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Le fils à Joe

Par Jérémy Fadat
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Publié le Mis à jour
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Son père Joe Schmidt, passé par Clermont, le Leinster et actuel sélectionneur de l’Irlande, est peut-être le meilleur technicien de la planète. Mais comment « Tim », le fiston demi de mêlée espoirs de Toulouse, s’est-il retrouvé à s’entraîner avec le groupe professionnel toulousain en novembre ? Découverte d’une histoire singulière entre la Nouvelle-Zélande, l’Irlande et la France…

C’était le 7 novembre dernier. Deux jours après l’historique victoire des Irlandais de Joe Schmidt face aux All Blacks, à Chicago, et la prouesse du génial technicien néo-zélandais pour mettre fin à la série de dix-huit succès de rang de son pays natal. Ce matin-là, dans les vestiaires du terrain annexe d’Ernest-Wallon, Timothy Schmidt se présentait timidement devant les cadres du Stade toulousain. Moment choisi par Joe Tekori pour lui balancer : « Je ne savais pas que tu étais le fils de Joe ! » Dix ans plus tôt, le sélectionneur du XV du Trèfle entraînait le Samoan à Auckland. Sa progéniture, encore gamin, suivait déjà le papa dans les entrailles du stade ou sur les pelouses d’entraînement. Aujourd’hui, « Tim » a bien grandi. Et durant la période internationale d’automne, quand Jean-Marc Doussain et Sébastien Bezy étaient réquisitionnés par la préparation du XV de France pour laisser Samuel Marques comme seul demi de mêlée professionnel à disposition du staff toulousain, il a fallu puiser chez les Espoirs. Pendant deux semaines, c’est le jeune Schmidt — alors 20 ans — qui s’y est collé. « J’ai eu de la chance, les autres numéros 9 des Espoirs étaient blessés, raconte-t-il. La première fois que je me suis retrouvé face à « Titi » (Thierry Dusautoir, N.D.L.R.), c’était impressionnant. Il a un tel charisme… Mais tout le monde a été gentil avec moi. » à commencer par Toby Flood, 60 sélections avec l’Angleterre, son partenaire de charnière lors des oppositions. « J’étais enthousiaste mais stressé. Toby me rassurait en permanence. Quand je ratais une passe, il me disait : « Pas de soucis, ça va bien se passer. » Il m’a aidé à me libérer. » à tel point que ses qualités ne sont pas passées inaperçues. « C’est un bon joueur, confiait récemment Ugo Mola. Mais je n’ai pas le droit de l’utiliser avec les pros cette saison (il ne possède pas de contrat centre de formation, N.D.L.R.). Sinon, en l’absence de Doussain et Bezy, je ne me serais pas interdit de le mettre sur une feuille de match. »

Les cotillons du Stade de France

Mais comment le fils de Joe Schmidt s’est-il retrouvé à porter le maillot du Stade toulousain ? Depuis 2010, et l’arrivée de son père à la tête du Leinster, Timothy vivait à Dublin, où il évoluait au sein du Terenure College et fréquentait les équipes de jeunes du Leinster. à la fin de l’été dernier, études obligent, sa vie a basculé. Son début de carrière aussi. Il relate : « Je suis en commerce international, option français, et je devais effectuer une année Erasmus à l’étranger. J’avais le choix entre deux ou trois villes et j’ai atterri à Toulouse. Je voulais continuer le rugby… » On se dit alors que le papa avait des relations au sein du club le plus titré du continent et n’avait qu’à sortir le téléphone… « Pas du tout, coupe Tim. Mon père ne s’est occupé de rien. Je suis entré en contact avec Trevor Brennan (ex-joueur irlandais de Toulouse, qui vit dans la région) avec qui on a des amis communs. Je ne voulais pas m’imposer au Stade, alors je lui ai dit : « Pourquoi pas Blagnac ? » Trevor, dont le fils joue en Espoirs à Toulouse, m’a répondu : « Tu jouais avec les jeunes du Leinster, on va voir pour le Stade toulousain. » Il m’a dégoté un rendez-vous avec Fabien Pelous. Le club m’a offert une semaine d’essai. » Il en effectuera trois avant de valider officiellement son billet pour la saison. Double fierté. D’abord d’avoir convaincu sans sortir la carte « fils de ». « Il a réalisé les choses par lui-même, se réjouit Joe Schmidt. Je n’ai jamais parlé de lui à quiconque et j’en suis heureux. Lorsqu’il joue avec les Espoirs, je ne peux pas suivre son match par Internet mais Trevor, du bord du terrain, me le fait vivre en direct. » En fait, Timothy, malgré la proximité viscérale qui le lie à sa famille, avait besoin de prendre son envol pour exister. Et se savoir légitime. « Je me sens mieux ici, avoue-t-il. Au Leinster, chacun connaissait mon père et j’avais peur qu’on me prenne car j’étais le fils de Joe Schmidt… Parfois, ça a été un peu dur. Je ne suis pas mon père, il ne peut pas y avoir les mêmes attentes autour de moi, mais ce n’est pas toujours facile quand il est à côté. Là, j’ai dû prouver. La seule chose qu’on m’a donnée, c’est une semaine. C’était à moi de montrer que j’étais capable de jouer à Toulouse. » Un club mythique, son autre fierté. Ce dont lui, plus que tout autre jeune exilé, a conscience. « Je suis arrivé en Europe à 11 ans, à Clermont où mon père a entraîné trois saisons. Le Stade toulousain, c’était le cador. Il nous avait battus en finale en 2008. » Il emploie « on » pour évoquer l’ASMCA, où il a joué en moins de 13 et moins de 15 ans, puis en rigole : « Je ne suis plus Clermontois mais il faut toujours supporter le papa. à l’époque, j’étais à fond et je le suivais dans les vestiaires. J’étais fan de Morgan Parra et Brock James était toujours adorable avec moi. Il y avait aussi « Napo » Nalaga qui me faisait rire. Mon plus beau souvenir, c’est le titre de champion en 2010. Cela faisait 90 ans et 10 finales que le club essayait de le devenir. Avec mes sœurs, nous étions sur la pelouse du Stade de France après la rencontre. J’avais ramassé les cotillons et les banderoles brillantes qui avaient volé à la remise du Brennus. Je les ai gardées dans une boîte. »

