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Godignon : illustre méconnu

Par Jérémy Fadat
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    Godignon : illustre méconnu
Publié le Mis à jour
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Nicolas Godignon, avec seulement une dizaine de matchs dans l’élite comme joueur, fut incontestablement le manager le plus anonyme du Top 14. Lumière sur un parcours singulier, entre travail et obsession, d’un ambitieux qui a fait ses classes dans les divisions fédérales pendant près de dix ans avant d’en arriver là où il avait décidé d’exister.

Par Jérémy FADAT, envoyé spécial

jeremy.fadat@midi-olympique.fr

«Olivier, Olivier… » En octobre 2013, le manager grenoblois Fabrice Landreau invitait ainsi son homologue briviste sur la scène de La nuit du rugby. « Moi, c’est Nicolas », répondait Godignon. « Ça m’a fait marrer », se souvient-il. Un an plus tard, le 31 janvier dernier, Landreau ne s’est pas trompé au moment de saluer son adversaire, vainqueur pour son 101e match de championnat comme entraîneur de Brive. « Comment on me regarde ? Je ne me pose pas la question. Je vois que ça change avec le corps arbitral ou les instances. Les gens se renseignent sur qui je suis… » Car Nicolas Godignon, 39 ans, est un ovni dans le Top 14. Quand Laporte trimballe son double mandat de sélectionneur et Ibanez ses deux Coupes du monde comme capitaine, le CV de l’ex-flanker s’arrête à une poignée de matchs en première à Brive, au milieu des années 90. Godignon, manager atypique. D’illustre inconnu au soldat reconnu, il y a un immense pas. Qu’il s’évertue à franchir. « Comme on ne te connaît pas, on croit que t’es arrivé par hasard. Si tu passes de joueur pro à entraîneur pro, on connaît ton palmarès, on a une image publique de toi. Dans mon cas, il faut être un peu plus obstiné car on ne te voit pas, ou moins. L’image se bâtit avec les années mais c’est ce qui me manquait vis-à-vis des autres. Que ça les intrigue, ça m’amuse mais ne m’obsède pas. Je suis mon objectif, qui était de me trouver dans cette position. » À la tête d’une équipe professionnelle. Son obsession.

« J’ai pas les épaules ? Tu vas voir… »

Godignon, ou la chronique d’une carrière de joueur trop tôt brisée par les blessures. « J’avais le potentiel mais je n’étais peut-être pas assez prêt. » Ça ne l’a pas empêché de visiter les équipes de France jeunes. « J’ai raté le Mondial junior en 94 pour m’être pété le genou une semaine avant. Raphaël Jéchoux m’avait offert un de ses maillots. » L’ex-Parisien devenu agent. « Je l’ai retrouvé, rigole Godignon. Comme Lombard ou Macurdy, qui sont sur Canal, ou Magne avec qui j’étais en sport études. J’ai aussi côtoyé Collazo, Azam, Dourthe, Bastide. J’ai l’impression que ces gens, en me revoyant, se sont dit : « Putain mais t’étais où tout ce temps ? » » Porté disparu presque quinze ans. Loin de la lumière. Dans les promesses de l’ombre. La traversée de « son » désert l’a porté au bord des terrains amateurs. De Corrèze et du Lot. « Je me suis jeté dans l’entraînement en me disant que si je n’y étais pas arrivé comme joueur, je le pourrai comme coach. Même blessé, j’observais, nourrissais mon envie. » Jusqu’à prendre les rênes de Malemort, dans la banlieue de Brive, alors qu’il n’a pas trente ans. Parcours qui l’amène à Tulle, puis Gourdon. Le compte à rebours enclenché. Une idée assumée : l’élite au bout du pèlerinage. Une conviction folle, douchée le jour même de l’obtention de son deuxième degré d’entraîneur en 2005, au détour d’une retrouvaille impromptue avec une vieille connaissance alors coach en Top 14 : « Il y en a un, dont je tairai le nom, que je remercie chaque jour. Je viens de finir major de promo quand je le croise et lui dis pour le BE2. Il répond : « Ça sert à rien, c’est de la merde. » J’ajoute : « Ce serait bien pour moi de venir voir des entraînements car j’aimerais devenir entraîneur professionnel un jour. » Il balance : « Pas la peine, t’as pas les épaules. » Je ne l’ai pas vu depuis dix ans, je suis si content d’avoir ce BE2, de lui en parler… Là, je ne réponds rien mais bous intérieurement : « Pas les épaules ? Tu vas voir, je te montrerai. » Je me sens humilié sur le coup. Il ne se rendait pas compte des sacrifices que cela représentait. J’étais fier, je passais mon BE2, travaillais à côté, j’avais mes enfants, ma vie de famille, je gagnais 1 500 € par mois et payais mes diplômes. Moi, je n’ai pas fait ça en tant que sportif de haut niveau en six semaines, payé par le club… »

