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Les 10 ans du titre de Toulon - "Une vraie équipe, plus des mercenaires", Boudjellal et Laporte raconte la finale face à Clermont

Par Pierre-Laurent Gou
  • Mourad Boudjellal (à gauche) et Bernard Laporte (à droite) soulèvent le trophée.
    Mourad Boudjellal (à gauche) et Bernard Laporte (à droite) soulèvent le trophée. Sportsfile / Icon Sport - Sportsfile / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Mourad Boudjellal et Bernard Laporte ont vécu sept saisons en se côtoyant tous les jours. Une amitié s’est créée entre eux. Pourtant, la vie fait que ces deux personnages du rugby français ne se croisent que « trop rarement » aujourd’hui. À l’occasion des dix ans de la première Coupe d’Europe remportée par le RCT sous leurs ordres, les deux hommes ont accepté, chose rare, de regarder dans le rétroviseur pour se remémorer cette finale face à Clermont. Et livrer aussi quelques secrets de leur réussite…

Dix ans après, qu’est-ce qu’il vous reste de ce premier des trois titres en Champions Cup conquis par le RCT ?
Mourad Boudjellal : la joie incommensurable d’un premier titre. Cela fait 21 ans que Toulon n’avait pas remporté de trophée majeur et je crois que Bernard ne me contredira pas, sur ce match, ce n’était pas quelque chose que l’on attendait. Sincèrement, c’était Clermont le grand favori. Avant de partir à Dublin, les instances organisatrices étaient venues à Toulon nous expliquer comment allait se dérouler la remise des prix. Je me disais «mais vous vous êtes déplacés pour rien. L’ASM va l’emporter.» Rappelez-vous, Clermont avait décroché son premier Brennus en 2010 et avait fait de la Coupe d’Europe son objectif majeur de la saison. C’était un ogre. Avant le match, Bernard, qui n’avait normalement pas son pareil pour me rassurer, m’affirmait: « Mourad, si Nalaga et Sivivatu jouent de notre côté on gagne ». C’est pour cela que l’année d’après, je lui « offrais » Habana. Bref, ce titre, ou plutôt la surprise qu’il a générée chez moi, reste gravés dans ma mémoire.

Bernard Laporte : l’ASM était complet. Très bon aussi devant, Rougerie au centre qui effectuait une superbe saison. Sur le papier, ils étaient plus forts. Avec le recul, sur les trois finales de Champions Cup que nous avons disputées, c’est la seule que nous aurions pu et même dû perdre. Elle s’est jouée à pas grand-chose, à notre paquet d’avants qui les a dominés. Après, cela se joue à pas grand-chose... Si Fofana sur son ballon tape au pied, au lieu de le garder, nous ne sommes pas là dix ans après pour en parler… Et puis, après être passés devant, nos joueurs ont su résister.

M.B. Je n’ai pas vu le dernier quart d’heure en direct, j’étais dans mon taxi… Mais même après coup, en regardant le match, tu trembles!

B.L. Les joueurs ont été grandioses. Ce match et son scénario ont été primordiaux pour notre histoire.

C’est-à-dire ?
B.L. Ce match a été LE match où l’équipe s’est vraiment construite. Où Carl Hayman, Bakkies Botha, Chris Masoe, Juan Lobbe, Matt Giteau, Jonny Wilkinson puis après Drew Mitchell, Bryan Habana sont devenus véritablement des coéquipiers. Ce sont des ultracompétiteurs, ils ne s’épanouissent que dans la victoire. Ce match est fondateur des deux années qui suivront.

M.B. Ce match-là nous a aussi permis d’apprendre à gagner des finales. Auparavant, on savait surtout les perdre. Deux échecs l’année d’avant (Top 14 et Challenge Cup en 2012) et un autre en 2010 (Challenge Cup). Personnellement, cela me pesait. Je commençais à croire que sous ma présidence, le RCT n’allait rien remporter en élite.

B.L. Tu as raison, nous sommes devenus crédibles. Toulon ne faisait plus la Une de l’actualité pour ses transferts tonitruants, ou les sorties musclées en conférence de presse de son manager ou son président (rires). Oui, nous étions devenus crédibles.

M.B. En trois ans et demi, nous avons joué sept finales sur trois compétitions, pour quatre titres ! Or c’est dur d’aller en finale, et encore plus de les gagner.

Qu’est-ce qui a fait la différence entre 2013 et 2014 où, en plus de la Champions Cup, vous soulevez enfin le Bouclier de Brennus ?
B.L. Avec du recul, nous avions moins bien géré notre effectif en 2013 qu’en 2014. Notre effectif était ultraexpérimenté mais faisait aussi parfois son âge. Et le marathon du Top 14 ronge les effectifs. On peut le dire maintenant: pour la finale, Andrew Sheridan notre pilier gauche, mais aussi Bakkies (Botha) et Carl (Hayman) étaient presque sur les rotules. Dans l’euphorie, une semaine plus tard,les joueurs et notamment Danie Rossouw font un match exceptionnel en demi-finale de Top 14 face à Toulouse. Mais lors de la finale face à Castres, les gars étaient sur les genoux. Nous n’avions pas assez fait tourner avant et c’était d’abord de ma responsabilité. En 2014, cela nous avait servi de leçon. Tout au long de la saison, nous avions fait tourner et laissé des plages de repos à nos cadres.

