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Sexton-Madigan : deux ego pour un seul poste

Par Jérôme Prévot
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    Sexton-Madigan : deux ego pour un seul poste
Publié le Mis à jour
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Sexton - Madigan... L’Irlande, qui débarque à paris samedi après avoir concédé un nul face au pays de galles, compte deux ouvreurs de premier plan, jouant dans la même province. Ian madigan a décidé de mettre fin à cette cohabitation suffocante en signant à Bordeaux-bègles. sera-t-il toujours sélectionné ?

Le rugby aime bien ce type de rivalité exacerbée à loisir par les médias friands du moindre soupçon de bisbilles internes. La France a plutôt connu cela à la mêlée avec Fouroux et Astre ou Berbizier-Gallion ou talonnage avec Dubroca-Dintrans. Les Irlandais se sont fait une spécialité des « dilemmes » des numéros 10. Dans les années 80, nous avions assisté à au mano a mano entre le feu follet Tony Ward et le classique Ollie Campbell, sans savoir d’ailleurs que l’un jouait pour le Munster et l’autre pour le Leinster. La Coupe d’Europe n’existait pas en ce temps-là. Les provenances des joueurs étrangers n’avaient pas beaucoup de sens pour nous. Dans les années 2000, la différence était plus évidente entre Ronan O’Gara et Johnny Sexton. Le buteur-métronome était au Munster ; l’attaquant surdoué portait la tunique du Leinster. En ces années 2010, les Irlandais ont encore innové : les deux talents éclatants jouent carrément dans la même province. : Jonny Sexton et Ian Madigan sont tous les deux Dublinois. Pour les différencier, il faut remonter à leurs années de lycée. Le premier jouait pour Saint-May’s College, le second pour Blackrock College, deux usines à champions rivales de la capitale irlandaise. Voilà qui va encore donner du piment au France-Irlande de samedi.

Durant la Coupe du monde, Sexton était le premier choix mais il s’est blessé aux adducteurs après vingt-six minutes de jeu contre les Bleus, ce qui a donné l’occasion à Madigan de réussir une performance quatre étoiles…. Mais il n’a rien pu faire en quart de finale contre les Pumas. On n’ose imaginer ce qui se serait passé s’il avait su amener l’Irlande en demie pour la première fois de son histoire.

Depuis le retour de Sexton l’été dernier, les deux hommes ont fait leur possible pour cohabiter sous le maillot du Leinster. Sexton a commencé neuf fois (Coupe d’Europe et Ligue celte) et Madigan, quatre, dont une fois au centre. Et Joe Schmidt les a bien sûr convoqués tous les deux pour le Tournoi. Les supporters de l’Irlande se doutaient bien que cette situation n’allait pas durer éternellement Et personne n’a vraiment été surpris quand, fin décembre, on a appris que Ian Madigan venait de s’engager pour l’UBB. C’est son agent qui est allé démarcher le club girondin qui faisait partie visiblement de ses cibles prioritaires. « Il était évident qu’il allait partir même si, en Irlande, on espérait que la Fédération parviendrait à le diriger vers le Munster », confie un membre du staff de l’équipe nationale. « Je l’ai senti très motivé pour rejoindre la France. Car on sait que les expériences des Celtes en Top 14 n’ont pas toujours été satisfaisantes, c’est pourquoi j’avais un peu hésité. Mais je l’ai senti motivé d’autant plus qu’il connaissait déjà la région bordelaise. Sa maman fait du business dans le coin et lui-même parle déjà un peu le français. Après, mais ça n’engage que moi, j’ai senti un gars qui a toujours vécu dans l’ombre de Sexton et qui trouvait ça difficile à vivre », explique Laurent Marti, président de l’UBB.