« Ugo Mola, il a su me voir »

Les doutes ont couvert chaque marche de son ascension. Faute de carrière, « Godi » doit sans cesse prouver sa légitimité. Il en a fait son moteur. « La rancune me nourrit. S’il le faut, je me bats mais je n’ai pas besoin de le jeter à la gueule des gens. Ma récompense est pour moi. Quand j’ai intégré le staff de Brive, même des proches m’ont dit : « Ça va être dur, les pros, c’est pas Gourdon. » Mais ils n’ont jamais connu Gourdon. Allez voir et vous me direz si c’est simple. » Bled de 4000 habitants, poussé en Fédérale 1 sous ses ordres, où il a puisé l’inspiration et appris le métier d’homme « atout faire ». « Si je dois effectuer un strap à la dernière minute, pas de problème. C’est dix fois plus facile d’entraîner Brive que Gourdon. » La raison pour laquelle, après avoir animé ses desseins, il y a touché ses limites : « Lors des dernières années, mes exigences ne correspondaient plus aux ressources des joueurs. Je demandais trop et m’y épuisais. J’ai dit : « Je vais partir, revoir mes exigences à la baisse avec les jeunes. » » C’était en 2009. Come-back à Brive auprès des Crabos. Premier jour du reste de sa vie… Le 29 mai 2011, il est champion de France. Sa carrière a déjà basculé. « J’ai senti une vraie reconnaissance. Ce titre a matérialisé mes ambitions. Au coup de sifflet, je suis heureux pour le sacre et car ça ouvre un truc… » L’encadrement professionnel. Deal avec Ugo Mola, alors entraîneur en chef. « C’est lui qui m’a ouvert les portes. Il a su regarder autre chose chez moi, me voir. Il me disait : « Ce serait bien que tu ailles en quart, ça donnerait de l’eau à mon moulin pour t’embaucher ». » Un mois plus tard, il est intronisé entraîneur de la défense du CABCL. Le Top 14. Retour vers le futur. Serment tenu.

« Je parle afrikaaner »

Derrière la fausse prétention, se cachent les complexes. « J’ai toujours eu l’impression que les mecs avec qui je travaille sont à des années-lumière de moi. Comme Ugo, avec qui je restais longtemps pour me nourrir de son expertise. » En mai 2012, quand Brive est relégué, c’est pourtant à lui qu’on réclame de décider. Le poste de numéro un. « Il y a une phrase du président : « Tu dois te préparer. » Je ne prends pas de suite la mesure mais ne réfléchis pas longtemps car c’est ce que je veux faire. En entrant dans le costume, j’ai le sentiment qu’il est grand. Ça donne le vertige mais je me dis que je peux y arriver, en m’appuyant sur les mecs autour. » Dont son adjoint Didier Casadeï qui appporte sa science de la conquête. « Me tromper ne me fait pas peur mais ça ne doit pas se reproduire. Maintenant, quand je parle de mêlée avec lui, je sais que je ne raconte plus de conneries. Quoi qu’il arrive, demain, je serai meilleur. » Demain, sa mission sera encore de maintenir Brive en Top 14. « C’est mon club de cœur, j’ai d’abord beaucoup d’ambition avec. »

Quand j’ai intégré le staff de Brive, même des proches m’ont dit : « Les pros, c’est pas Gourdon. » Mais allez voir Gourdon et vous me direz si c’est simple.

Puis, un jour, sa quête le conduira vers d’autres horizons. « Pourquoi pas l’étranger ? J’aimerais l’Afrique du Sud ou le Japon. Je parle quelques mots d’afrikaaner. » Et, avant, un but suprême : « J’ai envie de gagner le Brennus. » Un délire ? De là où il vient, les caprices sont permis. Foi de chemin de croix. « L’ambition n’est pas un gros mot. C’est la limite que tu donnes à ce que tu veux faire. Si je ne progresse pas, je suis en train de tomber. Et si je tombe, je devrai faire autre chose. » Lui veut voir grand. La sélection ? « Peut-être en 2023 ou 2027 mais j’ai plus de chances avec les Fidji », lâche-t-il ironiquement. Car c’est là-bas, à l’aéroport de Nandi en juin dernier, qu’il a mesuré sa notoriété naissante. « Un Wallisien me dit : « Vous êtes M. Godignon de Brive ? Je vous ai vu à la télé. » » De l’anonymat amateur à l’exposition professionnelle. L’illusion devenue quotidien. Le sien. Et lui d’en rire : « Attention, je ne suis pas encore un bon entraîneur, je ne me suis jamais fait virer. »

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