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Eddy Ben Arous : « J’ai grandi avec des durs »

Par Marc Duzan
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    Eddy Ben Arous : « J’ai grandi avec des durs »
Publié le Mis à jour
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Poli, paisible et bienveillant, l’incontournable gaucher des Bleus s’est fait le cuir dans les Yvelines. Il le raconte, ici…

Eddy Ben Arous, c’est Bob Marley dans le corps de Mike Tyson. Une douceur androgyne dans « une carcasse d’ours », plaisante Amanzé, son frère aîné. Le gaucher des Bleus s’en défend. Farouchement. Assis à la table en chêne de ce café du Plessis-Robinson, un chocolat chaud entre les mains, il assure de sa voix feutrée avoir grandi parmi les durs et conserver de cette lointaine époque une agressivité sous-jacente : « À Trappes et Élancourt (Yvelines, N.D.L.R.), je vivais dans une cité. Les jeux y étaient parfois limites. Pour se marrer, on se balançait des cailloux, d’un côté à l’autre du parc. Quand on jouait au foot, le mec qui prenait un petit pont se faisait rouer de coups par les autres. J’ai grandi avec des durs. Ailleurs, les gamins jouaient aux billes ou aux Pogs. Nous, c’était la guerre. C’est ce qui nous plaisait. Très vite, mes parents ont donc voulu me faire voir autre chose… » En Touraine, Gabrielle et Victor Ben Arous ont acheté un local qu’ils ont transformé en épicerie. « On trouve de tout au Tropicana Exotique », sourit le pilier du Racing. Des bananes plantains, du poisson séché, du manioc, du piment antillais et même des cartes téléphoniques, pour qui souhaite appeler l’autre bout du monde à bas prix.

À Dreux, Victor et Gabrielle Ben Arous élèvent donc leurs cinq fils dans le respect absolu du protestantisme. Eddy poursuit ainsi : « J’ai toujours respecté la foi de mes parents mais je n’ai jamais éprouvé le même engouement qu’eux. Tout ça, c’était tellement exigeant. Le dimanche, nous allions au temple. Avant chaque repas, nous récitions le bénédicité à tour de rôle. J’ai encore cette musique en mémoire… Elle me revient en tête, parfois, quand je conduis… » Le Racingman ponctue le souvenir d’un sourire amène, avale une autre gorgée de chocolat chaud, attend la suite avec un mélange d’amusement et de crainte. « Il m’est difficile de parler de moi, s’excuse-t-il. Je ne vois pas ce qui peut intéresser les gens, dans ce que je raconte. » On l’observe, amusé. On lui demande ce qui pourrait bien le faire sortir de ses gonds. Il hausse les épaules, perplexe. Ne sait que répondre. À quand remonte sa dernière baston, alors ? « J’avais 15 ans et nous nous rendions à Vannes, avec les cadets de Tours. Là-bas, les supporters étaient entrés sur le terrain et j’avais dû me battre contre l’entraîneur adverse. C’était chaud. » Pacifiste dans l’âme, non-violent par nature, Monsieur Eddie n’a depuis plus jamais sorti les poings. « Les préparations à l’ancienne, les coups de casque, tout ça me laisse froid… J’ai même tendance à rire si le mec vient me chercher avec un coup de boule ou une grande tarte. C’est nerveux. C’est comme ça. Quand on me secoue, moi, je me marre. Parce que ça me met mal à l’aise. Mes coéquipiers le savent. Alors ils viennent me chercher, arrivent sur le côté et me mettent une petite gifle en gueulant : « Allez Eddy, c’est pour toi ! » Pfff… Je déteste ça. » Il éclate de rire, se redresse lentement et relève le col de cette doudoune noire enveloppant un cou de taureau. « Eddy a toujours eu un physique incroyable, se souvient Amzané, plus vieux de quelques mois. Un jour où on le chahutait avec mes trois autres frères, il s’est soudainement énervé et a voulu se venger. On s’est tous réfugié à la cuisine, enfermés à double tour. Il a mis un coup d’épaule dans la porte et fracassé la baie vitrée… La maison familiale porte encore les séquelles de notre enfance. »

Le « trou noir »

Longtemps torturé par un appétit d’ogre à 17 ans, Eddy Ben Arous pesait 138 kilos « pour la même taille qu’aujourd’hui », soit 1,84 mètre), le super fit du pack de Laurent Travers a rangé ses démons au placard, s’est taillé un corps d’athlète (108 kilos) et, depuis deux ans, squatte le XV majeur des Bleus (14 sélections). Enfin, lorsqu’il ne tombe pas sur un os… Il raconte : « C’était fin octobre, à Bayonne. Avec Ben (Tameifuna), nous avons essayé de prendre le numéro 9 de l’Aviron (Guillaume Rouet) en sandwich. Il s’est faufilé entre nous deux et la tête de Big Ben a violemment frappé contre ma tempe. Je suis tombé comme une feuille. Trou noir, direct. » Le lendemain, Eddy Ben Arous se rend chez le professeur Chermann, à l’hôpital Bellan, non loin de la porte de Vanves. « Le doc était d’abord catastrophé. Pfff… Je perdais l’équilibre, j’avais la nausée, je ne pouvais pas dormir à cause des migraines et en voiture, au-delà de 50 kilomètres par heure, je me sentais partir… Les premiers jours, la moindre conversation me rendait dingue. Je n’arrivais pas à me concentrer sur les paroles de mon interlocuteur plus de vingt secondes. J’étais ailleurs… » Très vite, Jean-François Chermann exige ainsi du joueur qu’il observe au minimum quatre semaines de repos. La tournée des Bleus ? Au regard de ce que vit alors Ben Arous, elle n’est que peccadilles. « À la maison, mon fils voulait jouer mais j’en étais incapable. Très vite, le sol se dérobait sous mes pieds. Pendant un mois, j’ai donc quasiment tout coupé, téléphone, télévision, ordinateur… J’ai beaucoup dormi, mangé sainement puis, petit à petit, les symptômes ont disparu. » Après avoir respecté chaque étape du protocole, Eddy Ben Arous a repris la compétition la semaine dernière, à La Rochelle (23-23). « Sans la moindre appréhension, non… Pourquoi en aurais-je ? On est bien entouré, vous savez. Personne ne joue avec nos santés. » On lui parle alors de George North, dont la carrière pourrait être mise en sursis après une série de commotions cérébrales. On évoque aussi le cas Sexton, pour qui la Fédé irlandaise réfléchit aujourd’hui à un repos forcé d’une saison. D’un haussement d’épaules, lui balaye fantasmes et supputations : « Au rugby, on n’est jamais à l’abri. Un ligament croisé, une fracture, une commotion cérébrale, tout peut arriver… Le danger est partout et c’est peut-être ce qu’on recherche, au fond de nous… Cette prise de risque, cette adrénaline… On en a tous besoin, je crois. » Et Ben Arous, Marley dans le corps de Tyson, d’anéantir paisiblement les dernières gouttes de son chocolat chaud…

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