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Les arbitres jugent la vidéo !

Par Jérôme Prévot
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    Les arbitres jugent la vidéo !
Publié le Mis à jour
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On a beaucoup phosphoré à Luz-Saint-Sauveur. Les arbitres ont notamment travaillé sur les recours à la vidéo qui hachent les matchs. Pour assumer au mieux ce mal nécessaire, ils se sont totalement réorganisés avec une brigade de spécialistes.

À tous ceux qui vocifèrent dans les gradins ou bien assis dans leur canapé, on aurait envie de proposer de suivre les arbitres de Top 14 et de Pro D2 en stage de début de saison. Peut-être que ça couperait (un peu) le sifflet à tous les râleurs et à tous les ingénieurs du rugby qui ramènent leur science avec condescendance. Qu’auraient-ils vu à Luz-Saint-Sauveur la semaine dernière ? Une trentaine de jeunes athlètes, moins musclés mais largement aussi affûtés que des joueurs, en train de plancher comme des futurs énarques sur les sujets les plus épineux.

Ils auraient vu à quel point les arbitres sont exigeants entre eux, sous le management parfois cinglant de Didier Méné : « Ceux qui ne voient pas ce qui se passe sur cette action n’ont rien à foutre ici ; qu’est-ce que tu attends pour siffler ? Qu’il tue la mère de son adversaire ? Putain, vous n’avez pas vos documents sur vous ? Vous êtes venus en touristes ? » Comme un entraîneur, devant les vidéos, le patron ne fait pas de cadeaux. « Pourquoi n’as-tu pas sifflé cette brutalité ? Parce que l’équipe était déjà à quatorze ? Si elle doit jouer à treize, elle jouera à treize ! » L’homme a tout pouvoir sur la carrière de ses poulains, mais en contrepartie, en cas de coup de Trafalgar, il fait tout pour les protéger. Les arbitres d’élite dansent ainsi en permanence sur un volcan. Quand ils se retrouvent, comme dans cet écrin pyrénéen, ils se préparent à toutes les tempêtes. Habitués à la remise en cause, ils phosphorent avec un double but : avoir réponse à tout et mieux encore, donner sur chaque terrain, le même verdict aux situations les plus épineuses pour éviter l’accusation la plus désagréable à leurs yeux : le manque de cohérence.

Fiches mémoires, précieux bréviaire

Les plaquages offensifs, le jeu en l’air, les leurres… Pour chacune de ces pommes de discordes potentielles, Didier Méné, Franck Maciello (DTN du secteur professionnel) et Mathieu Raynal, l’un des quatre arbitres professionnels, confectionnent des antidotes, les fameuses « fiches mémoires », bréviaires précieux pour les moments brûlants, quand joueurs et entraîneurs pourraient rivaliser de mauvaise foi. « Sur les joueurs soulevés, regardez si le plaquage est au-dessus de la ceinture ou pas ! S’il est au-dessus, on ne peut pas dire qu’il y a une volonté de nuire du plaqueur. Le geste n’est donc pas illégal, même s’il reste dangereux… » Les discussions s’éternisent, on rivalise de subtilité sur un « caramel » ou sur un balayage ou sur la formulation d’une phrase : « Sur les plaquages « cathédrales », on ferait peut-être mieux de supprimer la notion de lâchage du joueur avant qu’il ne touche le sol, ça ne change finalement rien. Et si on supprimait la question de savoir si les pieds montent plus haut que les hanches ? Ça n’amène rien non plus, non ? »

Conflit… intérieur

Mais cette casuistique a franchi un cap en 2016. Jamais avant ce stage de Luz-Saint-Sauveur on n’avait aussi nettement perçu les arbitres en Sisyphe modernes. On leur offre la vidéo comme un remède suprême, ils se retrouvent à gérer les problèmes qu’elle suscite. Cette saison, M. Méné et son staff ont constitué une brigade de huit arbitres spécialistes recrutés par concours interne parmi les arbitres de Pro D2 et les juges de touche. À ces huit « vidéastes », s’ajouteront les arbitres centraux, eux aussi préposés par moments aux petits écrans. « La vidéo généralisée demandait un nouveau profil. Avant, nous demandions à des anciens arbitres plus toujours impliqués dans l’actualité du jeu… Mais on n’en est plus à la seule question du toucher dans l’en-but. À partir du moment, où l’on peut intervenir partout sur le terrain, où l’on s’intéresse aux passes en avant, où l’on doit vérifier le début des actions pour des questions de passages à vide, où qu’on peut intervenir directement même si l’arbitre central n’a rien demandé, on ne recherche plus les mêmes profils. Nous devions être plus exigeants », poursuit Didier Méné. Les conditions d’autosaisie de la vidéo ont donc fait l’objet d’une discussion, avec révision des vingt questions du fameux concours.

Le verdict des images n’est donc plus seulement une solution miracle, elle est devenue une véritable obsession. Les arbitres et leurs cornacs sont bien conscients ce que ce recours a d’agaçant pour le grand public, frustré par des matchs de plus en plus hachés. Didier Méné ne contourne pas le problème : « Oui, j’en suis conscient. À titre personnel, je suis d’accord avec cette exaspération. Et je serais favorable à un retour à la vidéo uniquement dans les cinq mètres. Ce protocole ne nous convient pas, il est trop étendu. Mais la France ne peut pas en sortir seule. »

Les fonctions de M. Méné l’obligent à la schizophrénie la plus complète. « Devant ma télé, je suis le premier à sursauter, à me surprendre à rêver que les arbitres prennent leurs responsabilités, comme à l’époque où j’arbitrais. Oui, ça m’énerve de voir qu’on perd du temps. Mais en tant que patron des arbitres, je suis bien obligé de l’accepter. » Et en bon officier inflexible, le boss des arbitres continue à trouver normal de travailler à… se faire du mal : « Jamais je ne demanderai aux arbitres de moins faire appel à la vidéo. Compte tenu des enjeux, ils sont obligés d’utiliser cet outil puisqu’il est à leur disposition, sinon ce serait une faute professionnelle. Si j’étais encore arbitre je ferais comme eux. Personne ne veut prendre le risque de faire une erreur sans avoir vérifié. Mais je tiens à dire qu’on ne fait statistiquement pas plus appel à la vidéo en Top 14 que dans les autres compétitions. Et à ceux qui me parlent d’une déresponsabilisation des arbitres, je rappelle quand même qu’in fine le dernier mot reste toujours celui qui est sur le terrain. »

Le boss ne craint pas en revanche de voir les images litigieuses diffusées sur les écrans géants des stades, au risque de provoquer l’excitation du public. La nature de l’arbitre, seul contre tous et droit dans ses bottes, reprend le dessus. « Au début, j’étais contre, mais après réflexion, je ne vois pas pourquoi on ne les montrerait pas. D’abord, elles ont une vertu pédagogique et nous ne sommes pas censés nous tromper avec la vidéo. De toute façon, mes arbitres sont capables de résister à une foule qui siffle autour d’eux. Ils ont dépassé ce stade. Sinon, ils ne seraient pas là. »

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