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C’était le clasico

Par Vincent Bissonnet
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Publié le Mis à jour
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Si l’affiche du soir dégage encore une aura particulière, elle a perdu de sa superbe ces dernières années. Les héros d’hier se souviennent de la magie de ces moments uniques.

«Stade toulousain - Stade français : le clasico est de retour ! » Lundi après-midi, le service communication du club rouge et noir envoyait à tous ses destinataires ce courriel pour rappeler l’importance et le prestige de la rencontre à venir. En misant sur la nostalgie et l’affectif du « plus symbolique des duels ».

Sportivement, médiatiquement, la confrontation ne constitue plus le sommet du championnat. Le classement actuel des deux formations, amenées à batailler pour la qualification, ne plaide pas en leur faveur. Le calendrier non plus : le match Capitole - Capitale se trouve placé dans l’ombre du choc Toulon - Clermont, programmé le lendemain. Canal + n’a guère dû hésiter à l’heure de choisir la programmation de cette 6e journée. « Ce match a encore une aura mais a tout de même changé de dimension, analyse David Auradou, entraîneur de Mont-de-Marsan, capitaine du Stade français à ses plus belles heures. Il ne faut pas les enterrer mais ces deux clubs ne sont plus tout en haut du classement. Maintenant, c’est plus le Racing, Clermont, Toulon… » « Il y avait une vraie suprématie en jeu entre les deux. Désormais, il y a une demi-douzaine d’équipes qui se disputent les titres », appuie Jérôme Fillol, grand connaisseur du sujet pour être passé par les deux maisons.

« C’était le PSG - OM des années 90 »

Dans un entretien croisé réalisé en mars dernier, avant la confrontation au stadium, René Bouscatel et Thomas Savare avaient évoqué la dévaluation progressive de ce rendez-vous : « Je crois qu’il y a toujours une rivalité particulière entre nous, même si l’équilibre des pouvoirs a été un peu bouleversé ces dernières années au sein du Top 14 », reconnaissait le président parisien. « Je ressens un brin de nostalgie d’une époque durant laquelle les relations humaines étaient très fortes dans notre sport », avait confié son homologue haut-garonnais, en mémoire du bon vieux temps. Réponse un brin sarcastique mais pragmatique de l’homme fort du Stade français : « C’est peut-être aussi la nostalgie de ce temps où les deux clubs étaient un peu plus souvent en haut de l’affiche. »

Moins clinquant, quelque peu décati, le « clasico » n’en reste pas moins un monument historique. Son évocation ravive des souvenirs en pagaille chez les héros d’hier : « C’est simple, c’était le PSG - OM des années 90 », dessine Christian Labit, numéro 8 du Stade au début de la décennie précédente. Un événement populaire, médiatique et sportif sans égal à l’échelle du rugby. « Chacune de nos confrontations était des finales avant l’heure, se souvient « Bibi » Auradou. C’était le match à ne pas rater. » « Celui que tout le monde cherchait quand le calendrier sortait », rappelle Jérôme Fillol. Le demi de mêlée n’a rien oublié de toutes les petites histoires ayant forgé la grande : « Ce qui me revient en premier et m’a le plus marqué, ce sont les semaines précédant ces matchs. Le lundi d’avant, il n’y avait plus personne à l’infirmerie. Tout le monde voulait jouer et redoublait d’efforts. Il y avait une excitation qui allait crescendo. Jusqu’aux discours d’avant-match où les mots devenaient plus virulents, plus durs… » « Toute la semaine, les présidents y allaient de leurs déclas et de leurs mots, en on comme en off, sourit David Auradou. Les médias en faisaient leurs choux gras et faisaient monter la pression. Maintenant, ça paraît commun car, avec les réseaux sociaux, il y a un tel flot d’informations mais, à l’époque, ça faisait du bruit. Je me souviens encore des articles placardés dans le vestiaire… »

« 80 % de l’équipe de france était sur le terrain »

Les éléments du décor assuraient à chaque fois une rencontre riche en émotions, en rebonds, en frictions : « Il y avait une vraie dramaturgie autour de ce match. » « Des présidents aux joueurs, la rivalité était partout, poursuit Christian Labit. À mon époque, il y avait Bernard Laporte d’un côté et Guy Novès de l’autre. Deux entraîneurs qui voulaient être le numéro 1, vous imaginez. Et 80 % des joueurs de de l’équipe de France étaient répartis entre les deux équipes. Du coup, chacun se retrouvait face à son concurrent. » « Le collectif avait à gagner mais les individualités aussi, reprend le technicien du Stade montois. Par exemple, je me retrouvais face à Fabien Pelous. Chacun voulait prouver vis-à-vis du sélectionneur. »

De tous ces enjeux découlaient des rencontres âpres, rudes. Viriles mais correctes ? « Il y a eu quelques bagarres et frictions mais rien de méchant », assure Jérôme Fillol. Christian Labit précise : « Le Stade français était l’équipe la plus agressive. Surtout quand les vieux bougons étaient de retour, les Serge Simon et les Vincent Moscato. C’était très tendu, dur physiquement et d’une intensité rare. Mais c’était relativement sain : il faut dire que tout le monde se retrouvait en équipe de France dans la foulée. »

Cette confrontation dépassait finalement les simples limites du terrain. « Max Guazzini a su l’exploiter à merveille pour promouvoir le rugby dans le Nord. Les gens ne vivant pas dans le Sud se sont identifiés au Stade français », évoque Christian Labit. Et vice-versa : les supporters toulousains se sont resserrés face à l’adversité. « En déplacement, tu sentais l’animosité des supporters, témoigne Jérôme Fillol. Quand tu arrivais à l’aéroport, quand tu étais dans le bus allant au stade, à l’échauffement… Ce n’était pas forcément méchant mais tu sentais une vraie hostilité. » Cette part de folklore et de sport-spectacle a ainsi grandement contribué à la légende du clasico, à l’engouement inégalé : « En 1999, je me souviens qu’il y avait eu 90 000 demandes pour un match, reprend le numéro 8 aujourd’hui membre de l’encadrement du RCNM. Le Stade de France n’était pas assez grand. C’était du jamais vu : les gens dormaient sur place pour acheter leur billet, il y avait des queues de cinq cents mètres… J’ai aussi le souvenir du Stadium en ébullition, toujours en 1999. C’était un moment génial. » Ce samedi, Ernest-Wallon ne résonnera sûrement pas des mêmes vibrations. Le clasico est désormais passé en classe-éco. L’actuel intérêt sportif de ces énièmes retrouvailles entre deux clubs sur la brèche et la rivalité ancrée dans les esprits permettront au moins d’en préserver une part de sa magie.

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