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Reportage. Le rugby ukrainien au cœur de l'horreur

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    Reportage. Le rugby Ukrainien au cœur de l'horreur DR.
Publié le Mis à jour
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Avant que n’éclate le conflit entre l’Ukraine et la Russie, le pays de Volodymyr Zelensky comptait plusieurs championnats et quelque 5 000 licenciés. Si, concernant la balle ovale, tout en Ukraine est aujourd’hui à l’arrêt, la sélection nationale entretient néanmoins la flamme…
 

Il y avait du rugby, en Ukraine, avant que Vladimir Poutine ne déclare la guerre à son voisin pour des raisons encore fort absconses. Il y avait là-bas un peu plus de 5 000 licenciés, un championnat qui tenait la route et en élite, huit équipes semi-professionnelles.

Depuis un an ? Tout s’est brutalement arrêté, de Kiev à Kharkiv : la majeure partie des pratiquants a rallié le front, au Donbass et ailleurs ; les autres ont pris la route et tout quitté, emmenant femmes et enfants loin du tumulte des canons. Maksym Kravchenko, le manager de la sélection nationale ukrainienne, a un peu plus de 40 ans.

Lui est originaire de Kharkiv, une ville devenue, dès le début de la guerre, une cible stratégique pour les troupes de Vladimir Poutine : située à l’est du pays, cette cité d’un million d’habitants est en effet la métropole la plus proche de la frontière russe et constitue donc aux yeux des généraux de l’empire une prise de choix. Kravchenko explique en préambule : « Les gens ne le savent pas mais Kharkiv est le poumon du rugby ukrainien, sa capitale en quelque sorte. La majorité de nos meilleurs rugbymen sont originaires du RC Olymp, le club semi-professionnel de Kharkiv, sacré ces dernières années champion du pays à de multiples reprises. […] Moi, j’ai joué au rugby pendant 25 ans. J’ai même été le capitaine de l’équipe nationale. Ce sport, c’est toute ma vie. » Le temps a beau avoir fait son œuvre, Maksym Kravchenko n’oubliera jamais le jour où les troupes ennemies sont entrées dans son pays. « Ce 24 février 2022 résonnera toujours en moi, développe-t-il à présent. C’est le jour qui a changé mes plans, mes projets et ma vie tout entière, en fait. » Il marque une pause, se passe les mains sur le visage, s’excuse : « Cette nuit-là, ce sont les bombardements qui nous ont tirés du lit, ma femme, mon fils et moi. C’était comme dans un film sur la Seconde Guerre mondiale. C’était terrible. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’une telle chose puisse se produire dans ma vie ».

Reportage. Le rugby Ukrainien au cœur de l'horreur
Reportage. Le rugby Ukrainien au cœur de l'horreur DR.

Depuis le 24 février, le manager de la sélection ukrainienne a donc une vie de nomade et sillonne l’Europe de part en part, en quête de sécurité. « Au départ, dit-il, on voulait rester à Kharkiv mais au bout de trois jours, on s’est aperçu que c’était évidemment trop dangereux pour notre petit. Alors, j’ai pris la voiture et nous avons traversé le pays de part en part, jusqu’à Ivano-Frankivsk (à l’est du pays, N.D.L.R.). Nous y avons passé trois mois et lorsque les Russes ont bombardé Kiev, nous avons fui vers l’Espagne (à Benidorm, près de Valence). Maintenant que la situation est meilleure en Ukraine, aujourd’hui que nos soldats continuent de progresser, je m’apprête donc à reconduire ma famille à Kiev ».

Les entraînements à Zagreb, le courrier de Zelensky

Mais au-delà des destins des uns et des autres, le rugby ukrainien a-t-il vraiment disparu aux prémices du conflit ? Pas complètement et, à l’automne dernier, l’équipe nationale a même repris la compétition et participé, avec la Suisse, la Croatie, la Lituanie ou la Suède, au « Trophy », l’équivalent du Tournoi C. Se sont-ils entraînés ? Comme ils le pouvaient, à vrai dire et à ce sujet, le sélectionneur de la Suisse Olivier Nier nous contait dernièrement : « Tout le temps qu’a duré la compétition, le gouvernement croate a mis à disposition des terrains d’entraînement et un stade, à Zagreb, pour que l’Ukraine puisse disputer ses rencontres internationales. En clair, les joueurs lâchaient les fusils et se retrouvaient deux jours avant le match pour jouer au rugby… »

Les internationaux ukrainiens étant tous en âge de se battre et défendre leur pays, la fédération avait aussi eu besoin d’une lettre expressément écrite par leur président Volodymyr Zelensky pour les autoriser à traverser la frontière, ne serait-ce que pour quelques jours. Maksym Kravchenko, 50 sélections au poste d’ailier dans les années 2000, poursuit ainsi : « Mon job, qui consiste à organiser les matchs internationaux de la sélection, n’est pas le plus facile depuis le début du conflit : si je demandais aux équipes adverses de venir jouer dans un pays en guerre, personne ne viendrait, évidemment… Alors, on s’adapte… Et je ne sais pas comment on se serait organisés, sans l’aide des Croates… »

Face à la caméra de son téléphone, Kravchenko nous demande alors une seconde, chuchote quelque chose à son épouse et reprend mi-amusé, mi-cynique : « Attendez, mon fils fait du bruit… Je bouge… Bouger, c’est la vie de tous les Ukrainiens depuis un an… »
 

Parmi les victimes du conflit armé, de nombreux rugbymen…

Quoi qu’ils disent, quoi qu’ils fassent, la guerre n’est donc jamais loin d’eux. S’en affranchir ? Mais comment, au juste ? « Beaucoup de nos rugbymen sont sur le front, enchaîne Kravchenko. Beaucoup de mes amis du RC Olymp et de la sélection ont perdu la vie dans cette putain de guerre : je pense ici à un ancien dirigeant, Aleksey Tsypko, tué à Boutcha (une petite ville située à l’est de Kiev où furent retrouvés des charniers au printemps dernier, N.D.L.R.) ; ou encore au docteur de la sélection, Aleksandr Maksymishin, lui aussi abattu par les soldats russes. » Ce n’est pas tout : Mykita Bobrov, un pratiquant d’une vingtaine d’années, fut assassiné avec toute sa famille à Kiev, lorsque les forces russes franchirent pour la première fois les murs de la capitale ; quant à l’ancien président de la NRFU (National Rugby Federation of Ukraine) Giorgi Dzanghirian, il avait à 83 ans repris les armes pour rejoindre le Donbass et dix mois plus tard, nul ne sait vraiment ce qu’il est devenu. À présent au bord des larmes, le manager de la sélection ukrainienne soupire, détourne les yeux de la caméra et lorsqu’il nous fait face à nouveau, son visage est déformé par la douleur : « Ces gens ont fait de notre vie un enfer. Pourquoi font-ils une telle merde, au juste ? Qu’ont-ils en tête ? Notre vie est un enfer et des milliers de mes compatriotes ont perdu la vie ces derniers mois. […] Je n’ai pas vraiment les mots pour vous expliquer tout ça mais les Européens devraient vraiment comprendre que ce qui est en train de se passer chez nous est grave : si l’Ukraine perd cette guerre, vous serez la prochaine cible… »

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Les commentaires (1)
FestuBapt Il y a 10 mois Le 07/06/2023 à 20:33

Merci pour cet article !