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Mignot, Bleu de travail

Par Nicolas Zanardi
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    Mignot, Bleu de travail
Publié le Mis à jour
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En passe de devenir le premier international du FC Grenoble depuis vingt ans, l’ailier Xavier MIgnot passé en moins de quatre ans de la Fédérale 1 au niveau international touche les fruits d’un sacré caractère et d’une force de travail hors-normes, développée dès son plus jeune âge. Rencontre.

Le rugby aime à se nourrir de paradoxes. Car si Xavier Mignot est bien sur le point de devenir, pour l’éternité, le premier international du FC Grenoble depuis Olivier Brouzet en 1996, il n’en demeure pas moins un gamin du Nord-Isère. Un gone, un vrai, à l’accent traînant taillé dans les murs en pisé des rivages de la Bourbre. Toujours domicilié à Genas, à quelques hectomètres de l’aéroport Lyon-Saint-Éxupéry, le beau gosse à la mèche rebelle a en effet effectué toute sa formation sous les couleurs ciel et grenat du CS Bourgoin-Jallieu, dont son père fut longtemps le directeur du centre de formation, puis le manager.

Cocasse ? Pas vraiment… Plutôt une déchirure si l’on veut bien divulguer ce secret de Polichinelle, selon lequel une des raisons invoquées voilà deux ans par les dirigeants du CSBJ pour évincer Laurent Mignot fut d’avoir trop favorisé l’ascension de son fils. L’actualité étant là pour souligner la médiocrité du grief, le désormais entraîneur de Bourg-en-Bresse préfère jeter un voile pudique, toute polémique stérile. « C’était mon fils et nous étions à Bourgoin… Le CSBJ a été repris par des gens qui parlaient de «Berjallie», sans savoir ce que cela voulait vraiment dire... Et puis, Bourgoin est une petite ville, où la jalousie est le maître-mot. Cela a été difficile pour tous les deux, surtout pour lui. » Des propos prolongés par l’intéressé… « Bourgoin était un bon club formateur, tranche Xavier Mignot. J’ai grandi là-bas grâce à d’excellents éducateurs, dont mon père à qui je serai éternellement reconnaissant. Mais il y avait, et il y a toujours de mauvaises personnes dans ce club, qui ne sont pas dignes d’une structure professionnelle. »

« Le boucher plutôt que le veau »

Le ton est donné : franc, direct, et peu embarrassé des précautions de langage trop souvent associées au sport de haut niveau. Une preuve supplémentaire selon laquelle on ne saurait renier ses origines… Car si Mignot est bien parti pour incarner le présent et le futur du FCG (avec lequel il est engagé jusqu’en 2019), impossible de ne pas déceler en lui les valeurs ancestrales de la «Berjallie» des Nallet, Bonnaire, Papé, Parra, et on en passe… Ce qui frappe en effet chez l’Isérois, au-delà de ses prédispositions physiques et de ses exploits individuels cette saison (cet essai de soixante mètres contre La Rochelle, ce cad’-deb’ d’école sur Josua Tuisova…) c’est surtout son mental en acier trempé, qui ne devrait pas être pour déplaire à Guy Novès. « C’est un gros caractère qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, dévoile son voisin et co-voiturier Fabrice Estebanez, avec qui il partage les voyages quotidiens en direction de Grenoble. Dans le rugby moderne, c’est simple : soit tu marches sur les autres, soit tu te laisses marcher dessus. Ça, Xavier l’a très bien intégré… »

