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Toulon, cette si longue étreinte

Par Emmanuel Massicard
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    Toulon, cette si longue étreinte
Publié le Mis à jour
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Les « galactiques » toulonnais ont décroché leur troisième étoile européenne de rang pour entrer dans la légende. C’est à force de défis, dans un rugby direct, qu’ils ont trouvé la solution, parvenant à donner ses lettres de noblesses à une finale privée du soutien populaire. L’histoire est toujours en marche…

A tout dire, il y avait quelque chose d’étrange, samedi, à déambuler dans les entrailles grisâtres de Twickenham, cet immense vaisseau de béton aux allées presque vides. Comme si nous étions conviés, en guise de banquet, à une fête des voisins qui laisserait des places vides par dizaines pour témoigner du désintérêt, de l’éloignement et autant d’indifférences - ou peut-être de différences parfaitement assumées. Notre sommet, du moins celui des clubs français, n’a pas fait « bouger » les Anglais, sans doute vexés de ne pas en être. Tels les cocus d’une histoire qui s’était en préambule écrite sous les coups de boutoir de leurs principaux dirigeants de clubs, Bruce Craig (président de Bath) en tête.

Impossible et vrai : le « Swing low, sweet chariot » a résonné dans le temple, couvrant les chants clermontois et les encouragements toulonnais. Shocking ? Il n’y a pas mort d’homme et, à ce que l’on sache, aucun des acteurs n’a été accueilli par les crachats et les insultes qui avaient accompagné les Bleus de Rives en 1977. Et puis, comment nous, Français, pourrions réprimer un tel élan frondeur ! Comment y voir autre chose que le clin d’œil un brin provoc’ d’un rugby anglais qui a depuis longtemps pris ses aises dans notre Top 14, faisant résonner le « God save the Queen » en pleine remise du Bouclier de Brennus l’an dernier au bon plaisir de sir Wilkinson ; la RFU confiant à nos clubs le soin d’assurer la carrière de ses meilleurs joueurs.

L’Angleterre continue pourtant de guigner l’Europe. Tant pis pour elle et tant mieux pour nous, même si cette étrange atmosphère d’un doucereux samedi de mai a certainement privé l’affiche du cadre enchanteur qu’elle méritait véritablement, lui imposant trop longtemps une ambiance feutrée, presque gênée… comme s’il ne fallait pas réveiller les voisins endormis de la « so chic » banlieue ouest. Le message est finalement assez clair, s’ils veulent faire oublier la vieille Europe (l’ancienne ERC), les dirigeants de l’EPCR ne pourront s’éviter une remise en cause, des choix assumés et des idées neuves. Que dirons-nous si Marseille (théâtre de la finale 2016) sonnait lui aussi creux ?

Allez, ne boudons pas notre plaisir. Sur le pré londonien, ce sont bien nos clubs qui ont exporté le savoir-faire du Top 14. Pas mal de mêlées écroulées, un combat acharné entrecoupé de temps d’arrêts dont nous avons le secret. Sans oublier quelques traits de génie, qui laissent à penser que le french flair a gagné son universalité : Giteau, Ali Williams, Hernandez, Abendanon ou enfin Drew Mitchell ont ainsi prouvé que l’inspiration n’était pas l’apanage du rugby hexagonal. Ces cinq-là ont éclairé la finale d’un trait commun, celui du génie. Les kilos ne font pas tout : Williams comme Hernandez, avec leurs petits pas de décalage pour épouser l’espace, franchir, gagner quelques centimètres avant de donner d’une main assurée, ont sans cesse mis leurs coéquipiers dans l’avancée. Qu’importe s’ils n’ont plus autant de vitesse qu’à leurs vingt ans. C’était suffisant pour que Bastareaud, lui, s’exprime en force (40e+1) en réponse à la vitesse farouche de Fofana (25e). Assez, enfin, pour qu’à ces deux essais marqués par des internationaux français, Abendanon (62e) et Mitchell (70e) viennent ajouter une touche internationale après leur course folle, géniale, imprévisible et décisive. Tous deux mystifiant des défenses jusqu’ici tirées à quatre épingles, ridiculisant chacun jusqu’à six défenseurs pour donner de l’allure à cette finale historique.

