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Champions Cup - La Rochelle, de bons joueurs de rugby devenus des champions

Par Vincent Bissonnet
  • Les Rochelais ont écrit l'histoire à Dublin avec cet exploit face au Leinster.
    Les Rochelais ont écrit l'histoire à Dublin avec cet exploit face au Leinster. Midi Olympique - Patrick Derewiany
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Pour relever le défi de Dublin et signer un doublé retentissant, il fallait de bons joueurs de rugby mais aussi et surtout des champions. La Rochelle a fait l’épatante démonstration qu’elle avait ce petit truc en plus qui fait basculer l’histoire de votre côté. Son statut ne laisse plus place au doute.

"Dès le toss, ils ne nous ont pas respectés. Ils ne m’ont pas respecté." Un instant, dans les coursives de l’Aviva conquis de haute lutte, Grégory Alldritt a quitté du regard le trophée posé à ses côtés, durci la mâchoire et remonté le temps de deux bonnes heures. Avant le premier impact, avant la folie, avant la stupeur et le grand bonheur. Et il a revu la scène : le bout du tunnel, M. Peyper avec une pièce entre les mains, James Ryan à son opposé : "Il ne m’a pas regardé dans les yeux quand il m’a serré la main. C’est quelque chose qu’il ne faut pas nous faire. On a énormément de valeurs, le respect en fait partie."

Qu’avait bien pu déceler le numéro 8 tricolore à travers l’indifférence de son alter ego irlandais ? Une pointe de mépris, une volonté de défi et un soupçon de complexe de supériorité, peut-être. Une raison supplémentaire pour tout renverser, assurément. Qu’on se le dise, La Rochelle ne s’était pas présentée dans le dernier cercle de l’enfer en victime expiatoire, quand bien même le XV du Trèfle avait claqué, là, un grand chelem deux mois plus tôt, quand bien même le Leinster tournait à 45 points de moyenne par match depuis le début de la saison…

Ronan O’Gara, l’homme qui ne dit que ce qu’il pense, s’était permis de redessiner le profil de ces retrouvailles finales, dans la semaine : "On parle tout le temps d’étouffer ou d’arrêter le Leinster mais qui va arrêter La Rochelle ? C’est un sujet aussi. Cette perception des choses est déterminante. C’est important que ce soit du 50-50 pour le gain du match." Depuis la démonstration en demi-finale face à Exeter à la virile poignée de mains entre les deux capitaines en passant par la conférence de presse de la veille, les Maritimes n’avaient eu de cesse de le répéter : "Si on est à notre meilleur niveau, on sait qu’on peut être très dur à battre", assénait encore Grégory Alldritt, à 24 heures du coup d’envoi.

Traduction : on ne dit pas que l’on va gagner mais rappelez-vous, au cas où, que nous en sommes capables. L’humilité ne doit pas être un obstacle à la confiance. Au-delà de l’identité même du vainqueur, il était question de respect, de crédibilité : au nom de quoi La Rochelle aurait-il dû nourrir de quelconques complexes vis-à-vis de son rival ? N’était-elle déjà pas un grand d’Europe, elle qui n’a plus perdu sur cette scène depuis deux ans ?

"On en avait besoin pour nous décomplexer"

La suite, irrationnelle, a donné raison aux visiteurs et accessoirement tenants du titre : oui, le Leinster était bel et bien une équipe redoutable pour ne pas dire effrayante, comme toute l’Europe la présentait, mais oui, les Maritimes possédaient aussi les armes, le cran et le talent pour rivaliser. Et signer un exploit historique.

Retentissant comme un tremblement de terre : "Je suis persuadé qu’on ne se rend pas compte, hallucinait le capitaine quelques instants après la secousse. C’était fou à Marseille. Je pensais que l’on avait touché un sommet cette fois-là. Mais ça ne s’arrête jamais…" "On ne peut pas mesurer les proportions que ça prend, soufflait, hagard, Paul Boudehent. Et puis, on n’est pas du genre à s’autocongratuler." Faisons-le à leur place, alors. Samedi, La Rochelle a gagné grâce à ce qui fait sa force : son caractère et son osmose, évidemment, mais aussi et surtout la qualité de ses hommes. À commencer par ceux du banc, dans le sillage du magnétique manager : "Quand je repense au discours de Ronan avant ce match… On l’a encore vu, c’est une machine à gagner", témoignait Pierre Venayre. " Il faut féliciter le staff, prolongeait Romain Sazy. Comme à chaque fois, la préparation était très froide, très précise." À l’image de "ROG", le cerveau de l’opération depuis le début. Le meilleur des recrutements : "Pour être honnête, on a eu besoin de managers comme Patrice Collazo et Ronan O’Gara pour nous décomplexer, reprend le directeur général. Nous autres, historiques, portions un regard trop modeste." Le supremo irlandais a tout cassé : les codes, les barrières, les habitudes… Ses protégés l’ont remercié pour son ouvrage par une abondante douche au champagne, après le coup de sifflet final, sur le plateau d’une télé irlandaise. La scène dit tant de choses. Qui aime bien châtie bien. Les bons managers ne sont-ils pas ceux qui tirent le meilleur de leur groupe ?

