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200 ans d'histoire (21/52) : en 1960, Couderc entre par la petite lucarne

Par Jérôme Prevot
  • Roger Couderc (à gauche) et son complice Pierre Albaladéjo.
    Roger Couderc (à gauche) et son complice Pierre Albaladéjo. Fabien Agrain-Védille - Fabien Agrain-Védille
Publié le Mis à jour
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Un jour, la télévision est entrée dans l’univers du rugby avec un héraut exceptionnel, Roger Couderc. Soixante ans après, la petite lucarne règne en maîtresse.

À la charnière des années 50 et des années 60, un nouvel outil se mit au service du rugby : la télévision. Ce sport put faire son entrée dans tous les salons et les cafés de France (et des autres pays) avec des images en noir et blanc. Aujourd’hui, elle est devenue reine, mais pendant vingt-cinq ans environ, elle fut plutôt une accompagnatrice qui nous prenait la main avec tendresse.
La lucarne magique vécut une première période, plutôt bon enfant, toute entière dédiée à la promotion du ballon ovale, avec un grand héraut, Roger Couderc (1918-1984). Pendant plus de vingt ans, il fut la voix du rugby français, pimentée par son accent du Sud-Ouest.
Il était originaire Souillac, dans le Lot, puis il était monté à Paris à 16 ans pour faire les beaux-arts. Sa vie n’avait vraiment basculé qu’à 32 ans, après une série de petits boulots et une période de captivité en Allemagne. Il fut alors embauché à l’ORTF. Il y découvrit la télé, média étrange comme Twitch dans les années 2010. Personne ne se bousculait pour y travailler au début des années 50. Roger Couderc y fit peu à peu son trou, jusqu’en 1960 quand il devint commentateur numéro 1 du rugby avec le Tournoi des 5 Nations comme terrain de jeu ordinaire. Personne ne peut contester que pour le grand public, le rugby ce fut lui, son timbre, ses intonations, ses phrases à l’emporte-pièce et surtout son enthousiasme. Pour les vingt ans de sa mort, Albert Ferrasse, ex-président de la FFR, nous confia : « Je l’adorais, certes il faisait beaucoup de fantaisies alors ça ne plaisait pas à certains puristes, mais il a donné une image tellement positive de notre sport… Je me souviens encore de son enterrement à Mauvezin dans le Gers, le village de sa femme. J’étais touché comme rarement. »

Un commentaire à l’instinct

Roger Couderc plaisait au grand public car il lui parlait comme à un ami, assis à ses côtés, sur son canapé, jusque dans son inimitable façon de poser des questions auxquelles il aurait dû répondre. « Pourquoi l’arbitre a-t-il sifflé ? » Il s’extasiait sur des gestes anodins au détriment des actions de classe. En 1965, il accorda même aux Anglais un essai que l’arbitre leur avait refusé et confondit une pénalité avec une transformation.
Il ne prétendait pas non plus à la neutralité, même s’il ne fut jamais hargneux envers les adversaires. Son complice pendant douze ans, Pierre Albaladéjo, explique : « Il assumait son rôle de seizième homme sans complexe. » La modération ne lui était pas naturelle : « Avec lui, le moindre événement prenait des proportions dantesques. À Constanza en 1972, il avait annoncé une température de… moins soixante. » Son commentaire ne prétendait pas non plus à la rigueur scientifique, Pierre Albaladéjo nous l’a rappelé : « Évidemment, Roger Couderc n’avait pas de fiche, il arrivait les mains dans les poches, ou plutôt avec un cartable vide. Il commentait à l’instinct, il était hâbleur, il disait quelques bêtises, je le repêchais derrière en sortant une blague. Il me laissait une liberté totale et j’ai vécu des moments magnifiques avec lui. » Presque quarante ans après sa disparition, on se dit qu’il collait bien avec son temps, celui de l’ORTF, la télé pour tous. Il apprit le rugby gratuitement à ceux qui n’en voyaient jamais près de chez eux, avec la bonne humeur en plus.

Mais on ne doit pas le limiter au rôle de bateleur du direct. Avait-on vu des reportages tournés sur le vif en Nouvelle-Zélande avant ceux qu’il réalisa lors de la tournée de 1961 ? Imagine-t-on l’émotion des spectateurs plongés dans l’intimité de la famille Spanghéro à Bram en 1966 dans le cadre des « Coulisses de l’exploit» ? Il a marqué toute une époque, mais il n’aura commenté le rugby à XV à la télé « que » pendant dix-huit ans, de 1960 à 1968 et de 1975 à 1983. En 1968, il s’était fait virer avec toute une charrette de journalistes qui avaient contesté le pouvoir. Entre-temps, il avait exercé à la radio, sur RTL puis sur Europe 1. Son retour sur Antenne 2 fut triomphal, même si c’est vrai, dans les dernières années, il fut moins performant pour coller à l’action.
Coïncidence, Roger Couderc est décédé en 1984, il n’avait que 65 ans, l’année où Canal +, chaîne payante, ouvrait ses portes pour imposer un nouveau commentaire, hyper fouillé et hyper documenté, à l’opposé de son style. La télé était en train de passer à autre chose, le public aussi était devenu plus exigeant. L’ère de «la bonne franquette» était terminée.

