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Pat Lam : «Pour les Samoa, tout a changé en 1991»

Par Simon Valzer
  • Pat Lam : «Pour les Samoa, tout a changé en 1991»
    Pat Lam : «Pour les Samoa, tout a changé en 1991»
Publié le Mis à jour
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Joueur et capitaine emblématique des Samoa, l’ancien troisième ligne centre Pat Lam coule aujourd’hui des jours heureux en Irlande, où il dirige la province du Connacht. Pour Midi Olympique, il accepté d’évoquer ses souvenirs amassés pendant quatre Mondiaux, et surtout l’année 1991 où les Samoans, vainqueurs du Pays de Galles, changèrent subitement de statut...

Vous avez connu trois Coupes du Monde en tant que joueur (1991, 1995, 1999), et un Mondial au sein du staff de l’Ecosse (2003). Avec votre expérience, quel est le facteur principal de réussite dans cette épreuve ?

La Coupe du Monde est un moment si spécial... Pour les joueurs, c’est la compétition ultime. A mon sens, le principal facteur de réussite réside dans la préparation. C’est d’autant plus vrai pour une formation comme les Samoa, dont les joueurs sont disséminés à travers le monde. Pour nous, Samoans, une Coupe du Monde est un moment privilégié, où nous avons le temps de nous retrouver tous ensemble et de vivre comme une grande famille pendant deux mois. Et puis toute la planète vous regarde : c’est tellement particulier... Là, on sort de l’Hémisphère Sud, et on monte sur la grande scène.

En France, nous avons l’habitude de consacrer de longues semaines au «team building» pour renforcer les liens entre les joueurs en vue de la compétition. Est-ce identique à Samoa ?

Pas exactement, car notre culture est différente de la vôtre. A Samoa, la famille c’est sacré : tout le monde parle de sa généalogie, de ses liens avec d’autres personnes, et comme nous sommes un petit pays chacun trouve rapidement des liens de parenté ou des proches en commun. Cela facilite beaucoup les choses. Vous seriez surpris si vous veniez à nos camps d’entraînement : on passe beaucoup de temps à chanter, à rire et à danser ! Et, sur le terrain, nous sommes une famille. Après, il faut aussi être réaliste : le plus dur, pour des équipes comme Samoa, est d’homogénéiser la préparation de ses joueurs car l’un joue en Angleterre, l’autre à Toulouse, l’autre pour les Blues ou les Crusaders... C’est difficile de mettre tout le monde sur la même page.

Quel fut votre meilleur souvenir en tant que joueur ?

Sans hésiter, 1991. Cette année là, nous battons le pays de Galles 16-13 à Cardiff. Je m’en souviens comme si c’était hier . C’était aussi ma première sélection (titulaire au poste de troisième ligne centre, N.D.L.R.). Ce match a radicalement changé le regard que le monde portait sur les Samoa. Après cette Coupe du Monde, nous avons reçu des invitations des équipes du monde entier : Nouvelle-Zélande, Angleterre, Australie, Ecosse... Cette année là, nous avons mis notre pays sur la carte du rugby mondial.

Racontez-nous les coulisses de cette victoire historique contre le pays de Galles.

Je me souviens que la semaine avait été longue, car nous avions été la dernière équipe à jouer. Nous avions passé la semaine à regarder les matchs, les autres jouer et nous avons accumulé beaucoup de tension. La veille du match, notre capitaine, le pilier Peter Fatialofa, nous a réuni dans une pièce du château de Cardiff. On s’est mis en cercle autour de lui, et chacun d’entre nous a parlé pour essayer d’extérioriser un peu de cette tension. Certains parlaient de représenter notre pays, d’autres insistaient sur le fait qu’on devait rester ensemble quoi qu’il arrive. Là, chacun d’entre nous a compris qu’on se sacrifierait tous les uns pour les autres. A ce moment là, j’ai compris qu’on pouvait les battre. Je revois encore le regard de mes coéquipiers...

Comment s’était déroulé le match ?

Cela s’est joué à peu de choses : on marque deux essais, mais les Gallois reviennent fort. Nous avons passé toute la fin de partie à défendre. C’était dur. Mais ce le fut aussi pour eux. Si mes souvenirs sont bons, trois Gallois quittent le terrain suite à de gros plaquages. On gagne de trois petits points à la fin et, ensuite, tout a changé. Quand nous sommes arrivés au Mondial, les gens nous demandaient pour quel pays nous jouions. Il ne connaissaient même pas le bleu des Samoa ! On leur expliquait où se situait notre archipel, par rapport à la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Nous avons ensuite battu l’Argentine, avant de perdre lourdement en quart contre l’Ecosse (28-6, avec un doublé du flanker écossais John Jeffrey N.D.L.R.). Mais en l’espace de deux matchs, nous étions devenus l’attraction de la compétition, au point que nous ne portions plus nos survêtements pour passer inaperçus ! C’était presque trop d’un coup... Nous n’étions pas habitués. Je me souviens aussi que nous étions partis avec très peu d’équipements... Et d’un coup, nous recevions crampons, maillots, shorts et chaussettes par caisses entières ! C’était incroyable.