« Même contre la Nouvelle-Zélande, j’ai le sang vert »

Le rugby, chez les Schmidt, est une religion. Même si les premiers pas sportifs de Timothy l’ont entraîné vers un ballon plus rond en Nouvelle-Zélande. « Mon père ne m’a jamais forcé. Il souhaitait juste que je fasse un sport collectif pour apprendre à travailler en communauté. J’ai commencé par le foot à 5 ans et c’était lui l’entraîneur de l’équipe ! » Joe se marre : « C’était pour suivre Tim mais mes compétences étaient éloignées de ce que je fais maintenant. » Surtout, le fiston a vite basculé. « Déjà petit, Tim se passionnait pour ce jeu, poursuit-il. Depuis qu’on vit en Europe, il s’est toujours levé la nuit pour regarder chaque match des All Blacks en direct. » Ce maillot frappé de la fougère qui le renvoie à ses racines. Même si Timothy a déjà passé la moitié de sa vie à des milliers de kilomètres de son archipel natal. Ce qui altère son sentiment d’appartenance. « Je suis parti jeune de là-bas et je me sens autant Irlandais que Néo-Zélandais. J’ai plus d’amis en Irlande et je viens d’en obtenir la nationalité. Si je n’arrive pas à devenir rugbyman, l’Europe me paraît un meilleur endroit pour vivre. En Nouvelle-Zélande, c’est dur de voyager car notre pays est isolé. Ici, tu es au centre du monde et je suis citoyen européen. » Et, dès lors que son père a pris les rênes de la sélection irlandaise, le tiraillement ovale n’était plus permis. Il le clame : « Même quand on affronte la Nouvelle-Zélande, j’ai le sang vert. » Alors imaginez sa joie lors du fameux exploit de novembre. « Je jouais avec les Espoirs à Toulon ce jour-là. Avec Conor Farrell et Tristan Tedder (deux autres jeunes joueurs), nous étions dans notre chambre pour le regarder sur l’ordinateur. C’était un truc de fou ! J’étais triste de ne pas être avec mon père et je n’ai pas pu l’appeler car il était tard. Je l’ai eu le lendemain et nous étions sur la lune. J’ai tant de fierté pour lui. Tout ce qu’il a réussi, ce qu’il a gagné… Il est populaire en Irlande même s’il n’aime pas la gloire. Il préférerait rester anonyme mais quand tu bats les Blacks, c’est impossible ! Ce dont je suis le plus admiratif, c’est la manière dont il a pris des jeunes à l’Académie du Leinster, comme Ian Madigan, pour les mener jusqu’à la sélection. C’est la marque d’un grand entraîneur. » Lui est peut-être le meilleur de la planète à l’heure actuelle. Ce qui en fait le favori pour la succession de Steve Hansen à la tête des Blacks en 2019. Son fils le sait mais son enthousiasme est mesuré : « C’est dingue, mais est-ce que j’aimerais ? Je ne sais pas. Il y a trop de pression. Si tu n’obtiens pas les résultats voulus, le public peut être méchant. Je me rappelle de Pat Lam aux Blues. Sa famille avait même été attaquée dans la presse. Je ne veux pas ça pour la mienne. L’Irlande, c’est bien, tout le monde est sympa (sourires). »

En attendant, Timothy Schmidt a une aventure personnelle à mener afin de transformer un dessin animé en destin à succès. Celui de se faire un prénom dans la cour des grands, lui qui aimerait prolonger cette aventure toulousaine débutée de manière si inattendue. Forcément, pour y parvenir, le père a quelques leçons à prodiguer… « Il se conduit comme un papa, pas un entraîneur. Il ne me donne des conseils que si je lui demande. Sinon, il n’intervient jamais. Il peut m’arriver de lui envoyer une ou deux vidéos. Il est content de me dire comment m’améliorer car il veut que je réalise mon rêve, je le sais. » Ce que confirme Joe : « Je suis son premier supporter mais je le laisse tracer sa route. Il est mon fils et je ne veux lui mettre aucune pression. Coach, c’est mon boulot mais simplement avec mes joueurs. » Même si le naturel revient vite : « à mon avis, il possède un bon bagage technique, est capable de mettre de la vitesse. C’est positif. Après, il est un peu petit et je suis parfois inquiet. J’ai peur qu’il se blesse. » Réflexe de papa.

 

Digest

Né le : 18 décembre 1995 en Nouvelle-Zélande.

Mensurations : 1,80 m ; 75 kg

Surnom : Tim

Poste : Demi de mêlée

Clubs successifs : Palmerstone North, Clermont, Leinster, Stade toulousain.

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