Télévision : une fascinante évolution

Depuis les débuts de Roger Couderc, la télévision a bien changé. En termes de technique de réalisation bien sûr, mais ce n’est pas là le plus fondamental. À partir des années 80 et 90, la télévision a surtout changé en termes de rôle. Elle n’a plus accompagné le rugby, elle l’a annexé moyennant finances et l’a dominé, jusqu’à imposer les horaires, les jours de diffusion, le déroulement des rencontres avec notamment l’arbitrage vidéo, le format de la compétition avec le resserrement de l’Élite et sans doute, indirectement, les règles mêmes du jeu. Sur le plan historique, l’évolution est fascinante.
La raison est double, les télés ont compris que certains sports faisaient de l’audience. Le rugby et les autres sports majeurs ont compris que les télévisions pouvaient être des sources de financement. Dans les années 50 et 60, il ne serait venu à personne à la FFR pour demander de l’argent en échange d’une diffusion. Et puis, les choses se sont inversées, les télévisions privées sont apparues gratuites (TF1) ou à péage (Canal +), une course à l’audience et aux abonnements s’est enclenchée. Et même le service public a dû s’y conformer. La retransmission du Tournoi des 5 Nations s’est vue attribuer un prix, celle du championnat aussi. Ne parlons pas de la Coupe du monde…
En 1991, TF1 récemment privatisée s’assure les droits de retransmission de la Coupe du monde et même la diffusion d’un match du Tournoi qui suit. En 1992, France Télévisions signe son premier contrat avec la FFR pour ne pas perdre le Tournoi et les matchs du XV de France. On estime aujourd’hui que ce contrat vaut environ 100 millions d’euros pour trois ans. En 1995, Canal + s’empare du championnat de France en déboursant environ 10 millions d’euros par an. Vingt-cinq ans plus tard, ce qui est devenu le Top14 vaut 113 millions, soit environ onze fois plus. Dans tous les pays du monde, les télévisions sont devenues les vaches à lait des fédérations et des ligues professionnelles. L’esprit des années 50-80 s’est évanoui, mais les images sont de meilleures qualités. En ce qui concerne les commentaires, c’est devenu plus professionnel, plus rigoureux, c’est sûr, ça n’empêche pas la nostalgie.

"Allez les petits !"

Le souvenir de Roger Couderc, ce sont ces phrases impayables qui s’imprimaient dans l’oreille des téléspectateurs. Lors du match France - Afrique du Sud de 1961 par exemple : « Ho la la ! Le pilier Du Toit a une habitude, celle de prendre son vis-à-vis par le maillot et lui faire brouter la pelouse. Évidemment, c’est absolument interdit. Ho la la ! Ces entrées en mêlée. Ça ne va pas aller trop loin tout ça. Les coups commencent à pleuvoir, les Français ne veulent pas perdre ce match… »
On se souvient aussi de sa difficulté à se frayer un passage au milieu de la foule en délire en 1963 après la finale du championnat pour interroger André Boniface, porté en triomphe. Au milieu d’un brouhaha terrible, on voit le joueur faire taire les supporteurs sans descendre des épaules de son fan et Couderc dire : « Approchez-le de moi ! André, André quelles sont vos impressions après une finale hors-série… Je n’ai plus de fil ! » Mais son grand cri de guerre, c’était le célébrissime : «Allez les petits !»

Un duo avec Pierre Albaladéjo

Roger Couderc a aussi popularisé le commentaire à deux, un journaliste plus un consultant. Le modèle a traversé le temps, il est encore la base du travail des télés d’aujourd’hui. Il a formé un duo extraordinaire avec Pierre Albaladéjo de 1975 à 1983 à la télé. Mais il avait été formé à la radio sur Europe 1 de 1971 à 1974 quand Roger Couderc avait été viré de l’ORTF. Mais Pierre Albaladéjo avait été consultant dès 1968 aux côtés de Emile Toulouze sur la radio périphérique. On présente souvent « Bala » comme le premier consultant de l’Histoire, ceci dit, quand on revoit le fameux match France - Afrique du Sud de 1961 (0-0 à Colombes), on entend la voix de Roger Couderc accompagnée de celle de Serge Saulnier, dirigeant important de la FFR et directeur de la tournée des Français en Afrique du Sud en 1958. Comme quoi, Roger Couderc avait été précurseur là-dessus aussi.

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