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Racing 92 : Et la tendresse, bordel ?

Par Marc Duzan
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    Racing 92 : Et la tendresse, bordel ?
Publié le Mis à jour
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Lorsque l’on évoque le Racing, on parle généralement du chéquier de Lorenzetti, des biceps de Le Roux ou du coup de pompe de Carter. Un poil réducteur, n’est-ce pas ?

Ils auraient dû s’écrouler après avoir croisé la route des « Saraboks ». Ils auraient dû crever la gueule ouverte à l’instant où Wesley Fofana interceptait le dernier ballon d’une inoubliable demi-finale. Ils auraient dû sombrer dans la dèche à la seconde où Mathieu Raynal les amputait d’un bras, à Barcelone. C’est finalement Patrick Serrière, le capitaine des années show-bizz, qui résume le mieux la pensée ambiante : « Merde, j’ai tout entendu sur cette équipe ! Une bande de mercenaires, des VRP du rugby, une simple entreprise.. Mais le pognon et les muscles ne font pas tout. Ces mecs ont logiquement battu le RCT à quatorze après avoir disputé dix-neuf matchs consécutifs ! C’est bien la preuve qu’ils ont quelque chose de spécial, non ? » Un instinct de survie, peut-être. Une forme de résilience, aussi. Ou alors, la revanche de vieilles carlingues à qui l’on avait promis la casse. « À la boxe comme à la chasse, souffle Masoe, il n’y a rien de plus dangereux qu’une bête blessée. » Il y a un an, le RCT ne voulait plus du vieil All Black, tout à coup ringardisé par le quintal en titane de Duane Vermeulen. Meurtri, Chris a alors rejoint la filière castraise des Hauts-de-Seine et célèbre aujourd’hui son premier Brennus avec la gloutonnerie qu’on lui connaît en pareilles circonstances. Une semaine après avoir disputé soixante-dix minutes d’une demi-finale de Top 14 avec une épaule en lambeaux, le Samoan s’est donc rappelé au bon souvenir de Steffon Armitage, qu’il fracassa sur chacun des rucks où ils croisèrent le glaive. « Le rugby est une guerre stratégique, assure Ronan O’Gara. Et les stratégies doivent être avant tout servies par de bons généraux. À la seconde où Max (Machenaud, N.D.L.R.) a été expulsé, Chris a ainsi regroupé l’équipe pour leur signaler que les Toulonnais avaient célébré le carton rouge comme une victoire… Ça nous a agacés… »

Fallait pas l’énerver, Masoe. Fallait pas, non plus, conclure que l’aventure en France de Rokocoko n’avait été jusque-là qu’une vaste blague. Laurent Labit raconte : « J’essayais de récupérer Joe depuis des années. Ce n’est un secret pour personne : son expérience à Bayonne n’était pas satisfaisante et il réfléchissait depuis quelque temps à un départ. Vous voulez savoir ? » Ma foi. « Pour un coach, ce mec est un pur bonheur… Joe conseille Louis Dupichot ou Teddy Thomas sur leurs attitudes, réfléchit constamment à l’évolution de ce son poste, transmet son savoir… À ses yeux, la concurrence n’existe pas dans un même club. La compétition, il va la chercher chez ses adversaires directs. » L’hommage est-il aussi un message subliminal adressé à Jonathan Sexton ou Jamie Roberts, stars de jadis dont on disait qu’elles ne s’impliquaient guère dans la vie du groupe ? On le jurerait. « À la fin du match, sourit Lorenzetti, le président de Bayonne (Salagoïty) m’a appelé pour me dire : « Jacky, tu te rappelles que, dans le contrat, il y avait une clause ? Tu dois me rendre Joe si je remonte en Top 14 ! » Je lui ai répondu : « Chante, chante, Francis ! » Je crois que ça l’a fait rire… » Au sujet du vieux Joe (34 ans), son alter ego Juan Imhoff en appelle à l’enfance pour justifier la révérence : « Il a longtemps été ma seule idole. Petit, je demandais même à ma mère de me réveiller à 7 heures du matin pour le regarder disputer les Four Nation avec les All Blacks. Joe est un magicien et au Camp Nou, il s’est une nouvelle fois servi de sa baguette… »

