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Pilier de Sarcelles

Par Arnaud Beurdeley
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Publié le Mis à jour
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Rabah Slimani, pilier du stade français, fut longtemps catalogué au rayon des grands espoirs du rugby français. Jusqu’en 2013-2014, quand il se révéla. Dès septembre 2013, il fut ainsi sélectionné avec les Bleus, considéré comme l’un de tous meilleurs piliers du Top 14. Retour sur un parcours atypique.

C’était le 6 septembre 2013. Un vendredi comme les autres, avant-veille d’un match contre l’ASM Clermont Auvergne. Ce matin-là, Jules Plisson et Hugo Bonneval interpellent Rabah Slimani dans les couloirs du stade Jean-Bouin : «Tu sais que la liste va tomber aujourd’hui ?» Le jeune pilier parisien, lui, tombe des nues. «Quelle liste ?» Il est comme ça, Slimani. Le rugby, il l’a découvert un peu par hasard. Sa première convocation avec le XV de France aussi. Pourtant, « cela faisait un moment qu’on suivait son évolution, a expliqué Yannick Bru, l’entraîneur des avants tricolores. Et on voit que les nouvelles directives en mêlée favorisent son petit gabarit. C’est le moment de l’évaluer compte tenu de son bon début de saison. » Retenu une première fois, il est à nouveau sélectionné pour le second rassemblement, du 28 au 30 octobre 2013. «Une juste récompense, assure Laurent Sempéré, son partenaire et son ami de la première ligne au Stade français. Quand j’ai appris qu’il avait été retenu pour le premier stage, j’étais aussi heureux que si cela avait été moi. Parce que pour travailler tous les jours avec lui, je sais ce qu’il vaut et ce qu’il est capable de faire. Par le passé, il me rendait parfois dingue à l’entraînement. Son éducation lui impose le respect des anciens. Du coup, il n’osait pas les bousculer, notamment en mêlée. Moi, je ne comprenais pas. Et je l’engueulais.» L’intéressé confirme : «C’est vrai. On m’a appris à respecter mes aînés. Mais j’ai compris que, pour jouer, non seulement il fallait travailler, mais il fallait aussi se montrer. Et Laurent m’a aidé à comprendre certaines choses.»

L’éducation, justement. Rabah Slimani, d’origine algérienne, a grandi à Sarcelles, cité des Rosiers. Une barre d’immeuble HLM qui flirte avec les couloirs aériens de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Évoquer son enfance sarcelloise n’est pas un sujet tabou. Slimani, qui revient régulièrement sur les terres de ses premiers pas, est fier de ses origines, de son parcours. La délinquance, certes, il l’a côtoyée. Il l’a vécue au quotidien. Lui n’a jamais franchi la ligne blanche. Ses parents ont toujours veillé. Et se sont attachés à développer les valeurs «travail et respect». «Mon père avait un surnom qui ne donnait pas envie de faire des conneries», sourit Rabah. « La main de Slim », eu égard à la carrure imposante du paternel et à ses paluches herculéennes, était connue dans le quartier… Surtout, le petit Slimani, déjà costaud, va vite se trouver un passe-temps.

À Sarcelles, le club de rugby local est fortement implanté dans les écoles primaires. «C’est comme ça que j’ai débuté le rugby lorsque j’étais en CE2, raconte-t-il. Et lorsque je suis entré au collège, l’éducateur qui s’occupait de nous m’a proposé de prendre une licence au club.» L’éducateur en question, Nicolas Mourocq, se souvient : «On essayait de le faire venir au club depuis un moment, avant d’y parvenir par l’intermédiaire de l’un de ses copains qui s’appelait Massinissa. C’est lui, en fait, qui a réussi à faire venir Rabah et son frère, Sheriff. Rabah était déjà costaud, il avait de belles attitudes, avançait toujours avec la balle. C’était un gamin très bien éduqué, poli, qui ne faisait pas de bruit.»

