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Reconversion, l’autre vie des rugbymen professionnels

Par midi olympique
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    Reconversion, l’autre vie des rugbymen professionnels
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La durée moyenne d’une carrière de rugbyman professionnel est de neuf ans. Au cours de ces années, un joueur de Top 14 se constituera, en moyenne, un patrimoine de 500 000 € à 600 000 € (100 000 € à 150 000 € en ProD2). Le rugby offre donc beaucoup d’argent mais la somme semble insuffisante, pour assurer l’après-vie des rugbymen.

La carrière d’un rugbyman professionnel est courte. Très courte. Si certains joueurs comme Brad Thorn (40 ans) ou Sireli Bobo (39 ans) prolongent le plaisir au-delà de l’âge moyen, les rugbymen professionnels quittent, brutalement, la lumière des projecteurs et rejoignent un quotidien plus « classique ». Une étape que certains considèrent comme une « nouvelle vie ». Mais les joueurs sont-ils réellement prêts à quitter le monde du rugby pour intégrer la vie active, au sens plus traditionnel du terme ? Voici trois exemples de reconversions ratées : Raphaël Poulain (voir plus loin). Gérald Merceron (42 ans, 32 sélections) qui avait vécu « une période extrêmement difficile » après l’arrêt de sa carrière en 2008 et qui considère que « pour n’importe qui, l’arrêt de carrière implique une vraie cassure. C’est se lever le matin et ne plus faire ce que tu aimes. C’est ne plus être dans un collectif. Tu te retrouves très seul. ». Enfin, plus dramatique, l’exemple de Marc Cécillon qui, un soir d’août 2004, commit l’irréparable en tuant sa femme, au terme d’une longue dépression accompagnée d’une chute dans l’alcool. Ces différents joueurs ayant « subi » leurs après-carrières prouvent que la reconversion n’est pas encore entrée dans les mœurs et que tous les joueurs ne la préparent pas suffisamment préférant, pour certains, se consacrer à cent pour cent dans leur carrière de rugbyman.

« Les clubs délaissent la reconversion des joueurs »

Mais toutes les après-carrières ne se passent, évidemment, pas de manière tragique. En témoigne celle de Lionel Nallet (39 ans, 74 sélections dont 16 capitanats) qui, après l’arrêt de sa carrière en juin 2014, s’est immédiatement éloigné du monde qui avait fait de lui une légende pour rejoindre son entreprise de mécanique de précision. « J’ai créé la boîte en 2007 avec mon frère. » Et s’il a jusqu’alors laissé la direction de l’entreprise à celui qu’il surnomme, fort justement, « son collaborateur », l’ancien deuxième ligne a décidé de se jeter à corps perdu dans son projet professionnel depuis qu’il a raccroché les crampons. Mais son profil de joueur qui a démarré à l’aube du professionnalisme lui donne un statut bien particulier et Lionel Nallet a conscience que la donne a considérablement évolué. Si auparavant un joueur choisissait son club avec comme condition principale la reconversion que ce dernier pourrait lui offrir, les rugbymen font aujourd’hui des choix majoritairement sportifs. Le professionnalisme aurait donc considérablement déplacé les intérêts des joueurs. Dans l’autre sens les mœurs sont également toutes autres. « Les clubs délaissent la reconversion des joueurs. Ce sont nos employeurs et ils nous rémunèrent plutôt bien donc ils n’ont pas forcément envie d’entendre parler de reconversion. C’est comme si on était salarié d’une entreprise X et qu’on nous soutenait pour préparer notre avenir qui se dessine dans une entreprise Y. Il y a un problème. Le rugby est vraiment devenu professionnel et les clubs ne veulent plus avoir à gérer ça, ce que je conçois. Nous les joueurs on ne peut pas prétendre à avoir des salaires de plus en plus élevés et demander à se faire border pour notre futur. Par rapport aux salaires qu’ils nous donnent je considère qu’ils n’ont plus forcément besoin de couver les joueurs. »