Au feu du combat

Mais, ne nous y trompons. Si le talent venu de l’arrière a fait la différence, le troisième succès toulonnais s’est principalement écrit devant, au feu du combat. Direct, frontal et forcément brutal. Étouffant. Comme en 2013 face à Clermont et 2014, devant les Saracens. S’il lui prend l’idée de remplacer le gorille par un golgoth, Boudjellal pourra encore citer Georges Brassens en même temps qu’il construira des statues de bronze aux Masoe, Botha, Armitage, Smith et autres Hayman, eux qui ont « marqué » leurs adversaires clermontois : leur étreinte est bien supérieure à celle des hommes ! Fritz Lee et Cudmore, touchés les premiers, ne s’en remettront quasiment jamais. Comme si Toulon, tel un boulet de canon lancé dans un jeu de quilles, avait ciblé les puissants d’en face. Décidé à les faire tomber les premiers. Ainsi privée de ses hommes forts, l’ASMCA a longtemps cherché la solution, avant de trouver son second souffle avec l’apport du banc. De la vitesse et enfin du jeu d’avants, avec quelques mauls productifs. Enfin, mais trop tard. Aubin Hueber, ancien cornac des « costauds » de la Rade modèle 1992, pose un regard émerveillé. « Ce qu’ils ont fait là est purement exceptionnel. Je pensais que les Clermontois allaient mettre du volume, et plus encore, pour nous faire exploser mais finalement, c’est Toulon qui a été plus « mariole ». Peut-être pas plus costaud physiquement mais plus fort et bien plus « mariole », oui. Parce que les Toulonnais ont ciblé les duels. Surtout, ils les ont gagnés. Habana face à Nalaga, Mitchell face à Davies, Giteau contre Lopez, Armitage devant Abendanon, Smith et Cudmore sans oublier Masoe avec Kayser : ils les ont bien trouvés. C’est comme ça qu’ils ont « tué » le match. J’y vois la marque des grandes équipes. » Sentiments confirmés par Juan Martin Fernandez Lobbe, triple champion d’Europe. « Nous savions qu’ils montaient très bien sur les premiers temps de jeu et qu’il ne fallait pas trop écarter les ballons. En les défiant ainsi au près, dans du jeu direct, nous avons trouvé l’avancée. C’est la clé. Ensuite, comme les années précédentes, la dimension physique a fait la différence. En finale, chacun d’entre nous sait très bien qu’il faut hausser d’au moins 20 % son propre niveau d’exigence et d’intensité physique. Nous y sommes parvenus tout au long de la rencontre, jusqu’au bout. Quelle joie et quelle fierté ! »

Les fantômes de Twickenham

Toulon pénètre dans l’histoire après cette longue étreinte, cloîtrant Clermont dans l’attente et la déception. Et « en colère » selon Franck Azéma dont les traits tirés trahissaient l’humeur. Parce que ses joueurs, malgré les leçons du passé, ont parfois perdu le contrôle de la situation à l’image de Noa Nakaitaci offrant trois points à Leigh Halfpenny pour avoir jeté le ballon en touche. À l’image de ces deux engagements perdus après les essais de Fofana et Abendanon, comme autant d’occasions de relancer les Toulonnais. À l’image enfin de cet ultime ballon vendangé par Lopez, à la dernière seconde de la partie. Une diagonale de folie comme un geste désespéré alors que l’ASMCA était sorti de sa léthargie et qu’elle dominait son adversaire. Bref, Camille Lopez n’a pas encore fait oublier Brock James, forfait de dernière minute à cause d’une gêne musculaire et probablement aussi d’un syndrome post-traumatique appelé Delon Armitage. Twickenham a aussi ses fantômes.

Au fait, connaissez-vous l’anagramme du mot étreinte ? Henry de Montherlant nous renvoie sans détour à l’éternité. Voilà qui tombe bien, les artistes toulonnais collectionnent les étoiles et tutoient la gloire éternelle. Avec, plus que jamais, les Clermontois aux trousses.

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