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Pierre Lacans, 30 ans déjà ...

Par Jérôme Prévot
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    Pierre Lacans, 30 ans déjà ...
Publié le Mis à jour
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30 septembre 1985 il y a trente ans, le troisième ligne aile trouvait la mort dans un accident de la route. Ce manieur de ballons chevaleresque a laissé une empreinte indélébile à béziers.

Un souvenir fugace, en pleine période des vendanges. Un titre occulté dans les grands médias par une autre disparition, celle de Simone Signoret. Avec le recul, on se rendrait aussi compte que ce 30 septembre était aussi l’anniversaire de la mort de James Dean, trente ans plus tôt en Californie. Toutes proportions gardées, Pierre Lacans aussi a fabriqué son mythe. « Cauchemar dans la nuit » titra Midi Olympique : le troisième ligne de Béziers venait de perdre la vie à 28 ans. Sa voiture avait percuté un platane après avoir voulu éviter un autre véhicule immobilisé sur la chaussée, en pleine ligne droite. Béziers venait de s’imposer à Narbonne et Pierre Lacans rentrait chez lui, à Lézignan où il avait fait ses armes dans les rangs treizistes. « Lacans, Lacans », les supporteurs de l’AS Béziers qu’on croisait de-ci de-là n’avait que ce nom-là à la bouche. Ils en parlaient souvent pour se plaindre qu’il ne soit pas sélectionné d’avantageen équipe de France. « Pierre, lui ne s’en plaignait jamais. Ce n’était pas son style, » se souvient son ami Jean-Michel Bagnaud. Pierre Lacans n’aura porté que six fois le maillot du XV de France entre 1980 et 1982. Il eut quand même le temps de vivre le Grand Chelem 1981 avec un essai de rapine marqué à Twickenham, un triomphe suivi d’un après-match agité et d’une échauffourée avec des Bobbies. Mais Jacques Fouroux lui préférait des Joinel, des Rodriguez plus durs à l’impact, et puis il y avait Jean-Pierre Rives, le capitaine emblématique aussi blond que Lacans était brun avec sa tignasse bouclée qui ressemblait à celle de Michel Berger. Certains persistent à évoquer d’obscures raisons extra-sportives pour expliquer cette mise à l’écart… Reconnaissons aussi que Pierre Lacans n’était pas un défenseur impitoyable, c’était là son (petit) défaut.

AU-DESSUS DE LA MÊLÉE, À TOUS LES SENS DU TERME

Mais, ce qui est le plus impressionnant trente ans après, l’aura de Pierre Lacans n’a pas souffert de cette froideur des sélectionneurs. À tous les sens du terme, il était au-dessus de la mêlée. « Il jouait à Béziers, il était de l’Aude mais son image rayonnait beaucoup plus loin. Il avait des amis partout. Quand on allait à Biarritz ou à Agen, il pouvait rester faire la fête là-bas. Le match, c’était le match et quand c’était fini, il se sentit proche de tout le monde, » explique Philippe Vachier son ancien coéquipier. C’est vrai que Pierre Lacans a laissé une empreinte assez unique. Il est l’un des rares joueurs à avoir été champion de France comme demi d’ouverture (trois minutes en 1978) puis comme troisième ligne (en 1980, 81, 83 et 84). « J’ai signé à Béziers la même année que lui en 1977. Il est arrivé auréolé d’une certaine réputation. Il venait de jouer la finale du championnat de France à treize aux côtés de son oncle Michel Maïque devenu depuis maire de Lézignan. Il alliait un gabarit imposant pour l’époque (1,87 m, 96 kg) avec une gestuelle exceptionnelle, aussi complète que celle de Didier Codorniou. » relate Henri Mioch, trois fois champion à ses côtés. « Il pouvait travailler sur les mêlées ouvertes compliquées, puis venir tout de suite prêter main-forte aux attaquants. »