«Une belle nuque et un dos solide»

L’histoire est en cours. «Je dois avouer qu’au début, j’allais surtout au rugby pour les goûters », précise Slimani. Ses premiers pas sur les pelouses du centre sportif Nelson Mandela, il les effectue en troisième ligne. «En cadets, je jouais en sélection du Val-d’Oise, explique-t-il. Mais quand je me suis présenté aux présélections Ile-de-France, je n’ai pas été retenu. L’entraîneur aurait préféré que je joue pilier.» Qu’importe. Pour Slimani, le rugby n’est qu’un jeu. «Ma famille ne connaissait rien au rugby, dépeint-il. D’ailleurs, mes parents ne regardent toujours pas les matchs. Ils n’ont même pas Canal + ». C’est même pour faire plaisir à ses potes, Djibril Camara ou Alexandre Pelissié, croisés lors des présélections Ile-de-France, qu’il se rend aux journées de détection du Stade français.

Olivier Terryn est alors responsable du centre de formation du club parisien. Il se souvient : «C’était une vraie bonne surprise, assure-t-il. Nous l’avions trouvé costaud. Il avait déjà une belle nuque et un dos solide. Et malgré son poids, il était hyper dynamique dans le jeu.» Sauf que les cadets parisiens sont déjà pourvus au poste de pilier. «On l’a quand même retenu en raison de son profil intéressant, reprend Olivier Terryn. Et nous n’avons pas hésité à payer 1 500 euros pour son indemnité de formation.»

Premier transfert, premiers pas vers un monde jusqu’ici inconnu. La suite ? Tout s’enchaîne. En 2006, Slimani est champion de France cadets avec la bande à Benoît Guyot, aujourd’hui à Biarritz. En 2007, il entre au pôle France à Linas-Marcoussis. Et en 2008, il effectue ses premiers pas avec l’équipe professionnelle. «C’est un gamin qui a toujours été à l’écoute, souligne encore Olivier Terryn. Il n’est pas du genre à faire du bruit. Il travaillait mais avait besoin d’être suivi, d’être encadré. Finalement, ça a été facile pour lui d’arriver à jouer à haut niveau, le plus difficile a été de franchir le cap du très haut niveau. Non par manque de volonté ou de travail, mais c’est quelqu’un de très humble, de très discret. Et le risque était qu’il reste sur le côté.»

17 % de masse grasse

Chez Rabah Slimani, le verbe est rare. Il est de la race des taiseux. Avant le premier rassemblement du XV de France, il confessait l’appréhension de se trouver sous le feu des projecteurs. Longtemps baladé de droite à gauche de la mêlée et inversement, il est resté dans l’ombre de Roncero, Marconnet, puis Attoub. Sans rien dire. Comme d’habitude. Mais au fond de lui, l’envie de franchir un palier devient plus forte. Le retour au club du préparateur physique Alex Marco est une aubaine. Il gagne en vitesse ce qu’il perd en masse grasse. Lors du premier stage à Marcoussis, le DEXA rend son verdict : 17 % de masse grasse. Il ne commente pas, mais son visage s’éclaire. Ses efforts sont récompensés. Jamais il n’a été affûté ainsi. «Pour lui, c’est une belle récompense, assure Sempéré. Parce que pour Rabah, la nourriture, c’est sacré. » Et ce dernier d’ironiser : «Le seul moment où je ne peux pas le chambrer, c’est quand il mange. Il ne faut surtout pas déconner avec la nourriture.» À 24 ans, Rabah Slimani a probablement atteint l’âge de la maturité. Papa d’un petit Luis depuis l’été 2012, il attendait, avec son épouse, Justine, l’arrivée de jumelles l’an dernier, juste avant de vivre sa une première sélection face aux All Blacks. Et le futur international de conclure, plein d’humour : «Si j’y suis, au moins, mes parents pourront regarder le match.»

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