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Didier Sanchez, l’art en mêlée

Par Jacques Verdier
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    Didier Sanchez, l’art en mêlée
Publié le Mis à jour
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Didier Sanchez Ce fou de mêlée, passionné et passionnant, qui vient de prendre en charge la mêlée de Montpellier après avoir façonné, pendant des années, celle de Perpignan, est aussi un fou de peinture et de sculpture. Rencontre avec un personnage résolument atypique.

Il est né à Lavelanet, en Ariège, où l’on sait ce que c’est que les durs à cuire, les mêlées qui avancent, les adversaires qui reculent. «J’ai commencé à jouer en première à 17 ans, avec Thierry Merlos. Troisième ligne d’abord puis talonneur quand Jean-Louis Vedel a pris sa retraite. Et là, j’en ai chié, je l’avoue. La mêlée à Lavelanet, c’est un culte. Le club a toujours été une terre de piliers. Des Taffine, père et fils, à Aldo Quaglio bien sûr, le pilier du XV de France, en passant par les Cid, Jean, Gay, Salettes, qui ont œuvré dans ce petit coin d’Ariège et m’ont beaucoup appris», où l’enfant Sanchez côtoyait, entre deux séances de joug, deux oppositions de mêlée, Mady de La Giraudière, sa proche voisine, artiste peintre, qui l’initia aux beautés de l’art. «J’ai toujours aimé l’art. L’art premier, l’art africain, l’art contemporain, la sculpture, la peinture… C’est une passion aussi intense que celle que j’éprouve depuis toujours pour le rugby.»

Et la mêlée en particulier. La France ne manque pas de spécialistes en la matière mais peu de techniciens savent en parler aussi bien, aussi longtemps, aussi passionnément que Didier Sanchez, qui est en train de façonner de mains de maître celle de Montpellier aujourd’hui, comme il avait entrepris de ciseler celle de l’Usap naguère. Et pour pas un rond, s’il vous plaît ! «Je n’ai jamais été payé, c’est ma liberté.»

«Tout se joue à la fraction de seconde»

L’ami de Jean-Pierre Garuet, «mon frère», dit-il, le maître à penser de Nicolas Mas, est intarissable sur le sujet. «La mêlée, si tu veux, c’est l’intelligence de ce jeu. Tous les gens croient que c’est une affaire de bourrins, un truc de force pure quand il s’agit, au contraire, d’un acte collectif et individuel extrêmement pensé, réfléchi, qui n’est pas seulement l’apanage des gros, des puissants. Une mêlée réputée légère en poids peut très bien en renverser une plus puissante si elle s’en donne les moyens. Tout compte. L’attitude à l’impact, les positions des piliers et du talonneur qui ne sont jamais les mêmes en fonction de l’opposition, de la force et des faiblesses des partenaires. Jusqu’au mouvement des épaules des deuxièmes ligne qui doivent tenir compte de tout. Des gros culs, des petits culs qui sont devant eux, qui doivent épouser littéralement la position de leur pilier. Comme les attitudes des avants ailes qui sont souvent, si on n’y prend garde, une gêne pour les piliers et doivent se fondre dans le conglomérat. Comme celle du 8, qui a un rôle de stabilisateur et doit éviter une poussée trop rapide, laquelle se répercuterait sur celle des deuxième ligne qui, à leur tour, perturberaient celle des piliers.»

Mais le secret de Didier, bien qu’il en réfute le terme - «il n’y a pas de secrets, il n’y a que du travail» - se tient dans la capacité des piliers à surprendre leurs adversaires, à s’appuyer, comme au judo, à la lutte, sur les forces adverses, pour mieux les déstabiliser. «La vidéo pour ça, c’est génial ! Si tu as l’œil, comme un aficionado décèle le taureau qui fera l’affaire sur des dizaines d’autres, tu perçois vite les habitudes des piliers, leurs forces mais aussi leurs fragilités de manière à pouvoir anticiper une opposition intéressante. Tout se joue sur la surprise. Tout se joue à la fraction de seconde. Un appui, un mouvement de bras ou d’épaules et l’adversaire peut être déstabilisé. C’est cela qu’il faut étudier, montrer. Parce qu’il faut montrer les choses. Elles ne peuvent pas rester théoriques.» à Montpellier, la première fois qu’il se pencha au chevet du pack, la séance dura trois heures et demie… «Si je dois intervenir sur une demi-heure, je préfère ne pas venir. Il faut pousser, s’affronter mais il faut aussi expliquer, se reprendre, changer les positions. C’est souvent une affaire de centimètres, une position du dos, de bras, mais c’est essentiel. Et donc oui, les séances peuvent aller, en moyenne, d’une à deux heures…»

Les gros, en rugby, n’osent pas dire qu’ils peuvent aimer l’art ou la poésie. Ils imaginent à tort sans doute que ça passe mal dans le milieu.»