UN TOUCHER DE BALLES UNIQUE

Oui, Pierre Lacans était un troisième ligne aile de grand champ, un manieur de ballon hors pair qui s’éclatait derrière un cinq de devant presque toujours dominateur. « Il avait des grosses fesses, il était très difficile à plaquer, » explique Philippe Bonhoure. Les Vaquerin, Martin, Palmié, Paco, Estève étaient rudes, mais ils savaient jouer au ballon, c’était l’un des secrets du Grand Béziers. Mais à partir de 1978, Pierre Lacans apporta une nouvelle flèche à cette cathédrale, par sa grâce et son flair. Il arrivait à point nommé pour régénérer la grosse machine de guerre mise au point par Raoul Barrière en 1970 : « Quand on le voyait jouer, tout semblait facile. Il était toujours bien placé, au bon moment, il avait pour lui le toucher de balle, l’analyse du jeu. À Béziers, il a amené un petit grain de créativité. Avec lui, on parvenait notamment à faire des passes dans le dos des adversaires. » analyse Philippe Vachier. Philippe Bonhoure se souvient d’un match de championnat lambdaface à Avignon : « Je jouais ailier. On venait de marquer, l’adversaire allait remettre en jeu. Pierre Lacans s’est approché de moi pourme glisser : Philippe, suis moi. Le ballon est arrivé sur nos avants, ils lui ont donné le ballon : un crochet à gauche, un crochet à droite, puis il m’a donné le ballon pour un nouvel essai. C’était assez incroyable, il semblait avoir visionné l’action avant qu’elle ait eu lieu. » Dans les années quatre-vingt, les matches de club étaient encore rares à la télévision. Les images des gestes de Lacans sont forcément furtives, mais nimbées d’une brume de nostalgie. Un résumé de Stade 2 pour un quart de finale en Béziers et Perpignan en 1983 au Stadium de Toulouse (7-0). Le cadrage débordement qu’il réussit en position de premier attaquant était il aussi lumineux que dans notre souvenir ? Les vieux fans de l’ASB nous ont juré que oui. Henri Mioch évoque un autre Béziers-Perpignan, en demi-finale cette fois : « C’était en 1980, sur nos quarante mètres, notre demi de mêlée Morrisson allait taper par-dessus, et il est venu lui subtiliser la balle à la surprise générale pour accélérer et percer pour envoyer notre ailier Claude Martinez à l’essai. La défense adverse avait été totalement décontenancée. Quel geste extraordinaire qui symbolisait son opportunisme et surtout, sa lucidité. » Un troisième ligne aile meneur de jeu et premier attaquant : le rugby français n’avait pas connu ça depuis Jean Prat. Le Lourdais était un homme austère, parfois sec. Le Biterrois ressemblait plutôt à un grand frère sympathique Jean-Michel Bagnaud ne l’a pas oublié : « Oui, il avait un allant terrible. Toujours d’humeur égale et toujours positif. C’est vrai qu’il avait des amis partout. En fait, il nous a ouvert au reste du monde. Avant lui, l’AS Béziers était un peu fermée sur elle-même. Il nous a apporté son sens du contact exceptionnel. » C’est vrai que les Biterrois se complaisaient parfois dans la posture des mal aimés, seuls contre tous. Lacans a amené un sourire à cette meute de loups implacables. Jean-Michal Bagnaud 8 n’a pas non plus oublié cette nuit fatale. « Après la soirée qui célébrait notre victoire à Narbonne, Je lui avais proposé de dormir chez moi, mais il avait refusé car il voulait être à Lézignan le lendemain matin. » Tous les témoignages décrivent un gentleman au-dessus de toutes les mesquineries, insensible aux aigreurs. Un reporter de terrain nous a souvent décrit sa magnanimité, même après des écrits désagréables ou des titres malheureux souvent forgés bien à l’abri dans des rédactions lointaines. Un sourire complice, des mots plein de noblesse remplaçaient les excommunications menaçantes qu’auraient proférées bien des joueurs ainsi épinglés. « Jamais, il ne vous aurait fait la gueule. Quelle classe. »

AURAIT-IL ÉVITÉ LE DÉCLIN ?

« Il faut comprendre que Pierre Lacans ne brillait pas seulement par ses qualités de joueur, il était aussi un leader naturel. Il avait cette forme de charisme, ce pouvoir d’entraîner les autres au-delà de ses qualités propres. Tout le monde n’a pas ça… Il faut quand même se souvenir qu’il a disputé les finales 1983 et 1984 blessé. Il jouait en boitant. » rappelle Philippe Bonhoure. « C’était monumental, surenchérit Philippe Vachier. Ça prouve que derrière l’impression de facilité qu’il dégageait, Pierre savait aller au charbon. Jouer une finale avec une jambe cassée après une infiltration, un bandage serré, ça demandait une sacrée dose de courage. Cet avantmatch qu’il a dû vivre m’impressionne encore. Nous n’étions que quelques-uns à savoir ce qu’il avait vraiment. Il fallait vraiment qu’il joue, c’était notre phare », poursuit Jean-Michel Bagnaud. Mais au-delà de sa mort, c’est peut-être son absence qui a « plombé » la vie de l’ASB. « Après les Vaquerin, Palmié, Martin qui représentaient les années soixante-dix, il était le leader de la génération des années quatre-vingt. Il fédérait, il était comme mon frère. Après sa disparition tout est devenu plus compliqué. » Tous nos interlocuteurs sont formels. Avec lui, Béziers n’aurait pas sombré comme ça. « Il était un rouage essentiel, une courroie de transmission. Sa parole était écoutée aussi bien par les dirigeants que par les joueurs. Il faisait le lien, il aurait assuré la transition entre les époques. » confirme Jean-Michel Bagnaud sur la même longueur d’ondes que Philippe Bonhoure. « Oui, j’ai le sentiment que tout s’est déclenché dès qu’il est parti. Sans lui, le déclin s’est amorcé. »

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