D’où vient ce goût des Samoans pour l’affrontement physique ?

C’est comme ça que l’on s’exprime chez nous. Nous sommes des guerriers. Les garçons aiment le contact : courir à fond, plaquer dur... C’est comme ça.

Comment la rivalité entre les îles du Pacifique fonctionne ?

On parle souvent de la rivalité existant entre les Samoa et les Tonga, mais en réalité nous sommes très proches. Par exemple, si la France affronte les Tonga on supportera les Tonguiens ! Même chose si les Fidji joue contre la Nouvelle-Zélande : on sera pour les Fidjiens.

Alors qui sont les vrais rivaux des Samoans ?

Les Fidjiens.

Pourquoi ?

Parce qu’on se ressemble beaucoup avec les Tonguiens, et au fond, nous sommes presque des frères. Les Fidjiens sont plus éloignés de nous, et on déteste perdre contre eux. A chaque fois qu’on joue les uns contre les autres, c’est la guerre. Personne ne veut perdre ce match.

En 2003, vous avez vécu une Coupe du Monde depuis les tribunes, dans le rôle de l’entraîneur adjoint de la sélection écossaise. Qu’est-ce que ça change ?

C’est la même chose : le plus important réside toujous dans la préparation. Ian McGeechan, qui était le sélectionneur de l’Ecosse à cette époque, me le répétait sans cesse : « Une Coupe du monde, ça se gagne deux mois avant la finale. » La préparation, c’est tout. Les joueurs doivent arriver sur le terrain avec les idées claires, et un plan de jeu parfaitement maîtrisé.

Que pensez-vous alors de la préparation effectuée par le XV de France ?

Je dois reconnaître que j’avais pas mal de travail avec le Connacht, et que je ne l’ai pas suivie de près. Mais vous savez, la Coupe du Monde c’est votre compétition à vous les Français. Vous êtes irréguliers pendant quatre ans, et le jour J, vous êtes toujours là. Vous auriez pu gagner en 1987, en 1999, en 2011 la Nouvelle-Zélande a eu beaucoup, beaucoup de chance... Les Français sont toujours là pour les Coupes du Monde, car c’est le seul moment où ils peuvent suivre une vraie préparation de groupe.

C’est à dire ?

C’est la limite de votre système de clubs : comme ce sont eux qui contrôlent les choses, l’équipe nationale est lésée. Il y a trop de discontinuité entre les clubs et le XV de France, même si je sais que ce problème a été pris à bras le corps par le staff depuis quelques années. En tant que coach, on veut maîtriser chaque paramètre de la préparation d’un joueur. Dans le système du rugby français, on ne peut faire ceci qu’une fois tous les quatre ans. Voilà pourquoi nous savons tous que le XV de France sera prêt le jour J.

Pensez-vous que ce fonctionnement de club soit le problème majeur qui limite le développement du XV de France ?

Oui, je pense que c’est vraiment délicat. Les Néo-zélandais ont le contrôle total de leurs joueurs : les joueurs terminent le Super Rugby et filent directement aux camps d’entraînement. En Irlande, c’est pareil. La Fédération contrôle tout. Au Connacht, nous avons Robbie Henshaw qui évolue avec le XV du Trèfle. Quand la fédération me dit qu’il doit se reposer, Robbie se repose. C’est comme ça.

Comment gérez-vous ces contraintes en tant que manager ? Car le centre Robbie Henshaw est un maillon essentiel de votre jeu...

Elles se gèrent très bien, car nous y sommes préparés. Et en tant que coach, je veux que mes joueurs évoluent au plus haut niveau possible. Donc je suis heureux de savoir que Robbie va disputer des matchs de haut niveau avec l’Irlande, car je sais qu’il reviendra plus fort. En début de saison, je sais qu’il ne sera pas là pour tel et tel match, donc c’est à moi de m’assurer que ses remplaçants progressent suffisamment vite pour tenir son poste.

En France, certains entraîneurs ont coutume de se plaindre des absences répétées de leurs internationaux...

Cette excuse ne tient pas... Quand on prépare une saison, on sait quand les tests se joueront, et qui partira les disputer. Comme je vous l’ai dit, il faut concentrer ses efforts sur les remplaçants pour que l’écart existant entre leur niveau et celui de l’international soit le plus réduit possible. C’est la clé.

