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1991 : la crise majuscule

Par Jérôme Prévot
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    1991 : la crise majuscule
Publié le Mis à jour
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En 1990-1991, le rugby français fut secoué par une énorme crise. Elle marqua la fin de l’ère Ferrasse alors que Pierre Fabre, porté par le vent de la modernité, se faisait piéger en beauté.

Les plus jeunes auront sans doute du mal à comprendre l’importance de cet événement. Mais les années 1990 et 1991 furent le théâtre d’une crise majuscule du rugby français. Elle a secoué la FFR qui était alors maîtresse de tous les aspects du jeu. Le rugby était encore amateur, la Ligue n’existait pas, on sortait de vingt-cinq ans de pouvoir d’Albert Ferrasse, véritable parrain du rugby français, menacé par son fils spirituel, l’inoubliable Jacques Fouroux. Pendant des mois et des mois, la presse fit vire tous les soubresauts comme un véritable feuilleton qui se termina en décembre 1991 avec l’élection surprise d’un certain Bernard Lapasset, haut gradé de l’administration des douanes. Querelle de cours de récréation, tragédie grecque, bataille d’ego, jalousie pure et simple, coups tordus en pagaille. Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cet épisode un vrai régal pour ceux qui aiment les luttes de pouvoir (même si beaucoup d’entre eux juraient, la main sur le cœur que ça les dégoûte, avant de se plonger dans les articles qui regorgeaient d’informations croustillantes).

Albert Ferrasse et ses proches étaient au pouvoir (Batigne, Basquet, Moga, Pébeyre…) depuis 1966 après un coup d’état magistral qui avait balayé le pouvoir précédent. En fait de 1966 à 1968, c’est Marcel Batigne qui avait occupé la fonction de président avant d’être « limogé » par ses alliés Albert Ferrasse et Guy Basquet, son âme damnée. Ce duo terrible eut tôt fait de verrouiller tout le système et de faire de la FFR une formidable machine politique. Albert Ferrasse assumait son pouvoir impérial sans problème, il s’appuyait sur les présidents de comité, les porteurs de voix des petits clubs qui réélisaient sans coup férir le pouvoir en place. Albert Ferrasse contrôlait tout, la composition de l’équipe de France, les sanctions disciplinaires, les mutations, les formules du championnat de haut en bas de la pyramide. Il était le maître du rugby français et son pouvoir semblait éternel. Mais l’âge jouait contre lui, alors il avait plus ou moins désigné un successeur, de 26 ans son cadet : un certain Jacques Fouroux, ancien capitaine puis entraîneur du XV de France. Ferrasse le considérait comme le fils qu’il n’avait jamais eu. Il était impétueux, provocateur, plein de verve. Il avait un boulevard tout tracé devant lui et puis, tout d’un coup, pris d’impatience, il se leva pour tuer le père. Il réussit à mettre son mentor à minorité au sein du Comité Directeur, ce qui n’était jamais arrivé.

Ce fut le début de l’engrenage. La France du rugby, stupéfaite, vit le pouvoir se fissurer peu à peu, ce qui entrait en résonance avec le contexte politique de l’époque et la chute des régimes communistes à l’est de l’Europe. On les croyait aussi éternels. Si l’on se limite au rugby, cette crise interne arrivait en parallèle d’un changement profond, la montée en puissance des grands clubs, ou plutôt des clubs des grandes villes. Le Stade Toulousain en était bien sûr le symbole. Il avait été trois fois champion de France (85, 86, 89) et tentait même de créer une simili Coupe d’Europe sans l’aval de la FFR, ce qui énervait Ferrasse qui n’en finissait pas de leur mettre des bâtons dans les roues. Mais on sentait bien que le vent de l’Histoire soufflait dans les voiles toulousaines.

Fabre profite d’une querelle père-fils

Le président toulousain, l’universitaire Jean Fabre décida de profiter de la guerre interne à la FFR pour présenter sa propre liste au nom des idées modernistes, ce qui acheva de brouiller la situation. Ferasse, Fabre, Fouroux, la scène virait au triolisme, d’autant plus que Fabre et Ferrasse, ennemis d’hier décidaient de s’allier et de fusionner leurs listes. Un coup de théâtre ahurissant, difficile de ne pas y voir un dernier baroud d’honneur du vieux césar, prêt à tout pour barrer la route à son brutus. Le mousquetaire Fouroux s’avoua vaincu et jeta l’éponge pour laisser ses idées à Robert Paparemborde, son ancien coéquipier dans la fameuse équipe du Grand Chelem 1977. Que de polémiques et de déclarations fougueuses dans ces premiers mois de 1991 jusqu’aux élections fédérales du printemps, gagnées par l’improbable ticket Ferrasse-Fabre sur les <idées de Fabre. Cette liste a la majorité au Comité Directeur avec deux ailes distinctes cependant, les Fabristes et les Ferrassiens, avec la tendance Paparemborde en guise d’opposition.

Un ultime coup de Jarnac

Lors du congrès de Blois qui suivit on voit même « Tonton Albert » adouber son nouveau successeur. Magnanime, Jean Fabre accepte de laisser Albert Ferrasse à la présidence de la FFR pendant six mois, le temps de vivre la Coupe du Monde avec cette fonction. Dans la foulée, il était prévu que le vénérable Albert cédat sa place à Fabre, un homme intelligent et visionnaire mais trop grand seigneur. Car le 14 décembre 1991, lors du Comité Directeur décisif qui aurait dû consacrer la prise de pouvoir de Jean Fabre, nouveau magistral coup de Jarnac. Le vote à bulletins secrets envoie un inconnu du grand public à la présidence, Bernard Lapasset, 41 ans, jusque-là président du Comité d’Ile de France, fils d’un ami proche d’Albert Ferrasse. Il obtient 21 voix contre dix pour Jean Fabre. Avant le vote, il n’avait même pas fait acte de candidature, une subtile alliance secrète des Ferrassiens et des Paparembordistes s’est nouée dans le dos de Jean Fabre pour lui barrer la route au dernier moment. Ses idées trop modernes se sont heurtées au mur des conservatismes. Toutefois lors d’un entretien au journal la Montagne en septembre, Albert Ferrasse avait tenu des propos assez ambigus. « Officiellement, c’est Jean Fabre, j’ai pris des dispositions avec lui. Mais, est ce que je convaincrai les trente-cinq membres du comité directeur ? Vous savez la vie est difficile. »

Les Bleus en ont souffert

La crise de 1991 a eu une incidence directe sur la préparation du XV de France en partance pour le Mondial. À cause de la vacance du pouvoir, les Bleus entraînés par Jean Trillo et Daniel Dubroca ont l’impression d’être livrés à eux-mêmes sans interlocuteur digne de ce nom à la FFR. On leur a promis 150 000 francs (soit 32 800 €) pour toute la durée du Mondial mais on tarde à confirmer cette promesse. Les négociations menées par le capitaine Serge Blanco traînent en longueur, on parle même d’une menace de grève (elles dureront jusqu’au quart de finale perdu face aux Anglais. Au final, les Bleus obtiendront 50 000 francs, soit 10 900 €). Pour les stages, rien n’est vraiment prévu non plus. C’est Serge Kampf qui fera un chèque pour que la préparation soit décente et que les difficultés soient aplanies. Les Bleus partent effectuer une mini-tournée aux États-Unis.

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