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Intouchable

Par Nicolas Zanardi
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Publié le Mis à jour
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Personnage à part dans le rugby mondial, Ali Williams, le champion du monde néo-zélandais du RCT, dissimule depuis la fin de son adolescence, sous la carapace du comique, une fragilité liée au terrible accident de son père devenu tétraplégique. Voici son histoire…

C’est drôle comme d’Ali Williams, le public ne connaît finalement pas grand-chose. Son titre de champion du monde en 2011 ou sa contribution au légendaire doublé toulonnais de la saison dernière, peut-être, voire la fracture de la mâchoire infligée par Sébastien Chabal en 2007. Les plus connaisseurs évoqueront, quant à eux, un personnage fantasque, capable d’arborer en conférence de presse en tenue de Spiderman, de faire boire à son équipe de la bière coupée au Viagra après une victoire en NPC, ou de se blesser à l’épaule en disputant un match de toucher nudiste aux heures fourbes du petit matin, une semaine avant le départ d’une tournée des All Blacks en Europe… Bref, un homme au tempérament excessif, chambreur et déconneur, à la joie de vivre contagieuse pour les uns, parfois pesante pour les autres. Un masque ? Pas exactement. Plutôt une manière d’être dont il faut, pour toucher les racines, creuser jusqu’à l’adolescence. Au soir du 7 mars 1998, très exactement. « Je n’avais pas encore 17 ans. Ce soir-là, mon père s’est rendu au Mount Smart Stadium, où Elton John donnait un concert. À l’époque, j’étais gardien de but au foot, et j’avais un match important le lendemain. Il est donc parti tout seul. Je le revois encore, au bout du jardin, me saluer de la main et me dire au revoir… »

Cette vision ? C’est la dernière qu’Ali Williams conserve de son père debout, sur ses deux jambes. La suite relèverait presque d’un mauvais film comique. Une marche pourrie qui se dérobe, dans les tribunes vertigineuse et délabrées de ce qui n’était pas encore le stade des Warriors d’Auckland. Et puis, la dégringolade… « Papa allait tomber sur une dame qui ne le voyait pas arriver. Pour l’éviter, il s’est contorsionné, et a atterri la nuque contre un poteau. » Nuit d’enfer. « Vers 1 heure du matin, ma mère a appelé au domicile du copain où je passais la soirée. Elle m’a dit que mon père avait eu un accident. Au début, on n’imaginait évidemment pas le pire. On pensait que tout irait bien et qu’il sortirait quelques jours plus tard. Puis son état a très vite empiré. Les vertèbres C5-C6 étaient touchées… » Et le verdict tombait, sans appel : Rodney Williams était devenu tétraplégique.

L’homme qui rit

Voilà comment change une vie. Comment une enfance ordinaire, une existence et une famille, s’en trouvent bouleversées à jamais. « Ma fin d’adolescence n’a pas été ordinaire… Pendant trois ans et demi, mon père a été traîné entre hôpitaux et centres de rééducation. Cela nous a terriblement soudés, parce que pendant ce temps-là, ma mère Helen travaillait. Elle a été extraordinaire, un vrai roc pour la famille. Avec mon frère Jonathan, qui a joué aux Blues et aux Chiefs et se trouve désormais ingénieur en Angleterre, on a travaillé pour aménager la maison en attendant le retour de mon père. C’est après son accident que je suis rentré au lycée. Comme j’étais externe et que son centre de rééducation se trouvait à dix minutes du King’s College, j’allais le voir tous les jours. » Le point de départ d’une relation unique. « Nous parlons beaucoup, de tout. Enfin de tout, sauf d’Elton John. C’est pas tellement que cela nous a laissé un mauvais souvenir, mais Candle in the Wind, tout ça… Ce n’est quand même pas terrible, non ? » Ali Williams rigole, l’œil espiègle. Avant de définitivement tomber le masque et se pencher en avant, comme pour mieux se laisser aller à la confidence. « Avec le temps, il est devenu davantage un ami qu’un père. Ensemble on rigole beaucoup de la vie, de tout… Sa blessure l’a beaucoup frustré, évidemment. Mais il a trouvé une autre voie pour son bonheur. Lorsque l’on perd ses aptitudes physiques, on compense par le mental. Et on a tout autant de choses à offrir, peut-être plus. » Des leçons de vie ? À d’autres… Comme tous ceux qui ont tutoyé un drame, Ali Williams récuse évidemment l’idée, bien conscient que la vie ne s’apprend pas, mais s’affronte… « Lorsque les choses arrivent, on ne peut pas les changer. Il faut s’y habituer et se les rendre agréables, malgré tout. Il est probable que l’accident de mon père a marqué mon caractère. Dans ces conditions, on apprend forcément à aimer la vie, à ne pas la prendre trop au sérieux, à privilégier le présent aux plans sur l’avenir… C’est certainement pour cela que j’use autant de la dérision, même si les gens ne le comprennent pas toujours. » Tous les clowns ont un fond de tristesse, paraît-il. Tout comme l’humour est la politesse du désespoir… Dans son fantastique Homme qui rit, le vieil Hugo ne s’y était pas trompé. « Faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre qu’un distributeur d’oubli ! »