« Je pense que sa maman, Béatrice, y est pour quelque chose aussi, s’esclaffe Laurent Mignot. Nous avons toujours expliqué à nos enfants que dans le rugby comme dans la vie, on est soit le boucher, soit le veau. Dans la vie, il est très gentil, mais quand il entre sur un terrain, il devient vraiment lui. » « Il ne faut pas m’ennuyer, c’est tout, sourit Xavier. Je ne sais pas si c’est une seconde personnalité ou la vraie qui s’exprime, mais sur un terrain, je suis plutôt un battant, je ne lâche rien. Et j’ai surtout horreur de l’injustice… » Comme à Agde, lors de ce guet-apens tendu par les Héraultais voilà quatre ans pour la réception du CSBJ, dont la bagarre fait encore les beaux jours des plates-formes vidéo. « J’étais remplaçant, mais j’étais entré faire un tour sur le terrain, rigole aujourd’hui Xavier Mignot. La Fédérale 1 a été un bon apprentissage… La base, en rugby, c’est de dominer son adversaire direct, physiquement, techniquement ou mentalement. J’ai appris qu’il fallait savoir utiliser ces trois aspects-là pour exister sur un terrain. »

« Vous savez, prolonge Laurent Mignot, j’ai eu la chance de participer à la formation de nombreux joueurs qui ont fait carrière, comme Morgan Parra, Yann David, Sylvain Nicolas, Vincent Pelo, Marco Tauleigne… À ce titre, je me suis toujours aperçu que ce qui faisait la différence entre ces joueurs et les autres réside dans les capacités non-techniques. De ce point de vue, Xavier est bien pourvu, alors qu’il n’était pas un surdoué du rugby au départ. En revanche, il a toujours travaillé plus que les autres. »

À la muscu… dès douze ans !

Et cela avant même la puberté, à une époque où la plupart des rugbymen de son âge ne songent qu’à se montrer populaires au collège… « Xavier a eu une maturité tardive, se souvient Laurent. À seize ans, alors qu’il était cadet première année, il n’avait dû jouer qu’un seul match entier dans la saison ! Pourtant, quand vers 12 ans je lui avais posé la question : « mon gars, que veux-tu faire de ta vie ? », il m’a répondu qu’il voulait être rugbyman professionnel. Je lui ai dit, « C’est bien simple, tu dois t’entraîner. » Et depuis, il fait tout pour. » À commencer par du renforcement musculaire, entamé à l’âge de douze ans dans la maison familiale, après que papa eut installé un matériel rudimentaire… « Ce qui est drôle, c’est qu’au début, les gens pensaient qu’il ne grandissait pas parce qu’il faisait de la musculation trop jeune, s’amuse Laurent Mignot. Sauf que le rugby est un sport de contact dans lequel il faut être prêt, et que cela ne s’improvise pas sur le tard. Xavier en est la preuve. »

« Certains pensaient que c’était fou de commencer si tôt, sourit le futur international. Et après, on s’étonne que les jeunes des autres nations soient si forts… Je voulais simplement ne pas me fermer une porte par manque de travail. Le paradoxe en France, c’est que les formateurs ont compris depuis longtemps que pour rivaliser avec les meilleures nations mondiales, il faut avant tout s’entraîner. Et en même temps, on continue à définir le talent selon des critères innés… Alors que pour d’autres, à commencer par les Anglo-Saxons, la force de travail en est aussi un. »

Un autre Nord Isérois célèbre, Hector Berlioz, disait en son temps « Ah ! quel talent je vais avoir demain » en référence à ses gammes incessamment répétées. Preuve est faite que ce qui est vrai pour le piano peut aussi se vérifier en rugby, le stakhanovisme de Mignot parvenant même à impressionner ses coéquipiers les plus chevronnés, à commencer par Fabrice Estebanez. « Je suis constamment en train de l’attendre, car il est toujours le dernier à partir de l’entraînement… En plus du travail au club, il y a une salle à Genas où il va régulièrement, et il s’astreint tous les mercredis à des séances de vitesse et d’appuis avec Franck Romanet, l’ancien joueur de Bourgoin et Lyon. Des fois, j’aimerais qu’il se lâche et vienne accompagner le « vieux » à l’apéritif ! Mais c’est lui qui a raison, bien sûr… »

« Le rugby moderne est simple : soit tu marches sur les autres, soit tu te laisses marcher dessus... et ça, Xavier l’a très bien intégré. » Fabrice Estebanez, trois-quarts centre de Grenoble

Centre ou ailier ?

