troisième ligne (ou centre)

Clubs successifs : Namosi (2014), La Rochelle (2014-)

Sélections nationales : 24, en équipe des Fidji (2013-)

1er match en sélection : le 9 novembre 2013 face au Portugal.

Points en sélection : 30 (6 essais)

Palmarès : champion d’Europe (2022), vainqueur de la Coupe des nations du Pacifique (2015).

Un troisième mondial en vue

Levani Botia (34 ans, 24 sélections) espère participer, dans quatre mois, à une troisième Coupe du monde : "C’est une possibilité. J’ai vraiment envie d’y participer. Mais je pense que ce sera dur. Il me faut travailler dur pour mettre mon nom sur la liste." Pourquoi un tel scepticisme de sa part ? "Je ne suis pas à 100 % un avant. Je ne suis pas bodybuildé, je ne saute pas en touche donc je ne sais pas… Je n’ai pas la taille suffisante pour être performant dans l’alignement. Je ne fais que 1,81 m." Ce qui ne l’empêche pas d’être titulaire au sein de l’équipe championne d’Europe en titre et d’être classé parmi "les tout meilleurs troisième ligne au monde" par son manager Ronan O’Gara.

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Les commentaires (1)
HakaduOdumat Il y a 11 mois Le 17/05/2023 à 20:24

Leps ,dans nos c½urs et à jamais.
L'humilité et altruisme sont les adjectifs qui rythme sa vie.
Quel bonhomme.
Il aura sa statue à Deflandre un jour, sans aucun doute !