Pourquoi avez-vous choisi le Connacht, qui est connu pour être la plus faible des provinces irlandaises.

Cela remonte à novembre 2012. J’étais l’entraîneur des Samoa et nous sommes venus à Paris pour affronter la France. Quelques clubs m’avaient fait de propositions, dont le Connacht. Je connaissais peu de choses sur eux, alors j’ai fait quelques recherches. J’ai été impressionné par leur histoire, leur tradition. Malgré tout, le Connacht a toujours été la plus petite des quatre franchises irlandaises. Pas de stars, peu d’internationaux. Mais j’aime ce genre d’équipe. C’est un peu comme avec les Samoa : le rugby est un sport collectif. C’est ce qui me plaît dans ce jeu : on a besoin de l’autre pour avancer. Mais quand on a trop de stars dans l’effectif, les joueurs ont tendance à se reposer sur elles. Ce que je voulais, c’était des bosseurs. Des mecs qui n’attendent pas sur l’autre pour faire bouger les choses. Alors je suis allé visiter les installations, et j’ai regardé comment l’équipe bossait. Et j’ai aimé ce que j’ai vu. Lors de l’entretien, j’ai demandé aux dirigeants ce qu’ils voulaient. Ils ne m’ont pas parlé de gagner tel ou tel titre... il m’ont demandé de réinstaller le Connacht dans la hiérarchie des franchises irlandaises. Et c’est ce qui m’intéresse.

Quelle est votre vision d’un club ?

Pour moi la mission d’un entraîneur ne s’arrête pas au rugby. Un club ne se réduit pas à un plan de jeu. Il y a le jeu, mais aussi la culture du club, son esprit de famille, et ses leaders. Je m’efforce, avec mon staff, de développer tous ces aspects. Je suis dans ma troisième année, et les liens qui nous unissent avec les joueurs sont aujourd’hui très forts.

Quel est votre objectif ?

La Champions Cup. Nous voulons jouer la Champions Cup. La raison est simple : les championnats de l’hémisphère Nord sont très hétérogènes : le Top 14 et le Premiership dominent, alors que le Guiness Pro12 est en retrait. Pour jouer les matchs les plus intéressants, il faut s’inviter en Champions Cup. Je veux que le Connacht la joue chaque année. Mais nous sommes réalistes : nous savons que nous ne parlons pas d’égal à égal avec d’autres équipes. Quand on voit le budget de Toulon... Vous connaissez le montant de notre masse salariale ?

Non...

3,5 millions d’euros. C’est la plus faible de la compétition. Mais c’est ce que j’aime. J’aime le fait que mes joueurs sont obligés de compter les uns sur les autres pour battre les plus grosses équipes. En décembre 2013, nous avons vaincu Toulouse à Ernest-Wallon. Les internationaux remplaçaient d’autres internationaux. Je croyais rêver. Mais ce sont contre eux que nous voulons jouer. Pour nous, ce serait magnifique.

Pour en revenir à la Coupe du monde et à l’équipe de France, avez-vous suivi les derniers matchs du XV de France ?

Oui, j’ai regardé le Tournoi et je me suis dit : « Mince, ils ont tellement de bons joueurs ! » Sur un match, vous pouvez vaincre n’importe qui. Le plus grand défi du XV de France est aujourd’hui d’être régulier. Lors du dernier Mondial, vous avez perdu contre le Tonga alors que vous auriez dû gagner en finale contre la Nouvelle-Zélande... Je pense que ce manque de régularité vient de votre manque de préparation, du fait que votre sélection ne travaille pas suffisamment ensemble tout au long de l’année. Vous pouvez être si physiques, et imprévisibles aussi...

Mais, nous savons tous les deux qu’à l’heure de l’analyse vidéo à outrance et des plans de jeu pré-établis le french flair n’existe plus...

Peut-être... Mais vos avants peuvent démonter n’importe quel pack au monde. Vos joueurs sont impressionnants, comme Dusautoir et Papé. A chaque fois que je suis venu en France, l’équipe qui se trouvait en face de la mienne était impressionnante. Mais le grand problème du rugby français, c’est le poste d’ouvreur. Qui est le 10 ? Qui commande l’attaque en France ? Regardez les équipes qui gagnent, elles ont toutes leur maître à jouer... Les Blacks en ont même deux, avec Carter et Cruden. Le Top 14 compte beaucoup d’ouvreurs qui ne sont pas sélectionnables pour le XV de France.

Comment vaincre les Blacks ?

Les Blacks sont prenables. Les Australiens nous l’ont montré pendant le Four-Nations.

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