Le résultat ? C’est qu’aujourd’hui, Mignot a donné raison à son aîné, qui nous confiait dès le mois de mars qu’il pourrait « très vite mettre tout le monde d’accord à Marcoussis ». Mais à quel poste ? Ailier depuis le début de la saison et sélectionné en tant que tel, Xavier Mignot demeure un deuxième centre de formation, exilé en bout de ligne à Grenoble en raison du licenciement de Ratini en début de saison. La sélection pourrait-elle le contraindre à se reconvertir définitivement ? À ce sujet, Xavier Mignot a choisi de ne plus choisir, en prenant les choses comme elles viennent. « Je n’ai plus de préférence ni d’a priori… J’ai appris à aimer les deux postes, et je n’y attache plus d’importance. » Même si ses proches ont une petite idée de ce que le futur pourrait lui réserver… « Au fond de lui, il se sait plus trois-quarts centre, juge Estebanez. Mais il a les qualités pour jouer aux deux postes, et cela ne peut être qu’un atout pour l’équipe de France. » « Cette année, Xavier s’est découvert des qualités de vitesse et d’explosivité qu’il n’exprimait pas forcément auparavant, pose Laurent Mignot. Quand vous êtes d’une maturité tardive, vous pensez toujours être physiquement en dessous des autres. Mais les qualités de vitesse se développent pendant l’enfance, et avant l’âge de dix ans, il était très rapide. Je savais qu’il avait toujours ça en lui. Il fallait juste attendre un déclic pour qu’elles reviennent. »

Une sélection… entre deux examens !

Et ces qualités ont bel et bien éclaté cette saison, en 22 titularisations pour six essais… Pour le plus grand bonheur de tout son entourage, ravi de fêter lundi dernier deux événements, à savoir cette première convocation en bleu, et surtout les derniers examens du cursus scolaire suivi par Mignot, à savoir un DUT GEA. Lesquels se sont étrangement chevauchés… « J’ai appris ma sélection lundi matin en sortant d’un des examens, s’amuse Xavier. J’y suis retourné l’après-midi, mais il fallait faire un peu abstraction de tout ça pour me reconcentrer sur les épreuves et ne pas me relâcher. » De quoi se remettre illico les pieds sur terre avant une tournée qui sera suivie d’un élément des plus marquants, à savoir son mariage avec Anastasia. « Il a fallu le traquer un peu, mais lundi soir, il a quand même payé sa coupe de champagne ! se marre Estebanez. C’est un super-gamin, assez réservé, mais très humble, très aimable. Je suis persuadé qu’il peut faire les beaux jours du XV de France. Le seul conseil que je lui ai donné ? Simplement de se montrer égoïste dans le bon sens du terme. C’est-à-dire montrer, lors de chacune de tes interventions, que tu as deux fois plus envie que n’importe qui d’autre sur le terrain de porter le maillot bleu. Les places sont si chères… » « Comme je lui ai dit, dans la vie, on est souvent appelé par défaut, s’amuse Laurent Mignot. À lui de profiter de l’opportunité pour saisir sa chance… »

Un rendez-vous pour Xavier ne pourra pas compter sur le soutien des siens en Argentine. Un choix aussi superstitieux qu’assumé. « Xavier joue au rugby depuis les moins de neuf ans, souffle Laurent Mignot. En tant que papa et responsable de l’école de rugby, je me suis très vite rendu compte que lorsque j’étais derrière lui, j’étais plus castrateur qu’autre chose. Je l’inhibais. Du coup, depuis lors, j’évite de le suivre. Lorsqu’il était en équipe de France des moins de vingt ans, je regardais les matchs devant ma télé, et je ferai de même dans deux semaines. » Pour un succès identique, on l’espère, à celui du dernier ailier international passé par Grenoble. Un certain Vincent Clerc avec lequel, en ce qui concerne l’humilité et la force de travail, Xavier Mignot présente de troublants points communs…

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