M.B. À Castres en 2013, pendant que nous jouions la Coupe d’Europe, ils étaient devant la TV. Ils avaient joué Clermont en demi-finale qui n’avait pas digéré sa défaite contre nous. Ils avaient joué des fantômes, puis un RCT exténué la semaine suivante.

Clermont était-il votre meilleur adversaire, plus que Toulouse. En tout cas, votre plus grand rival ?
M.B. Sans aucun doute. La rivalité sportive était née de la demi-finale perdue à Saint-Etienne, après prolongations en 2010. L’année de l’arrivée de Bernard, il y avait aussi eu l’épisode de la « sodomie arbitrale ». Et puis, l’ASM était une très grosse écurie. Une équipe programmée pour tout gagner. Ils avaient pris le lead sur Toulouse. Face à eux, la rencontre basculait toujours sur un seul fait de jeu. Une fois pour eux, une fois pour nous.

B.L. Avec eux, nous étions les deux meilleures équipes du Top 14. Un peu comme Toulouse et La Rochelle aujourd’hui.

M.B. Et puis culturellement, nous étions à l’opposé. Le club le moins riche était dans l’exubérance et le plus riche dans la retenue. Deux modèles assez différents. Même nos supporters sont à l’opposé. Les deux clubs suscitent de l’engouement, mais disons qu’à Toulon, ils ont une passion plus démonstrative !

Après la finale, vous aviez choisi de rester à Dublin avant la demi-finale de Top 14. Était-ce pour prolonger un peu la troisième mi-temps ?
M.B. L’année d’avant, j’avais écouté Bernard qui, par superstition, ne voulait pas préparer la semaine précédant un match de phase finale avant d’y être qualifié. Résultat, en 2012, quand nous nous qualifions pour la finale de Top 14 en battant Clermont, on reste à Toulouse, lieu de la rencontre, jusqu’au mardi. Le temps qu’on s’organise sur Paris... Une vraie perte de temps. Cette fois-ci, en échangeant avec le staff, nous avions choisi de rester sur Dublin pour préparer les demi-finales de Top 14 qui avaient lieu à Nantes, soit pour échapper à l’euphorie qui aurait gagné la ville en cas de titre européen, soit pour évacuer dans l’intimité la frustration qui aurait été présente en cas de défaite.

B.L. Et puis on gagne cette demi-finale face à Toulouse en toute fin de troisième mi-temps à Dublin !

C’est-à-dire ?
B.L. Le lendemain de la finale, alors que nous avions choisi de passer la nuit avec les familles, tout le monde sauf les joueurs et le staff, repart vers Toulon. Chris Masoe vient me voir le dimanche soir et me demande : « Bernard, on aimerait maintenant se retrouver qu’entre joueurs et fêter la Coupe d’Europe ». Je dis d’accord et je lui propose même d’annuler l’entraînement du matin. Mais Chris refuse, il dit que cela leur fera une limite et aussi un décrassage. Le lendemain, quand je monte dans le bus qui nous amenait au terrain d’entraînement, j’aperçois Pierre Mignoni, le regard noir. Je lui demande ce qu’il a, il me rétorque. « Et voilà, il n’en manque qu’un, c’est Delon ». Je prends peur qu’il ait fait une connerie dans la nuit. Je vais au fond du bus voir Chris, qui me rassure d’une certaine manière et m’indique qu’il n’a «juste» pas pu se lever mais qu’il est dans sa chambre, en train de dormir. Une fois revenu devant, dans le bus, Pierre ne décolère pas. « Exclus-le du groupe ! » me clame-t-il. J’essaie de le calmer, en lui disant: «il est là, on verra demain». Pierre souhaite qu’on réunisse le groupe des cadres pour connaître leur avis. Avant l’entraînement, je vois donc Carl, Jonny, Chris et Bakkies. Ils proposent que Delon Armitage soit sanctionné d’une grosse amende. Je dis OK, j’en parle au président.

On vous suit…
B.L. Au retour, on devait avoir une séance vidéo. Pierre ne décolérait pas. Quand Delon rentre dans la salle, le regard penaud, il commence « coach, coach, excusez-moi ! ». Et là je lui rétorque fort pour que tout le monde l’entende. « Écoute, la composition d’équipe pour Toulouse, on n’en a pas encore discuté avec le staff, mais la seule chose dont je suis certain, c’est que tu seras titulaire à l’arrière ! » Je me souviens qu’après coup, Pierre m’avait demandé si j’étais sûr de mon coup. Je lui avais alors répondu que ni lui, ni moi ne pouvions être sur le terrain mais que Delon avait dorénavant une grosse pression. Et le vendredi soir, il avait répondu plus que présent.

