Abonnés

Après le chien

Par benoit_jeantet
  • Après le chien
    Après le chien
Publié le Mis à jour
Partager :

Parce que ses enfants peinent à trouver le sommeil, leur père y va de sa petite histoire. Une histoire de chien et de rugby...

Voilà. C’était la nuit dernière et c’était une nuit où les enfants ne dormaient pas. Le gel faisait craquer les armoires. Ils avaient peur. Peur, entre autres, de l’orage qui menaçait. Peur, surtout, des chiens des fermes alentour qui hurlaient à la mort, gémissaient dans une atmosphère de fin du monde. Les chiens…Les hurlements du chien qui précèdent la mort d’une personne…Ce sixième sens qu’on leur prête…Les chiens, les couinements frénétiques des chiens de catastrophe capables de détecter la vie sous les décombres…Les chiens, les jappements féroces des chiens de chasse et leur pouvoir de défaire la nuit de l’animal sauvage…Les chiens, intermédiaires entre le monde des vivants et l’au-delà. Les chiens passeurs de mort…Les chiens, d’où qu’on observe les choses- de la caverne des premiers temps domestiques jusqu’au buron immuable du berger, en passant par les monuments funéraires de la Haute Egypte où ils étaient même élevés au rang de dieux, sans parler des simples toutous de compagnie et autres meilleurs amis de l’homme- oui, les chiens ont toujours été des animaux à part, des êtres fascinants ; dotés pour beaucoup de facultés quasi divinatoires. Les chiens…

Oui, la nuit dernière, je crois que ce sont les hurlements des chiens qui ont effrayé les enfants. Que c’était surtout de ça dont ils avaient peur. Vraiment peur. La peur, leur ai-je dit, ça peut faire que ta peau elle racle les draps d’un peu trop près. Que ta nuit, c’est un match à la vie à la mort. Un match qui va se disputer au meilleur de ton squelette, de tes muscles qui se crispent tout à coup pour des riens et de toi, de toi tout seul, et si je leur ai dit tout ça, c’est parce qu’il fallait bien que leur attention se fixe sur autre chose, se détourne un peu de la source de leur terreur. Ca je le sais, moi aussi il m’arrive encore d’avoir peur, des fois. Les enfants écoutaient. L’orage à présent semblait tout proche. D’une ferme à l’autre, les chiens continuaient de prévenir le monde de l’imminence de quelque danger, et alors je leur ai raconté l’histoire de ce cabot- en théorie il appartenait au voisin mais c’était un de ces chiens sans collier qui fouillait et retournait les poubelles. Qui ne se laissait pas approcher de trop près mais m’avait pourtant à la bonne depuis que j’avais pris l’habitude de le nourrir en douce en prélevant quelques restes, par-ci par là. Un poil rongé par la gale et une vieille carcasse de 4 l, que son propriétaire laissait pourrir dans la cour, en guise de niche- oui, alors je leur ai raconté l’histoire de ce cabot qui m’accompagnait, la veille de chaque match, lorsque je partais courir une heure dans la foret profonde, pour tromper la peur. Cette fichue peur de mal faire-mal jouer qui revenait me serrer l’estomac, ça ne manquait jamais…

Oui, alors, je leur ai raconté ça. Que, moi, quand j’étais un enfant comme eux, quand j’avais leur age et tout, que moi et bien lorsque je partais courir avec ce vieux border colley- un chien tout chassieux, baveux. Jamais été trop doué avec les moutons, aux dires de son maître. Même plus assez bon pour rassembler les poules- alors je pouvais voler. Que je pouvais vraiment-vraiment voler. Voilà ce que je leur ai dit. Je ne sais pas trop d’où ça vient ce besoin qu’on a de leur raconter ces choses-là. Je ne sais pas. N’empêche. Ils se sont apaisés. Ont fini par s’endormir. Et l’orage a éclaté…

Cette nuit, la nuit dernière, comme finalement je ne dormais pas- bien fait, voilà, ça m’apprendra à leur raconter n’importe quoi, aux enfants. Bien fait- cette nuit, alors tout soudain ça a fait comme un grand bruit. Comme si la main de quelqu’un, le doigt de quelque chose, s’était mise à fendre le ciel à grands coups de hache. Ca a fait comme ça. Alors je me suis levé. J’ai collé mon nez à la fenêtre. Et là j’ai vu qu’un vent gonflé d’orgueil soufflait à nouveau sur les hautes plaines. J’avais six ans. Et c’était un age où donc j’étais un garçon qui pouvait vraiment-vraiment voler. C’était un age où j’étais en train de courir, de m’enfoncer dans la nuit noire, les ténèbres de la foret profonde, lancé à la poursuite d’un vieux border colley et dans ses flancs un sang noir s’était remis à battre, et il ne faisait plus son age, ce vieux cabot, lui-même lancé à la poursuite d’une biche, d’un chevreuil, d’un renard…et qu’alors, libéré de ma peur de mal faire-mal jouer par la simple ivresse du mouvement et de cette course folle après cet animal, comme ça sans but, je pouvais m’inventer tout un tas de fictions où j’embrassais la vie et le monde. Avais-je vraiment besoin de toutes ces courses en solitaire après ce chien, pour apprécier d'avantage les joies collectives de ce jeu de rugby qui n’est qu’une façon comme une autre- la plus absolue, oui sans doute. Une ébauche de sociologie à l’usage du monde. Aussi- oui, une autre manière, ô combien compliquée quelquefois, de faire société avec des jeunesses tellement disparates...

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?