Sexton parfois dur à vivre

On imagine sans peine que la cohabitation devait être un peu tendue à l’entraînement, même si aucun clash n’a jamais été signalé entre eux. Mais Jonathan Sexton n’a jamais été connu pour la douceur de son caractère. Les anecdotes sur son intransigeance sont légion : « Dès que ça ne fonctionnait pas, il était à fleur de peau. Plusieurs fois, je lui ai rappelé qu’il y avait certaines façons de dire les choses. Il avait tendance à plutôt employer la manière forte et un langage très fleuri dans le feu de l’action. C’était parfois à la limite de l’insulte. Il en avait conscience. Par moments, Jonathan était vraiment incontrôlable. Sur un lancement de jeu, si un mec s’oubliait, il était capable de le pourrir…» rappelait Laurent Labit dans notre magazine d’octobre dernier. Ses deux ans à Paris ont été émaillés par plusieurs altercations avec ses coéquipiers. « Il est en compétition avec l’un des meilleurs numéros 10 du monde. On ne peut pas lui en vouloir. Il veut partir pour devenir l’un des meilleurs du monde à son poste en passant par un chemin différent.» « C’est le Zlatan du rugby », nous confia l’un d’entre eux en off.

Jonathan Sexton a toujours été considéré comme une émeraude, un joueur hors-norme qui mérite toutes les attentions. La preuve, la Fédération l’a même autorisé à monnayer pendant deux ans ses talents à Paris sans le priver de la sélection nationale, à rebours de ses principes protectionnistes. « Ian Madigan est aussi une forte personnalité. Il a une haute opinion de lui-même et donc une très grande confiance en lui. Il y a deux raisons à son départ en France : l’argent, il ne faut pas le négliger, mais aussi le désir absolu d’être le premier choix à son poste. Il faut aussi le comprendre. Il a dû accepter d’être la doublure de Sexton alors que celui-ci était à l’étranger, et il voit bien que la situation risque de durer aussi bien au Leinster qu’en équipe nationale… », nous explique un proche de la sélection irlandaise depuis dix ans. Restent à trancher deux débats essentiels. D’abord, qui est le meilleur rugbystiquement parlant ? A priori, Sexton conserve quelques mètres d’avance par sa faculté à peser sur le jeu de son équipe. Madigan passe pour un ouvreur ultra-offensif capable de faire exploser les défenses dès la prise de balle. Mais on lui reproche encore de ne pas contrôler suffisamment le déroulement d’un match. « Oui, nous avons entendu dire ça et nous l’avons étudié de ce point de vue. Mais il a mûri ces derniers mois… » poursuit Laurent Marti.

Schmidt fait la moue

Reste à trancher l’autre question. Madigan sera-t-il sélectionné après son départ ? Seul Sexton a bénéficié de ce privilège depuis cinq ans. Personne n’a encore répondu clairement à cette question depuis l’annonce du départ de Madigan. Et Laurent Marti ne peut pas nous aider là-dessus : « Je ne lui ai pas posé la question ; Je fais partie des présidents qui n’interfèrent jamais dans les histoires de sélection. L’équipe nationale, c’est le Graal et je n’empêcherai jamais un joueur d’y aller. » En Irlande, c’est du 50-50 dans les commentaires. Certains font remarquer Paddy Jackson de l’Ulster n’est pas loin du niveau international non plus. Mais Rory Best, le capitaine irlandais, a soutenu Madigan : « Il est en compétition avec l’un des meilleurs numéros 10 du monde. On ne peut pas lui en vouloir. Il veut partir pour devenir l’un des meilleurs du monde à son poste en passant par un chemin différent. On ne peut que lui donner du crédit. »

Mais Joe Schmidt a réagi en faisant la moue : « Quand j’ai débarqué au Leinster, il apprenait déjà le français. Alors je suis mal à l’aise avec cette histoire. Je sais que je peux compter sur Paddy Jackson et Ian Keatley aussi. À Bègles, Ian sera en concurrence avec Lionel Beauxis vu que Pierre Bernard s’en va à Montpellier. Il sait qu’il prend un risque en allant à l’étranger. On ne peut plus le manager et contrôler son temps de jeu. J’avais tiqué en me rendant compte lors de son premier rendez-vous avec nous depuis son départ à Paris, que Jonny Sexton était arrivé avec douze matches en onze semaines dans les jambes. » Dans neuf mois, pour les tests de novembre, Madigan pourra évaluer la valeur qu’on lui prête dans son pays natal. n

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