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Au revoir André-Moga

Par Jérôme Prévot
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Publié le Mis à jour
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L’Union Bordeaux-Bègles a joué son dernier match officiel dans son fief historique de Musard, stade André-Moga. Un petit terrain caché au cœur de l’agglomération, porteur d’une culture si particulière. Il n’est pas aux normes du professionnalisme mais il laisse tant de souvenirs.

Ne cherchons pas à tortiller, c’est une page qui va se tourner samedi prochain. « Ce stade incarnait quelque chose de très particulier : une forme d’appartenance populaire, de solidarité et d’humanisme, tout un système de valeurs sociales et éducatives, » explique Jean Trillo qui y a joué de 1963 à 1974. Le Stade André-Moga, a priori n’accueillera plus de matches de rugby de haut niveau. La fin de l’Histoire s’est subitement accélérée à partir du moment où Laurent Marti et les Béglais ont compris que le Stade Chaban-Delmas (34 000 places) pouvait faire le plein avec le rugby. Le vieux stade banlieusard (9 500 places au ras du terrain) ne faisait plus le poids pour ce rugby de gros budgets. Mais personne ne pourra effacer la mémoire des faits d’armes du passé, comme la célèbre «tortue» qui fit 80 mètres de l’équipe championne de France 1991 ou l’essai du Tonguien Lilo en Top 14 vingt ans plus tard après une séquence longue de 4 minutes et 44 secondes, trente et un temps de jeu et 58 passes. Des décennies plus tôt, les mordus y ont encouragé Jacques Chaban-Delmas, trois-quarts aile, jeune maire de Bordeaux et futur Premier ministre, ou bien un centre nommé Robert Geneste, futur grand professeur de médecine. Ils jouaient avec la fratrie Moga : Alphonse, André et Alban, trois avants dont l’influence dépassait déjà le strict cadre du terrain. Evidemment, quand ils jouaient, ce lieu mythique ne portait pas encore leur nom. à l’époque, on disait « Musard » du nom du plus ancien propriétaire connu du terrain, Jean-Baptiste Muzard, capitaine des armées de la Révolution. Mais l’adresse officielle parlait d’un stade « Delphin-Loche » du nom du fondateur du club en 1907, un royaliste à chapeau melon. Il avait sous loué un immense pré à vaches au fermier-laitier Lassalle pour quinze francs par mois. Il se situait au sud de Bordeaux, à l’opposé de celui du Stade bordelais, le club rival des quartiers huppés.

Au centre d’un labyrinthe

Mais ce stade n’était pas ouvert aux quatre-vents. Il fut rapidement cerné par un entrelacs de ruelles et d’échoppes qui le faisait ressemblait au centre d’un curieux labyrinthe. Il fit de cet endroit un repère d’initiés plus qu’une arène ouverte au grand public. Ce stade n’était pas celui d’un département, ni même d’une agglomération, mais d’un quartier de modestes pavillons, de granges ou de jardins où l’on faisait sécher de la morue. Manager du titre de 1991, Auguste Ayphassorho a joué dix ans dans cet écrin prolétarien (1957-1967) : «Bègles, c’était une ville communiste, un public très populaire avec des cheminots et des morutiers. Venaient s’y ajouter des gens de l’extérieur qui aimaient le club, bien sûr, mais il y avait avant tout ce noyau béglais qui existe encore d’ailleurs.» La géographie particulière faisait à la fois son charme et sa limite. Alban Moga, fils d’André et président actuel de l’association du CABBG confirme : «Oui, venir à Bègles, ça se méritait. Il fallait faire un effort : pas de parking, des transports en commun limités… C’était un club de village au milieu d’une grande ville. Les bourgeois venaient s’encanailler dans une banlieue populaire.» Ce rendez-vous avait son académie, une sorte de kop des anciens au ras des talenquères, fer de lance d’un public assez râleur où la mère d’un pilier jouait du parapluie comme d’une rapière. «Oui, c’était le village d’Astérix, on s’engueulait parfois mais on était une grande famille… L’académie n’était rien d’autre que le fruit du rôle social que tenait le club qui trouvait des situations à ses joueurs.»

Alban Moga et Auguste Ayphassorho évoquent avec la même chaleur la buvette de Jacky Jameau, une sorte de guinguette améliorée qui incarnait le cœur du rugby béglais, même quand il n’y avait pas de match. Aujourd’hui, elle a été changée en vrai restaurant. L’horizon était strié par la mythique rangée des peupliers, hélas sacrifiés pour faire place à une tribune provisoire. L’un d’entre eux restait intimement lié à la mémoire de Patrick Espagnet, chroniqueur plein de verve. «Quand je jouais sur le bourbier du terrain annexe, ils représentaient le seul point de verdure dans un environnement assez austère» reprend Alban Moga qui ne nie pas que le sens de l’Histoire poussait au déménagement vers le stade Chaban-Delmas. Du stade qui porte le nom de son père, il garde deux souvenirs magiques : «Le huitième retour de 1991 contre Toulon. C’était avant la loi Furiani, on avait accueilli onze mille personnes. Et puis, en 1995, notre premier match de Coupe d’Europe contre Cardiff. Ce jour-là, le rugby avait fait plus de monde que les Girondins de Zidane qui jouaient en même temps un match de Coupe de l’UEFA.»

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