Voilà comment, à leur manière, Rodney et Ali Williams ont appris à se réinventer une vie, un bonheur. Avec succès. « Oui, mon père est heureux. Il est venu en février à Toulon, avec toute ma famille. Il a pu suivre l’équipe durant toute la fin de saison, parfois à l’hôtel avec nous, parfois juste à côté… Il était fier de ce que nous avons fait, presque autant que lorsque nous avons été champions du monde. Et puis, cela lui a permis d’enrichir sa collection. Je lui donne chaque maillot que je porte lorsque je dispute une finale. Mais je crois que le plus fier de l’autre, c’est moi. Je ne sais pas si j’aurais eu autant de force que lui. Il est ma meilleure source d’inspiration. »

Source d’inspiration

La preuve ? On la retrouve, évidemment, dans la manière dont le grand Ali s’est remis de deux ruptures des tendons d’Achille pour retrouver les All Blacks, ou accepté la fatalité d’une opération de l’épaule qui l’a encore tenu éloigné des terrains quatre mois cette année. « Les blessures font partie du rugby comme elles font partie de la vie. Ce n’est pas agréable, mais ce n’est pas la fin du monde. La blessure est frustrante pour tout sportif, pas moins pour moi que pour un autre. Lorsque le cerveau envoie un message et que le corps n’a pas les moyens de l’accomplir, dans la tête, c’est dur. Il faut travailler ou trouver des solutions pour compenser. » Mais il va de soi que lorsque l’on mesure sa chance de pouvoir effectuer tous les gestes basiques du quotidien, on peut accepter bien des choses… « Quand je n’avais pas le moral, plutôt que de m’apitoyer, je pensais à mon père, bien sûr. Il a besoin d’aides personnelles 24 heures sur 24, avec lesquelles il a une grande complicité. Un jour, un type lui a soufflé une place de parking réservée qu’ils convoitaient. L’aide de mon père a dit que cela ne se passerait pas comme ça, est sorti de la voiture et a dégonflé le pneu arrière. Quand le type est revenu demander ce qui s’était passé, mon père a joué la comédie… Exactement comme dans Intouchables. »

« Mon père est fier de ce que j’ai fait. Mais je crois que le plus fier de l’autre, c’est moi. Je ne sais pas si j’aurais eu autant de force que lui. Il est ma meilleure source d’inspiration. »

Une histoire dans laquelle on imaginerait finalement assez bien le grand Ali prendre la place d’Omar Sy dans le rôle du déconneur de service… « Nous tenions beaucoup à regarder ce film ensemble, rigole le champion du monde. La première fois que nous l’avons vu, c’était dans la maison de mon père, à Auckland. C’est vrai que notre relation, c’est à peu près la même… Sauf que notre famille a beaucoup moins d’argent et que la réalité n’est pas toujours celle du cinéma… » Et de narrer, anecdotes à l’appui. « Je l’ai déjà emmené pêcher sur un bateau, conduire une voiture… Il commence à se faire vieux pour ce genre d’aventures, mais il a encore de la ressource ! Il n’y a pas si longtemps, je m’amusais à le bousculer. Lui tenait une raquette de tennis à la main, et m’a dit de faire attention parce qu’il pouvait m’en coller un coup. J’ai continué à le taquiner en lui disant qu’il ne pouvait rien me faire, mais je me suis trop approché… D’un coup de poignet, il m’a envoyé la raquette dans la figure et m’a explosé la lèvre. Ça l’a fait beaucoup rire, moi moins. ça ne faisait qu’amplifier le saignement… »

Mais il est des cicatrices qui sont des sourires. À la Gwynplaine, ou presque… Celle arborée par Ali Williams rappelle ainsi plus que jamais Hugo : il ne s’agit pas d’être ému, il s’agit de faire face. Faire face à l’incident, c’est le devoir de quiconque n’est pas imbécile. Un genre dont Ali Williams, l’homme qui rit, ne fait définitivement pas partie.

Un palmarès impressionnant

Né le : 30 avril 1981 à Auckland (Nouvelle-Zélande). Mensurations : 2,02 m, 118 kg. Poste : deuxième ligne. Clubs successifs : Auckland Blues (2002-2007 puis 2009-2013), Canterbury Crusaders (2008), Toulon (depuis 2013). Sélections nationales : 77, en équipe de Nouvelle-Zélande (2002-2012). 1er match en sélection : à Twickenham, le 9 novembre 2002, Angleterre - Nouvelle-Zélande (31-28). Points en sélection : 35 (7 essais). Palmarès : en équipe nationale, champion du monde (2011), vainqueur du Tri-Nations (2003, 2005, 2006, 2008) ; en club, champion d’Europe (2014), champion de France (2014), vainqueur du Super Rugby (2003, 2008).

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