M.B. J’avais annulé après le match son amende pour qu’à la place, il doive payer à manger à tout le monde.

B.L. C’est ce que je disais tout à l’heure. Cette finale de Dublin a créé une alchimie entre nous. Nous n’étions plus une bande de mercenaires, comme disait la presse. D’ailleurs, ce terme n’était pas approprié. Nous étions une vraie équipe.

M.B. Il y avait une totale adéquation entre Bernard et les joueurs. Pourtant, parfois, Bernard pouvait être très dur avec eux.

B.L. Mais j’espère toujours juste ! Le mérite revient surtout aux joueurs. Humainement, c’était et c’est toujours de très bons mecs. Ce n’était pas seulement de grands joueurs, mais des hommes droits. Et tu peux rajouter à cette liste les Français, Michalak, « Basta », puis Guirado que j’ai découvert plus tard…

Vous ont-ils fait évoluer dans votre management?
M.B. Il ne pouvait pas râler plus qu’une fois par saison alors qu’au début c’était chaque semaine (rires !).

B.L. Oui forcément. J’ai appris par exemple que sur les séances vidéos, les critiques il fallait mieux les faire en tête à tête qu’au milieu du groupe comme j’en avais l’habitude. Après tous étaient dans la force de l’âge, je n’allais pas leur dire comment s’entraîner. Chez certains, tu pouvais leur laisser une forme d’autonomie. Je vais encore les citer mais Karl, Chris, Bakkies ou Jonny étaient toujours présents une demi-heure avant le début officiel des entraînements. Jamais, jamais en retard !

M.B. Il y avait aussi beaucoup d’échanges entre vous, j’ai le souvenir d’un match avant la finale 2013, où à la mi-temps, Matt Giteau et Jonny Wilkinson, viennent te voir pour changer le plan de jeu derrière car ils n’arrivaient pas à passer. Et tu leur donnes raison et leur indiques de faire ce qu’ils souhaitent.

B.L. Rugbystiquement, tactiquement, stratégiquement, c’est deux-là, étaient des montres. Je ne voulais pas leur apprendre à jouer !

Comment se passait le recrutement de ces stars ? Bernard aviez-vous votre mot à dire ?
B.L. Je laissais faire Mourad. Quand justement en 2013, je lui demande que l’on se renforce aux ailes et qu’en trois semaines, il t’annonce Bryan Habana puis Drew Mitchell, tu files chez toi te faire un bon whisky ! Le recrutement, c’était le domaine de Mourad, celui où il se fixait des défis qu’il réalisait. Perso, j’arrivais en toute fin de dossier pour voir le côté humain. Pour Habana, je vais le rencontrer en marge d’un Angleterre - Afrique du Sud à Londres et là, je perçois qu’il connaissait déjà tous les noms des joueurs, notre parcours… Sur les très gros joueurs, Mourad ne se trompait jamais.

M.B. Il y a un joueur que tu m’as imposé, où tu m’avais intimé : « celui-là, je le veux à tout prix. Il sera indispensable dans ce que je veux faire, c’est Chris Masoe ». Or, au départ, celui-ci ne voulait pas venir et s’apprêtait à partir en Angleterre. J’avais dû repartir à la bagarre car Bernard me disait, lui ou rien.

B.L. Chris était déjà entraîneur. Bon techniquement mais surtout entraînant. Tu sentais que c’était un leader que les joueurs allaient suivre. Tout comme Fernandez-lobbe. Ils avaient tous les deux cette dimension qui te fait gagner énormément de temps.

Êtes-vous un peu nostalgiques, dix ans après ce titre ?
B.L. Si je suis nostalgique d’une chose, ce sont des mecs. Ces mecs me manquent ! Je remercie la nouvelle équipe dirigeante et le président Lemaitre pour cette idée d’Hall of Fame. Pendant 48 heures, nous avons pu jouer aux vieux c…, se remémorer tous ces bons moments. Il y a un truc entre eux qui s’est créé.

M.B. J’ai été gavé en matière d’émotions en tant que président du RCT. Mais de là à dire que cela me manque... Les matchs généraient chez moi un tel stress ! À la fin, j’ai voulu m’enfuir. C’était une vraie souffrance physique, chez moi, le déroulé des rencontres. Je ne regrette rien. J’ai rencontré de belles personnes, je me suis éclaté. Mais je suis rassasié. J’étais content de tourner la page.

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Les commentaires (1)
jmbegue Il y a 11 mois Le 19/05/2023 à 08:54

Quand on pense qu'il (Bernie) se vante d'avoir sauvé l'EDF.....
C'est à cause de lui qu'elle était au fond du trou.
Heureusement que Paul Goze a pu imposer les JIFF malgré ses beuglements.