Pour lors, je ne connais pas un pilier qui soit passé entre ses mains qui n’accepte de lui rendre les plus beaux hommages. Et quand on évoque avec lui l’histoire de la mêlée, il réfute pour partie les bienfaits de la bajadita argentine, dans la mesure où celle-ci ne fait pas partie de notre culture et recèle à son goût «trop de contresens». Il ne lui reconnaît qu’un mérite : la poussée axiale ! «Le fameux tube de dentifrice», dont parlait jadis «Topo» Rodriguez, figurant par-là que tout doit converger vers le talonneur. Comme il se reconnaît dans cette assertion de Vincent Moscato, estimant que les piliers de petite taille restent encore avantagés par opposition aux grands, quoi qu’en dise la mode. « La seule chose, prévient-il, c’est qu’ils doivent imposer leur hauteur. S’ils se mettent au niveau des grands, ils se mettent forcément en danger.»

Craint-il, comme beaucoup aujourd’hui, que le règlement toujours plus vétilleux en la matière, ne finisse par nuire considérablement à cet acte fondateur du jeu de rugby ? «Il faut, dit-il, que les arbitres acceptent de laisser un peu de place à l’impact. Pour la sécurité des joueurs d’abord. Pour éviter les sempiternelles mêlées écroulées, pour éviter surtout que les mêlées ne durent trois heures.» Mais il faut l’entendre parler de la position des pieds, comme l’autre jour en compagnie de Jean-Pierre Garuet, «pied intérieur bien à plat au sol, d’où monte toute la force et surtout pas sur la pointe des pieds», pour mesurer à quel point l’exercice à ses yeux relève de la science, de la physique, du calcul obstiné. C’est si vrai, qu’en l’écoutant parler, comme un Fouroux ou un Ballatore de l’époque, on n’aurait qu’une envie : se mettre immédiatement en mêlée pour mieux comprendre, mieux percevoir l’essence même des choses.

Picasso, Soutine, Klint, Marcelo

Mais au Panthéon de Didier Sanchez, si la mêlée est impérieuse, une irrépressible curiosité le pousse éternellement vers l’art et tout particulièrement vers ces peintres auxquels il voue une admiration sans borne : Picasso, Soutine, Klint, Marcelo ! «Le sommet, le génie, pour moi, c’est Picasso. Je sais que ce n’est guère original, aujourd’hui, de dire ça mais c’est le maître absolu. J’ai eu la chance de rencontrer sa deuxième femme, Françoise Gilot. Elle avait fréquenté Cocteau, Matisse et avait accepté de parler avec un fond de casserole comme moi… Je lui en suis très reconnaissant.» Un « fond de casserole » ! Comme il y va Didier ! C’est que j’ai oublié de préciser que cet être formidable, si proche des autres, si empathique, si soucieux d’aider en toutes circonstances, si souriant, est l’humilité même, ce signe avant-coureur de l’intelligence. C’est si vrai qu’il s’est évidemment essayé à la peinture, qu’il a abandonné au bout de deux ans. Non que son travail lui ait vraiment déplu, non que l’activité ne lui ait pas procuré bien des plaisirs mais parce qu’il jugeait le fossé qui le séparait des artistes qu’il vénère si profond qu’un vertige le saisissait et que toute comparaison le plongeait dans le désarroi. Reste que sa maison est tapissée de tableaux, de sculptures, par où s’exprime une curiosité sans cesse en éveil, des goûts multiples, une émotion à fleur de peau. Les grands y côtoient les plus humbles. «Il faudra, me dit-il, que je te fasse connaître, Miguel Marcelo. Celui-là, je l’adore et figure-toi que c’est fou de rugby.»

Chemin faisant, il ne cesse de célébrer cette terre catalane où depuis des années il a posé ses valises, où le fauvisme et le cubisme, souligne-t-il, a vu le jour. Rappelle en toute modestie qu’il a permis à quelques jeunes peintres de s’exposer dans différentes galeries, du temps ou Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Culture, lui ouvrait, via son ami « Garuche », quelques portes. À bon droit, il s’enorgueillit d’avoir guidé vers la peinture des hommes aussi différents que Jean-Pierre Garuet justement, Jacques Gratton, Dominique Erbani. «Jean-Pierre, aujourd’hui, possède plus de deux cents tableaux. Les gros, en rugby, n’osent pas dire qu’ils peuvent aimer l’art ou la poésie. Ils imaginent à tort sans doute que ça passe mal dans le milieu. Mais regardons-y de plus près : Philippe Gallart (ancien pilier international, N.D.L.R.) est un fou de musique, Cédric Soulettes (ancien pilier international lui aussi) peint, Jean-Pierre Rives sculpte. Les « bourriques » de ce jeu sont souvent des types extraordinaires.»

Et Didier Sanchez en est, parole, l’un des plus beaux fleurons.

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