"S’il y a un endroit où il faut être…"

Il n’y a pas de grandes conquêtes sans grands meneurs. Il suffisait d’écouter les discours des capitaines dans l’âme, Grégory Alldritt et Romain Sazy, dans l’après-match, pour comprendre comment ce collectif avait pu survivre à la tempête irlandaise. Il n’y a pas non plus de grandes victoires sans grands hommes sur le terrain. Samedi, plus que jamais, La Rochelle a puisé dans la richesse et la diversité de son vestiaire pour terrasser l’équipe bis de la meilleure sélection mondiale : "En Top 14, ils attirent des joueurs du monde entier quand nous avons un tas de gars qui passent par le système de formation. On va continuer de s’y tenir et continuer de croire en eux", posait Leo Cullen au coup de sifflet final. Désolé, cher Leo, mais s’il suffisait d’avoir une dizaine de millions d’euros de masse salariale et de recruter à tour de bras pour bâtir des armadas capables de tout rafler, le Racing 92 et Montpellier, pour ne citer qu’eux, auraient déjà quelques étoiles sur le maillot…

En la matière, il n’existe pas de secret. Le club à la caravelle a su miser sur les bonnes personnes au bon poste et au bon moment. Samedi, l’association de toutes ses forces vives s’est révélée à la face de l’Europe. Pour relever un tel défi, il fallait de très bons joueurs de rugby mais aussi de grands hommes, des spécimens rares, ce dont La Rochelle regorge. Qui avait eu le nez assez creux pour dégoter l’irremplaçable Uini Atonio et l’atypique Levani Botia, si précieux dans le combat ? Qui avait compris, mieux que tout le monde, que Will Skelton, titanesque, colossal, incroyable samedi, était le meilleur des investissements à consentir sur le marché, en 2020 ? Qui avait été le plus prompt et/ou le plus convaincant pour attirer Grégory Alldritt et Pierre Bourgarit, espoirs du Gers devenus cadors en France et au-delà ? Qui avait été assez perspicace pour savoir que Brice Dulin, compétiteur patenté, avait encore de formidables années devant lui ? Et qui, l’an dernier encore, avait eu la riche idée de composer cette talentueuse paire de cinq-huitièmes Hastoy-Seuteni, assurément deux des grands bonhommes du triomphe ? Et on en oublie, de Joel Sclavi à Ultan Dillane en passant par des absents du jour comme Teddy Thomas, auteur d’un doublé salvateur face à Gloucester en 8e…

"C’est un des points forts du club, se félicite Pierre Venayre. Robert Mohr fait un énorme travail et d’avoir séparé le management de la direction sportive a permis de se donner du temps pour faire des recrutements vraiment pensés et réfléchis." Les résultats de ce qui est devenu une machine à gagner parlent d’eux-mêmes : "La progression du club est fantastique, s’étonne encore Romain Sazy. Je n’aurais jamais imaginé qu’il allait grandir aussi vite, se structurer ainsi, avoir des joueurs de classe mondiale." Et un des publics les plus fidèles et enthousiastes de la planète ovale, une manne que rien ne saurait remplacer. "S’il y a un endroit où il faut être actuellement, que ce soit dans les tribunes ou sur le terrain, c’est à La Rochelle", s’enflamme l’historique de la maison, avec les yeux de l’amour.

Depuis un an et encore plus depuis samedi, La Rochelle est sur le toit de l’Europe et même d’un bout d’Afrique. "J’ai l’impression que la deuxième étoile est encore meilleure que la première, reprend Pierre Venayre. C’est encore plus fort pour le statut du club dans le rugby européen. Ça place le Stade dans l’histoire mondiale des clubs. Il faut en être fier et l’assumer." Voilà un challenge, sans date butoir, à relever pour "ROG" et sa bande : rester le plus longtemps possible au sommet, garder l’exigence, trouver des successeurs aux irremplaçables, savoir se réinventer, se relever le cas échéant… C’est à ce prix que les dynasties se forgent : "Une des caractéristiques du club est de toujours se remettre en question. Nous avons déjà écrit le plan 2030 que nous dévoilerons en septembre. Il y a encore plein d’axes de progrès. Ce qui est stimulant, c’est que l’on est double champion d’Europe et que l’on a encore une grande marge de progression." Ronan O’Gara avait, d’entrée, posé la bonne question : qui va arrêter La Rochelle ?

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Les commentaires (2)
Ariochlefino Il y a 11 mois Le 22/05/2023 à 17:24

Sazy et Atonio sont devenus des légendes du stade rochelais ! Merci ces joueurs sont des monstres. Allez go pour le Brennus maintenant on y croit, on a aussi faim qu'eux !

SuperRochelais Il y a 11 mois Le 22/05/2023 à 11:09

Exceptionnel, quelle fierté pour le peuple rochelais... quelle aventure pour les Merling, Sazy, Atonio...