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1936 : une finale très politique

Par Jérôme Prévot
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    1936 : une finale très politique
Publié le Mis à jour
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Cette année-là, la finale du championnat fut marquée par le contexte électoral et la victoire du front populaire.

La finale de 1936 eut un retentissement très politique. Elle se déroula le 10 mai au Stade des Ponts-Jumeaux à Toulouse dans un contexte spécial, le Front Populaire venait de juste de gagner les élections législatives (le 3 mai), et la presse n’avait pas pu s’empêcher de « politiser » ce match car il était censé représenter le rapport de force de l’époque. Narbonne incarnait la gauche et Clermont la droite. Narbonne était un fief socialiste et venait d’élire Léon Blum comme député. Le futur premier ministre (on disait « Président du Conseil ») n’était pas Audois, c’était un pur Parisien, mais en 1929, il avait été battu dans une circonscription de la Seine par le communiste Jacques Duclos. Pour continuer à siéger au parlement, il s’était replié à Narbonne à la faveur d’une législative partielle avec l’assentiment de la fédération locale.

Blum contre Michelin

Clermont était déjà la propriété de la famille Michelin et l’on assimilait ce club aux « deux-cents familles », censées incarner le capitalisme. L’opposition était donc tentante pour « vendre » médiatiquement ce match, même si les joueurs, à titre personnel, ne représentaient pas la « couleur » politique qu’on prêtait à leur club. Rappelons aux plus jeunes qu’une finale à l’époque, c’était déjà un événement d’importance car le stade des Ponts-Jumeaux accueillit 25 000 personnes serrées comme des sardines pour cette apothéose. Narbonne était entraînée par Eugène Ribère, jeune retraité de 34 ans. C’était une célébrité, recordman des sélections en équipe de France avec 33 sélections. Clermont était aussi entraîné par un ancien international, André Francquenelle qui avait fait les Jeux Olympiques en saut à la perche.

La finale fut très disputée comme l’indique le score, 6-3, mais ce score ne doit pas être analysé à l’échelle actuelle car il exprimait une supériorité de deux essais à zéro en faveur des Narbonnais. Clermont avait pourtant ouvert le score par une pénalité de son capitaine, Pierre Thiers, le demi de mêlée. Il avait frappé son ballon de cinquante mètres, un exploit colossal pour l’époque. « C’était l ‘avénement du front populaire, on dressait les ouvriers contre les patrons. Dans mon équipe, il y avait des gens qui travaillaient à l’usine Michelin, d’autres qui avaient des emplois plus aisés. Alors, il y a eu des tiraillements, mais ça n’a pas duré car l’équipe s’estime à marcher et tout le monde a fait abstraction de ses idées. En finale, j’ai ouvert le score et puis je n’ai plus eu une pénalité à tenter de toute l’après-midi. Oui, il y avait ce fameux contexte, Michelin contre Blum. Est-ce que ça a pesé ? Il y a eu des erreurs d’arbitrage, c’est vrai. Mais quel arbitre n’en commet pas ? » Les Auvergnats n’inscriraient plus un seul point et pourtant, ils joueraient trente minutes en supériorité numérique après l’expulsion du pilier narbonnais Escaffre. Au contraire, les Audois allaient arracher la victoire en marquant deux essais sur débordements par Ponsaillé et Vals. Ils avaient gagné la bataille du jeu offensif. Côté clermontois, on critiqua l’entraîneur qui avait choisi de faire jouer l’arrière et capitaine Maurice Savy au centre. Une décision curieuse, motivée par des considérations tactiques, un choix qui désorganisa le système de jeu clermontois. Narbonne s’imposa donc sans vraiment trembler.

Futur maire marqueur d’essai

Le soir de la finale, à 23 heures, 2000 personnes s’étaient massées devant la gare pour accueillir les vainqueurs. Léon Blum envoie un télégramme de félicitations. On rapporta que l’»Internationale » avait été chantée dans le vestiaire narbonnais. Un journal local écrivit même : « Le chef du gouvernement de demain est l’ému de Narbonne. Le scrutin législatif vient de dresser les Rouges contre les Blancs et Montferrand jouait en blanc et Narbonne en rouge. Non, Narbonne ne pouvait pas perdre. J’ose pousser plus loin ce rapprochement sentimental et souligner que le match d’hier fut le la réédition du scrutin législatif… La ville rouge est aujourd’hui le nombril de la France. » A noter que l’auteur de l’essai victorieux, Francis Vals (80 kilos tout de même) fut élu par la suite maire et député de Narbonne, comme quoi cette finale était vraiment très politique.

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