À la recherche d’une prise de conscience collective

Mais alors si les clubs n’ont plus pour objectif d’assurer la reconversion des joueurs, comment ces derniers font-ils pour se projeter dans leur vie future ? Marc Antoine Rallier (27 ans), joueur du Castres Olympique, a récemment pris conscience « qu’une carrière passait trop vite et qu’en général les joueurs ne se servaient pas « correctement » des partenaires du club. » Selon lui, les joueurs côtoient régulièrement des employeurs mais « ne réalisent pas l’opportunité qui leur est offerte ». Ainsi, en août 2015, il a créé une cellule de reconversion au sein de son club pour que les joueurs rencontrent les partenaires qui entourent le club. « Plutôt que de les voir aux réceptions d’après-matchs en leur serrant passivement les mains, il est plus utile d’aller vers eux, de discuter et de voir ce qu’ils proposent dans leurs entreprises. Il y a un vrai échange. Ce n’est plus uniquement le partenaire qui vient rencontrer le joueur mais le joueur qui peut créer un lien avec un partenaire et étoffer son carnet d’adresses pour le jour où il rangera les crampons. C’est donnant donnant. ». Une initiative qui va dans le sens des mesures mises en place par le syndicat national des joueurs de rugby : Provale. Président, depuis octobre 2014, Robin Tchale-Watchou (32 ans) s’active quotidiennement pour permettre aux rugbymen de « prendre conscience de l’importance de préparer son après-carrière ». S’il explique comprendre, en tant que joueurs encore en activité au sein du club de Montpellier, que les rugbymen préfèrent se dévouer corps-et-âmes pour leur équipe, il demande aux joueurs de penser quotidiennement à leur après-rugby. « Je souhaite que mes camarades aient la capacité de se projeter d’avantages. Ce n’est pas encore le cas mais je sens que ça progresse. »

« Faire fructifier ce statut de privilégié »

Seulement 18 % des joueurs travaillent tout en étant rugbymen professionnels (la pluriactivité a, depuis dix ans, baissé de 90 %). C’est le cas de Mathieu Peluchon. L’arrière du SC Albi a ouvert en septembre 2015 un bar à vin dans le centre-ville d’Albi avec un ancien coéquipier, Andrea Sicardi. S’il admet n’avoir pas particulièrement envisagé sa reconversion, en profitant d’une opportunité, le joueur de 28 ans a conscience qu’ouvrir un commerce tout en étant joueur en activité lui offre des possibilités supérieures. « Le rugby nous aide pour le réseau, pour trouver la banque ou même les partenaires financiers qui nous ont énormément soutenus dans l’élaboration, la réalisation et aujourd’hui le bon fonctionnement de notre projet. Tout ça c’est grâce au rugby. La vie d’un sportif de haut niveau est courte et il est important de faire fructifier ce statut de privilégié. ». Preuve, s’il en fallait, que le rugby est la reconversion sont évidemment compatibles. Mieux encore, préparer son après-carrière pendant ses années de professionnalisme, peut aider un joueur à développer son projet professionnel.

Le futur se construit au présent

Mais, comme dans n’importe quel corps de métiers, l’entrée dans la « vie active » se prépare en amont. Par définition un Centre de formation doit « permettre à un jeune joueur de franchir le palier du professionnalisme. En revanche, s’il n’arrive pas à se hisser au niveau espéré, le jeune joueur ne doit pas être démuni. Il doit avoir un bagage scolaire suffisant. C’est la première chose qu’il faut faire comprendre aux enfants, mais également à leurs parents qui, parfois, projettent trop de choses sur leurs fils ». C’est en tout cas ce qu’explique Yoann Jendrzejczak, responsable de l’école de rugby de l’ASM Clermont-Auvergne. Passé lui aussi par la formation auvergnate, il avait, à l’époque, fait le choix d’accepter le poste d’éducateur que lui proposait le club alors qu’il était encore Espoirs et qu’il avait la possibilité de devenir joueur professionnel. Preuve d’une grande maturité, Yoann Jendrzejczak avait préféré « voir à long terme, plutôt que de fonder des espoirs dans une « éventuelle carrière » qui ne lui offrait aucune certitude ». Mais cette capacité à se projeter et à admettre, de manière lucide, qu’une carrière professionnelle pouvait se jouer, sans même parler de talent, à pile ou face, n’est pas présente dans l’esprit de tous les jeunes joueurs. En témoigne le discours de Gaël Fickou. Celui qui est, à juste titre, considéré comme le plus grand espoir du rugby français (21 ans, 15 sélections) avait fait le choix de mettre ne pas mener à terme son BTS Muc (management des unités commerciales). S’il voyait ce cycle d’étude plus comme un « parachute en cas de pépin » qu’une réelle opportunité, il a finalement fait le choix de s’adonner au rugby, sa passion. D’ailleurs selon Gaël Fickou, le plus important n’est pas de trouver son futur travail, mais d’« investir intelligemment ce que je peux gagner en club et en équipe de France. J’essaye surtout de faire fructifier mon argent. » Manque de lucidité ou excès de confiance ? C’est la question à laquelle tente de répondre le psychologue du sport Emmanuel Livrud. Conscient du risque lié à l’absence d’une réflexion quant à la reconversion, le psychologue du sport a mis en place un bilan de compétence. L’objectif ? « Permettre à un joueur, dès son plus jeune âge, de désigner le domaine dans lequel il voudra poursuivre sa vie active. Leur reconversion ne doit pas forcément être une priorité mais un axe de réflexion. » Une opportunité qu’il offre aux joueurs car il reste persuadé que l’avenir des joueurs de rugby se prépare dès leur plus jeune âge, dès le Centre de formation… Pierrick Ilic-Ruffinatti (avec E.D.)

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