La « filière biterroise » se défend

Le Racing s’est forgé un caractère en recrutant Masoe et Rokocoko. Il s’est aussi acheté un « match winner » en séduisant Carter. « Son envie de gagner est contagieuse, sourit Johan Goosen. Vous savez, je n’ai jamais aimé plaquer Tuisova. Je le trouve même assez effrayant. Mais j’aurais pu le faire tomber dix fois pour protéger Dan ! » Quoi d’autre ? En offrant à Yannick Nyanga la possibilité de terminer sa carrière aux côtés de son « frère » Szarzewski, le Racing s’est aussi payé le flanker « grand champ » dont il manquait jusque-là, le Charly Magne reliant le pack à sa caravane. Souvent oublié des phases finales à l’époque des campagnes du Stade toulousain, Nyanga a prouvé ces dernières semaines qu’il aurait dû disputer le Mondial à la place de Damien Chouly. Mieux, il a ponctué de la plus belle des manières une histoire d’amour née vingt ans plus tôt : « À la fin du match, Dimitri m’a sauté dans les bras et m’a dit : « On l’a fait ! Putain, on l’a fait ! » Je nous ai alors revus quinze ans plus tôt. Il était troisième ligne à l’époque, avant que sa petite taille ne le fasse passer au talon. Nous étions déjà inséparables, colocataires à Montpellier la semaine et inséparables le week-end : quand j’allais chez ma mère le vendredi soir, il me suivait. On passait une nuit là-bas avant de filer chez la sienne. » Champions de France Crabos en 2001, Nyanga et Szarzewski ont ainsi lié leurs destins dans l’Hérault, où Philippe Bonhoure (l’arbitre vidéo de la demi-finale) était alors leur éducateur. « À ce propos, enchaîne Nyanga, j’ai trouvé le coup de gueule de Franck Azéma ridicule. Il a parlé de filière biterroise. Il a crié au complot héraultais. Est-il sérieux, franchement ? Est-ce que je vais hurler à la conspiration, moi, à chaque fois qu’il sera arbitré par un Catalan ? Pfff… Tout ça est tellement réducteur qu’on ne devrait même pas en parler… »

Chavancy, la vigie

Un air de revanche, une amitié confinant à l’amour, des « œufs gros comme ça » (Imhoff) et dans la nuit barcelonaise, une lumière. Le nez collé au bouclier et les yeux rougis par l’extase (ou le houblon, remarquez), Henry Chavancy s’affranchit quelques instants du discours protocolaire qui est habituellement le sien lorsqu’il affronte un journaliste, avance une main tremblante vers le précieux et, de l’index, met en lumière les dorures : « Regarde : 1892, Racing Club de France ! 2016 ? Racing 92 ! Nous sommes le premier et le dernier champion de France. Voilà, la boucle est bouclée. » À l’instant où le trois-quarts centre Ciel et Blanc part d’un rire sonore, Ronan O’Gara dresse un pont entre sa propre histoire et celle du Poulbot francilien, à ce point représentatif du club que le mini bus des espoirs porte le nom de Chavancy Mobile. « Les mecs seraient prêts à crever pour lui, lâche l’ancien demi d’ouverture irlandais. J’ai un peu connu la même chose à l’époque où j’étais le fils du Munster. […] Vous savez, on a eu des mots, avec Henry. Il n’était pas professionnel. Il faisait trop la fête, mangeait n’importe quoi. Aujourd’hui, l’équipe de France pourrait pourtant créer un truc autour de lui. Il ne fera jamais des choses folles comme Fofana mais il peut déblayer trente rucks par match, réaliser quinze plaquages (seize vendredi soir) et monopoliser deux défenseurs sur chaque prise de balle… » Alors, on ne sait pas vraiment si « Riton » embrassera bientôt une carrière internationale, si le Racing est la nouvelle super-puissance du vieux continent et qui de Franck Azéma ou de l’inspecteur Derrick démembrera la filière biterroise. En revanche, on est aujourd’hui certain, qu’au Racing, un cœur bat sous la carapace et que ce champion de France, atypique à bien des égards, mérite d’être au moins autant aimé que tous ceux l’ayant précédé…

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